Nous en discutons parfois.
Lui me dit que je ne devrais pas reprendre les écrits d'André Viard, et qu'après tout c'est lui faire trop d'honneur et lui donner une importance qu'il ne mérite certainement pas. De plus, ce faisant, on flatte son ego surdimensionné et mégalomaniaque. Lui, c'est un aficionado lumineux et profond, bien loin du schéma un peu navrant de « torista » et « torerista », car le toro brave et encasté, se suffit à lui même et ne demande qu'à croiser un torero inspiré, « romantique et guerrier» pour parfois libérer les larmes assourdies du « duende ». Rarement, extrêmement rarement, comme il se doit, en matière d'art.
Lui, il sait bien que cet art, ne peut exister que dans cette extrême et singulière rareté et la fondamentalement nécessaire vibration du danger, et l'offrande de sa vie, assumée par l'homme, contre celle du « toro encasté » et idéalement « brave » qui la défend chèrement, et que, sans ce pacte secret et improbable, entre le fauve et l'homme, unis alors dans une communion miraculeuse, qui n'a rien à voir avec une collaboration prévue, prévisible et policée, sans ce don de soi mortel de l'un à l'autre, à la source de tout art, la corrida elle même perd toute justification aussi bien symbolique, artistique, rituelle, que morale, et la rend légitimement vulnérable aux attaques les plus grossièrement réductrices, obsessionnelles et surtout, heureusement surtout peu informées des grotesques « antis ».
Lui, il sait bien que ce moment de grâce ne peut naître que de la conjonction d'une infinité d'aléas miraculeusement réunis et de la volonté imprévisible du « duende » incontrôlable, « picaro » et ricaneur, pourtant capable de pétrifier de bonheur l'élu innocent qu'il a touché du doigt, élu qui, du coup, parle aux anges éberlués, avec au cœur des larmes de diamant. Ce « picaro » dont seul Federico a démasqué la rouerie moqueuse, le goût pour les viscères et la merde, là où somnole l'animalité de l'homme, en même temps que les évidences d'une transcendance plus ou moins enfouie, mais chez tous présente, innocente et lumineuse, accessible à tous, miséreux ou riches, « saints ou maudits », analphabètes ou savants, et, pour le dire, des mots réinventés aux « sons noirs », peut être même, simplement inventés, dans un temps disloqué qui prend des airs d'éternité.
Lui, il sait bien que ce temps se disloquait aux poignets de cristal des gitans bénis des dieux, et qu'alors, ils pouvaient se pencher pensivement, les pieds collés au sol, avec leur terre qui les aspire et consume, sur ce front du toro, détourné de leurs cuisses par la douceur impérieuse de ce baiser dont il ne restera que le souvenir en forme de regret de la véronique et ses parfums prégnants de ciste et de romarin. Alors il était capable de traverser l'Espagne pour l'espoir de ce moment si improbable. Il en revenait sans regret véritable, conscient qu'il demandait l’impossible, ce qui, en matière d'art est le minimum. « Proxima vez »!
Lui il sait, ce toro qui sort tête haute, la queue fouaillant l'air, circonspect puis furieux d'une première attaque vaine. Et le trapio s'impose comme une évidence, une façon d'être, le pendant de la vraie toreria. Rien à voir ni avec les kilos ni un stéréotype quelconque. La présence, la caste qui fait frissonner furieusement la peau, une harmonie puissante, la certitude aussi que celui ci ne pardonnerait rien, certitude qui montait aussi aux gradins. Et lorsque ce toro s'était grandi au cheval, fixe, poussant de tous les muscles de ses reins, était revenu deux fois, du centre de la piste à l'appel, la pique levée du picador, que celui ci l'avait exceptionnellement respecté, et que tous avaient rendu hommage à sa bravoure, le torero l'avait entrepris dans un dialogue amoureux pour lui faire comprendre combien il était important, et que tous deux allaient marcher dans le ciel. Lidia, séduction, lente avancée dans le terrain de la confiance de l'autre, par le respect et la méfiance réciproque, la certitude qu'aucun des deux ne céderait, à la condition expresse que chacun respecte l'autre. Et puis 4 derechazos, 4 naturelles, tout simplement, et las Ventas comme ivres de bonheur, lâchent leur râle sourd , qui gonfle, sans musique..
Lui il sait bien aussi, qu'un toro se fabrique comme du chewing gum, un tube du hit parade, à force d'indicibles dosages, de tentaderos orientés, pour convenir à ces insatiables figuras, capitaines d'industrie responsables, qui ont la responsabilité d'emplir les arènes, et de nourrir la mégalomanie et les compte en banque de quelques « happy fews », ceux qui savent et distribuent les bons et les mauvais points, table à laquelle au nom de l'OCT qui ne peut que partager ses analyses le Dédé s'est invité, quitte à tuer quelques ex amis.
Lui, il sait bien, et il a raison, que tout ceci est foutu, mort, et ne nous concerne plus. Irréversiblement politisé, et que même le dire ne sert plus à rien, et il a raison. Il dit aussi que le Dédé, emporté par sa nouvelle transe politico mégalomaniaque se fout de la vérité, et y compris de la corrida pour se pavaner. Il dit qu'il est capable de tous les mensonges, de toutes les saloperies, et que les organisateurs indépendants, les malheureux, même de gauche, le craignent pour son seul pouvoir de nuisance, alors qu'il navigue, vent debout dans des eaux plus que troubles.
Alors, je retournerai vers mon Saints et Maudits, après avoir précisé une ou deux choses, puis me taire, au moins sur ce sujet, des grandes manœuvres de notre mégalomaniaque du Boucau.