Diego est une belle ville, pour
Madagascar. Avec des avenues droites et nettes, et une propreté assez
surprenante. Elle exhibe des vestiges d’une présence coloniale militaire
française très importante, qu’on devine avoir été assez fastueuse.
Des ruines aussi comme cet hôtel
d’antan, livré aux ronces. Ce fut le plus bel hôtel de Diego. Mathilde a voulu
en visiter les ruines. C’est un exercice qu’elle a toujours affectionné. Par
les ouvertures on voit la mer et son bleu argenté froissé comme un papier d’aluminium
par les alizées. On nous avait dit, Diego c’est magnifique mais, surtout, en
Juillet et Aout, c’est la période venteuse. Et le vent est omniprésent, et
d’une certaine façon, il ferait aussi chaud qu’à Majunga, sans la fraicheur de
l’Alysée. Jamais, pendant notre séjour, il n’a par exemple soulevé le sable ou été agressif. C’était
une bonne brise permanente.
Le soir, la ville sort doucement
de sa torpeur, mais sans jamais grouiller comme les autres villes malgaches.
Pas ou très peu de mendiants ou de quémandeurs. Les « vazahas » n’ont
pas l’arrogance qu’ils montrent en d’autres lieux. Il en est même de nombreux,
d’âge disons mur qui se promènent avec des femmes malgaches d’âge en rapport.
Nous fréquentions le soir un
restaurant italien sur la grande avenue. Le patron, la cinquantaine un peu
désuète style soixante huitard attardé genre "peace and love", queue de cheval poivre et sel, est Italien. Il est arrivé à Diego il y a 20
ans pour faire de la plongée, il n’est jamais reparti. Dans son établissement
les serveuses sont souriantes et détendues. Il les traite visiblement avec
beaucoup de considération affectueuse. Sur la carte, il présente tout son
personnel, avec chacun et chacune un mot aimable. Sa plus grande fierté est que
certaines sont là depuis plus de 15 ans.
Il me dit qu’ainsi il voulait rendre
à ce pays tout le bonheur qu’il lui procurait.
J’avais quelques problèmes de
bronchite récoltée à Tana et j’étais sorti sur la terrasse donnant sur la
grande rue. En face, attablés le long d’une palissade des clients d’un
restaurant ambulant chichement éclairé mangent en silence.
Une des serveuses est venue me
rejoindre. Assez petite, avec des cheveux de jais, joliment ondulés et mi
longs. Elle est petite, un peu rondouillarde, contrairement
aux femmes d’ici, sa peau est aussi plus noire que celle des gens d’ici. Ayant
lu la présentation du personnel, je comprends qu’il s’agit de la serveuse de
confiance, la plus ancienne aussi.
Désignant la tablée le long de la
palissade, de l’autre côté de l’avenue,
elle me dit en riant : « c’est
moins cher là ». « vous y
mangez parfois dans ces gargotes ? », « oui répond -elle en riant. J’aime bien, ce n’est pas trop
cher et c’est assez bon, dans certaines ». Elle ajoute : « les sacs à dos y mangent
souvent ». Les sacs à dos sont de jeunes vazahas
aventureux qui visitent l’ile à coups de taxi brousse voire de stop ou en
marchant. J’ai demandé : « ils
supportent ? ». Cela la fit rire. « il faut s’habituer, au début c’est difficile pour les vazahas,
ils n’ont pas les anticorps ».
Habituellement, j’évite certaines
maladresses. Il est clair par exemple que pour un salaire « moyen » malgache de bien moins de 30 euros, fréquenter
les restaurants que nous fréquentons est quasiment impensable.
Parfois des filles plutôt
délurées s’arrêtent et me disent, « ça
va vazaha ? », puis elles ajoutent des commentaires du cru que je
ne comprends évidemment pas. Ils font marrer la brune. « Qu’ont t’elles dit ? ». « Que la nuit est
belle » ment-elle effrontément dans son grand rire.
« Plus tard, dit -elle, vers minuit, Diego s’anime
beaucoup » . En effet Diego a la réputation d’être, disons assez
chaude la nuit.
Je lui demande : « Etes-vous mariée ? ». « Non, mais j’ai une fille ».
C’est ainsi, qu’une seconde fois, je devais manifester ma maladresse. « Et le papa ? » je dis.
Elle rit franchement : « parti,
depuis longtemps ». En effet si le malgache mâle a une forte
propension à la dispersion séminale, il est fortement aidé dans un pays où les
filles ont en moyenne des rapports sexuels toujours non protégés dès 13 ans.
« Je voulais cet enfant » me dit –elle. Elle dit aussi,
qu’en général, les filles, qu’il soit désiré ou accidentel, ce qui représente
le cas de figure le plus important, conservent toujours le premier enfant. Ce,
au moins pour une raison : pour une femme malgache, avoir un ou plusieurs
enfants devrait représenter une manière de « garantie »
pour les vieux jours, en même temps d’ailleurs qu’une valorisation de la femme,
donc, les parents font plus qu’encourager les jeunes mères à garder le premier
enfant. Ensuite évidemment, la misère, l’absence d’éducation, les croyances,
l’analphabétisme, l’absence d’hygiène, font que le taux de fécondité de la
femme malgache est assez vertigineux, supérieur à 5, et que plus de la moitié
de la population malgache a moins de 18 ans.
Elle m’explique que le papa n’est
pas un « vazaha », mais
bien un malgache, et qu’en plus il les aide bien, elle et sa fille.
Je me souviens combien l’air de
la nuit était doux. Nous évoquons la surnatalité. En riant, elle fait un signe
mimant une piqure dans le haut du bras. « Maintenant
dit-elle tout le monde pourrait avoir les enfants qu’il désire ». Il
est toujours possible d’obtenir des implants contraceptifs gratuits qui
protègent la femme pendant 5 ans.
Elle m’explique que depuis deux
ans, les bandes de bandits de Diego sont moins actives. Pour les réduire, il
aura fallu faire venir les renforts de Tana et ses « merina » abhorrés. La police locale était très souvent
de mèche.
Je fais remarquer que les
musulmans sont très nombreux ici. Elle me confirme ce que j’avais déjà remarqué
à Majunga : la cohabitation ne pose pas le moindre problème. Même me dit
-elle, il y a beaucoup de mariages inter religieux.
Elle est arrivée d’Antsoii il y a
plus de 15 ans. Elle a croisé la route de l’Italien « peace and love ». C’est plutôt une jolie histoire de
cohabitation, qui ressemble à la ville.