Nous rentrions de Diego Suarez.
Deux jours de voyage pour 1200 kilomètres, au travers de ce Nord de Madagascar
splendide. Dix heures tout de même pour se farcir les 400 kilomètres entre
Diego et Antsohihy, prononcez Antsoui,
dont pratiquement 4 heures pour couvrir les premiers 130 km entre Diego et
Ambilobe, prononcez Ambiloubé. Ici l’asphalte accompagne tant bien que mal des trous aussi profonds et
meurtriers que ceux de la Sécurité Sociale. C’est bien pire qu’une piste
« claire », c’est-à-dire où on n’a pas à chercher sa route dans le
sable. Et figurez-vous qu’en plus, on vous colle parfois des gendarmes couchés
pratiquement indétectables pour certains, sur les portions praticables. Un
ressort du 4X4 s’est détaché. Pas de problème, Mamy file sous la voiture 10
minutes et le tour est joué. Je dois progresser, en d’autres temps je me serais
alarmé, peut-être même mis en colère, mais là rien. « Mora, mora » disent les malgaches ce qui chez nous
pourrait donner, « tranquille »
ou « cool ».
Déjà le Samedi, secoué comme un
prunier sur le macadam défoncé, je pensais à Orthez, et à ce que Xavier et son
équipe avaient mis de soin, de
réflexion, de prise d’initiative et de risques
dans la construction de leurs spectacles taurins. De plus, tous les amis qui comptent pour moi,
seraient là : le Deck, certainement toujours élégant, le Ludo qui
délaisserait le Moun, le cher « largocampo » et tant d’autres.
J’aurais distribué quelques Cohibas tout droit venus de Cuba, et aurais profité
par proximité des fumées divines. Nous aurions, je pense aussi vidé quelques
bouteilles, d’autant que de plus, d’après ce que j’ai compris, le spectacle fut
à la hauteur des espérances des organisateurs et des aficionados. Comme quoi,
Xavier a bien fait de respecter les consignes du « converti non
repentant », l’insubmersible et inénarrable comique troupier du
Boucau. Il faut toujours écouter les sages, et singulièrement Orthez qui aurait dû se conformer aux consignes du génie landais visionnaire bien
avant.
Le Dimanche, la route était
infiniment meilleure, et nous arrivions à proximité de Tana, alors que la nuit
tombait, vers 17h30. Lorsqu’il roule,
Mamy coupe son téléphone. C’est celui de mon épouse qui sonne. Message
affolé de Lanto : « pas moyen
de joindre Mamy, j’ai une information importante à lui transmettre ».
On informe l’intéressé. « Pffffffffffffff,
fait –il c’est toujours comme ça avec
Lanto, elle s’inquiète toujours, lorsque je suis sur la route ». Lanto est la sœur ainée, « vieille
fille » de 65 ans, brillant professeur d’Université, toujours en exercice
jusqu’à 70 ans nous dit -elle. Elle aime à se donner des airs sévères, mais ceux
qui la connaissent savent qu’outre son
immense intelligence, elle est d’une sensibilité et d’un dévouement infinis
pour ses étudiants, et que la situation de son pays la meurtrit au plus profond
d’elle. Mon épouse répond par une formule neutre, du type « Mamy conduit, il te recontactera ». Dix minutes plus
tard : « Où êtes-vous. Il y a une mutinerie des forces armées, près
d’Ivato. Tirs croisés violents. Faites
très attention. Répondez ! ».
Ivato, c’est l’aéroport de Tana, à une vingtaine de kilomètres de la
ville. Notre route rejoindra celle d’Ivato, à proximité immédiate de
l’Ambassade des Etats Unis. Moi, ça me rassure plutôt, je vois mal les insurgés
menacer la forteresse de l’Oncle Sam, y compris par des balles perdues, car à
n’en point douter, la riposte serait sévère et immédiate. Mamy verrouillera seulement portes et
fenêtres, surtout lorsque la voiture devra
se frayer un chemin parmi les piétons.
« Des bandits profitent toujours de la confusion, dans ces cas-là »,
dit Mamy. Il y a en effet encore plus de
monde que de coutume, dans les rues et sur les routes, mais aucun signe de
panique. Peut être seulement, une certaine nervosité quelque peu
« électrique ». Mais peut être aussi, notre propre inquiétude que
nous cherchons à dissimuler en
plaisantant un peu lourdement, influence t’elle notre perception, et par voie
de conséquence, notre jugement. J’espère surtout que la situation ne durera pas
et ne compromettra pas notre retour, cinq
jours plus tard. Pendant ce temps, les beaux toros portugais d’Orthez
sortaient en piste et je pensais aux amis et plus particulièrement à « mon javierin ». « Suerte » donc !
Arrivés sans encombre à l’hôtel
en centre-ville haute, la télé nous apprend que la situation est sous contrôle.
Un caporal, on croit rêver, serait à l’origine de la mutinerie. Avec 20 hommes il s’est emparé d’une armurerie et
a essayé, en les achetant entre 5000 et 10 000 ariarys chacun, soit un
maximum de 3 euros, de convaincre des conscrits de
se battre avec lui. Plusieurs questions se posent donc : qui va croire que
ce caporal n’a pas été manipulé par quelque haut gradé ou ministre en exercice,
des noms circulent déjà, on n’oublie pas non plus que 2 jours plus tard ,
l’ancien président déchu, et le nouveau depuis 3 ans président d’une hypothétique
transition, aussi illégalement « élu » ou « mis en place »
que le précédent, doivent se rencontrer
aux Seychelles, pour une réunion dont l’échec ne fait aucun doute et qu’il
faudra bien assumer, ceci pouvant expliquer cela; enfin, qui a financé le malheureux
caporal, probablement abattu dans l’ambulance censée le transférer,
blessé, à l’hôpital, mais tout aussi possiblement
qu’on a laissé sans soin, se vider de
son sang, ce qui est plus discret, et en possession d’assez fortes sommes
d’argent, au moins pour Madagascar. On peut supposer que beaucoup de monde
avait intérêt à ce que le caporal surnommé virilement « Black »
ne parle pas. J’en parle au serveur du restaurant de l’hôtel. Lui ça le fait
franchement marrer. « C’est encore une connerie » affirme-t-il entre
deux fous rires. 3 morts tout de même,
dont le caporal, pour le coup, épinglé,
et 3 blessés graves. C’aurait pu être pire, et on peut hélas penser que
ce sera sûrement pire, un jour ou l’autre.
Les malgaches rigolent, mais
façon rire de Paillasse. « ris donc
paillasse, ris donc de tes malheurs, etc ». Ravalomana, le Président
déchu avait déjà pris le pouvoir à l’ami de la France, ancien élève de Navale,
l’Amiral Ratsiraka. Au début, expliquent nos amis, vaguement marxiste l’Amiral,
a fait des choses puis le temps passant, il s’est laissé déborder par la
cupidité des siens, qui probablement ne voulaient pas ou plus partager le gâteau. Et cela a aussi son
importance, Ratsiraka était un « côtier » de Tamatave.
Ravalomanana est un Merina, l’ethnie des hauts plateaux et dominante à Tana, et souvent
vigoureusement détestée par les autres ethnies, surtout les côtières. Les
Merinas sont souvent riches, dominent dans la haute administration, sont
cultivés, francophones, et contrôlent de fait une partie importante de
l’économie malgache grâce à leur emprise sur la haute administration
précisément. Ravalomamana, maire de Tana, était arrivé au pouvoir de façon
assez douteuse, suite à un processus électoral tronqué et l’aide de l’armée. Ce
flamboyant self made man, était le poulain des ricains, qui sûrement l’ont aidé
dans ses affaires, pour par la suite
installer leur tout aussi flamboyante Ambassade. La CIA travaillait certains terrains via son
antenne bienfaitrice US AIDS, et constituait un réseau. Lorsque les américains
jouent les bienfaiteurs, on sait en général ce que cela donne et
malheureusement, donnera à Madagascar.
Ravalomanana est un Merina
atypique: pas issu d’une famille riche ou noble, pas francophone, self made man
sûrement talentueux qui se lança dans le commerce du yaourt et fonda une
entreprise florissante Tiko. Seulement voilà, l’argent autorise tout à
Madagascar. Ravalomanana accéda à la Mairie de Tananarive, consolidant son
entreprise par des marchés captifs, déjà hostile à toute forme de concurrence.
Il parvint au pouvoir, avec l’aide de l’armée, laissant quelques morts sur le
pavé. A partir de ce moment, il confondit son entreprise et Madagascar et avec
sa famille prit le contrôle de tous les trafics. Insatiable, appuyé par les
américains, il développa son empire, éliminant toute concurrence. Il voulut
même s’en prendre à la langue française, pourtant langue « officielle »
malgache et à laquelle l’élite de la haute administration est attachée pour des raisons évidentes.
Aujourd’hui encore, dans le lieu de réunion de ses « partisans », les
tracts sont écrits, non pas en malgache mais en anglais………………..
A suivre
A suivre