Cette année, ici, l’automne quitte à regret l’été. Il en veut
conserver la chaleur et le ciel d’un bleu d’ange. Il va aussi sans enthousiasme
vers l’hiver. La seule preuve est donnée par les jours qui raccourcissent et un soleil plus
bas.
Rien que de doux ici. Rien à voir
avec ces départements du Sud Est
dévastés. Certes la colère de l’Océan a bouffé des morceaux de cote, ici, là où
peut être, il eût été plus judicieux de ne pas construire, mais, « business is business », et
ça, évidemment, c’est hautement respectable. Réchauffement climatique disent t’ils. Je
pense à « Quand la mer monte »
de Raoul de Godewarsvelde, de son vrai nom Francis Albert Victor
Delbarre et qui sûrement fut son seul succès, 150 000 disques vendus, avec
un refrain confondant :
« Quand la mer monte j'ai honte, j'ai honte
Quand elle descend je l'attends
A marée basse elle est partie hélas
A marée haute avec un autre. »
Quand elle descend je l'attends
A marée basse elle est partie hélas
A marée haute avec un autre. »
Je me
surprends souvent à m’accrocher avec mon ado, amatrice de rap, en oubliant
cette connerie de Raoul, et tant d’autres, rivalisant de vulgarité, lorsque je
dis que les paroles que je ne connais pas vraiment sont nulles. L’accent
et les propos graveleux neuf trois m’insupportent. Paraît qu’il y a de vrais
poètes !
Mais aussi, il
suffit d’avoir eu une fille passée en classe de seconde actuelle, quelles que
soient ses difficultés propres à l’adolescence, pour mesurer l’échec terrible
et de l’intégration et de l’enseignement des bases. Et je le dis sans animosité,
combien d’élèves de seconde actuelle, seraient capables d’avoir le certificat d’études
de mon père. Alors bien sûr aussi, lorsque vous passez, toujours en filière
classique, dans le S, le ES ou le L, la différence est flagrante. Classes
calmes, studieuses, avec des enfants qui ont conscience de préparer leur
avenir. Je garde un souvenir terrible de cette seconde poubelle, qui achève ses
enfants, pour n’avoir pas su les protéger avant. On me dit aussi que certains
élèves se révèlent dans les filières non traditionnelles. Mais pourquoi si tard ?
Voilà, nous
étions donc à Irun. Mes femmes voulaient faire quelques courses. Je conservais
le souvenir d’une ville noire et puante, comme Pasajes, allez savoir pourquoi. Je
suis allé m’asseoir sur une jolie petite place, à l’abri de platanes, laissant
les filles à leurs occupations. Une petite bière et les pensées déjà s’envolent.
Irun martyr de Mola et de Franco, Irun qui
résista jusqu’à épuisement de ses pauvres munitions, avec des trains d’armes bloqués à Hendaye par
la honteuse « non intervention »
des scandaleux britanniques. Mon père me racontait que c’était une promenade pour
certains d’aller de l’autre coté du
fleuve voir les espagnols s’entretuer. Ils ne savaient pas que c’était un prélude
à leur propre malheur.
Je m’étonnais
que la ville comporte tant de montées et de descentes, de collines et compris
pourquoi, sur ce terrain, la résistance avait pu être dure.
Mais voilà
cette petite place et ses platanes avait quelque chose de doux et tendre. Le
soleil commençait à décliner, presque dans un liquide mielleux, qui commençait
à s’étaler mollement. J’étais bien.
« Tengo que cobrar » me dit
la serveuse avec un sourire. J’étais plutôt fiérot, parce qu’à la table d’à
coté elle avait parlé un français impeccable à de bien exigeants gaulois réfractaires
à la langue du divin manchot. « Comment
payer moins cher ? », « une
ration pour deux ça suffit non ? », « comment se fait t’il qu’il
n’y ait pas d’eau en carafe du robinet ? ». Ils n’avaient rien de
miséreux, et les entendant parler, je compris qu’ils étaient libraires. Il doit
y avoir une sérieuse crise du livre.
Elle était
plutôt grande m’a-t-il semblé, nette, et d’une grande beauté. Un profil fin et
parfait et des cheveux auburn. « Ne
me dites pas qu’en plus vous avez les yeux verts » lui dis-je, victime
de mon syndrome Maureen o’Hara. « Mais
si », dit t’elle, me faisant face dans un grand rire.
J’ai payé et
me suis enfoncé dans mon fauteuil. Elle disparut dans le ventre noir du bar. Peu
après, son sac pendu à son coude, elle transporta un tas de cartons. Ils font
aussi le tri sélectif à Irun. Sans hâte, toujours droite.
Puis elle
chercha le soleil pour traverser la petite place. Le soleil fêtait le cuivre de
ses cheveux. Elle marchait doucement, je pensai alors qu’elle n’avait personne
à rejoindre, au moins dans l’immédiat ou que simplement elle voulait remercier
le soleil d’automne de tant l’embellir.
Elle s’arrêta,
fouilla dans son sac, un drôle de sac qu’on eût dit en carton. Elle sortit une
cigarette qu’elle alluma. Elle en tira une longue bouffée, qu’elle expulsa nez
vers le ciel. La lumière et la fumée la nimbèrent d’une ouate mi argent mi or.
Sans doute
savait t’elle que je la regardais. Elle reprit son chemin, me tournant le dos.
Au coin de la place, elle me fit un petit signe d’adieu de la main.