Lorsque mon épouse m'a demandé ce
que je penserais d'aller une semaine durant les vacances de Pâques à Cuba,
j'étais tout à fait d'accord. J'avais aussi très envie de me rendre compte par moi-même
du pays. En effet, je voulais sortir des schémas d'un anticommunisme primaire,
très en vogue en notre pays, on se demande bien pourquoi, ou de justifications
besogneuses d'une gauche complaisante et embarrassée, on se demande aussi pourquoi. Bref, tout en étant
conscient de l'insuffisance d'une semaine, dont la moitié dans un lieu
hautement touristique, je voulais renifler l'air de là-bas, faisant très
abusivement peut être confiance à une certaine sensibilité et une qualité de « première
impression » qui ne m'a que très rarement trahi.
Donc, pour commencer, 3 jours à
la Havane. L’hôtel déjà, face aux forts espagnols, en bord de baie, à
l'extrémité Est du Malecon. Un ancien hôtel particulier, dirait- on ici, mais
assez petit, avec en photos, les ex propriétaires espagnols. La dame cheveux
courts de jais ondulés, yeux sombres, légèrement prognathe, le monsieur
moustache avantageuse. L'air terriblement sévère, les deux, le regard perdu
dans un vide méditatif abyssal qui n'a rien de guilleret. Partout du marbre, un
escalier monumental, une hauteur sous plafond impressionnante, certainement
plus de 4 mètres. La chambre vaste, très haute de plafond, bien équipée.
Formidablement bien placé cet
hôtel, à deux pas du La Havane historique, au bord du vieux La Havane. Voilà,
c'est donc ici, dans cette baie, près de ce vaste fort que les espagnols ont
subi une défaite navale aussi éclair qu'humiliante face aux américains, en
1898, qui parachevaient la révolte des cubains eux-mêmes. Je l'avoue, cela m'a
ému, car cet événement qui conduisit à la perte des derniers vestiges de
l'Empire Espagnol, devait être d'une importance capitale pour le XXème siècle,
espagnol, s’entend, et peut être européen.
Humiliée l'armée espagnole devait
trouver ici la justification d'une trahison des politiques, mais ce n'étaient
pas les politiques qui faisaient la guerre, et qui plus est, la faisaient assez
lamentablement mal. Elle allait aussi trouver l'appui excessif et inconditionnel d'un roi Alphonse XIII
qui aimait jouer au chef des armées, ou aux soldats de plomb, mais surtout
allait bien vite s'embringuer dans une guerre coloniale, au Maroc, où les militaires humiliés trouvaient, grâce au Roi, de
mirifiques gratifications, en même temps qu'on installait l'armée comme arbitre
des luttes sociales, avec les pleins pouvoirs en matière de répression.
C’est bien ici, sur ces remparts,
face à notre hôtel, ancienne maison de la femme prognathe au regard dur, que
naquit le substrat du « franquisme », dans son expression de
répression violente légitimée, qui fut toujours son credo. Si tant est
toutefois que le terme franquisme ait un sens en matière de doctrine politique,
ce dont il est tout à fait permis de douter. Le franquisme peut aussi être
considéré comme l’expression puissante, cruelle, implacable, version espagnole
de la réaction universelle. C'est encore un autre problème.
Découverte en 1492 par Christophe
Colomb, l'île de Cuba fut annexée à la Couronne Espagnole. Ceci se fit par
l'entremise, c'était une manie chez les « conquistadores », de
l’extermination des peuples autochtones. Les rendements des mines d'or sont
très faibles alors les « conquistadores » en font une escale
pour les navires chargés des richesses du nouveau Monde à destination de l'Espagne. Nous sommes en 1515 et déjà,
faute de main d’œuvre locale suite à son extermination, les Espagnols importent
des esclaves.
On s'épargnera trop de détails,
toutefois, comme souvent dans les peuples, son histoire, je parle de celle de
Cuba, conditionne son devenir. Donc, jusqu'au XVIII ème siècle, l’Île fut un
repaire de pirates qui venaient se servir aux bateaux à destination de l'Espagne,
c’est la raison pour laquelle les Espagnols construisirent les imposantes
fortifications. De même, avec l'aide des esclaves, on cultiva la canne à sucre
et le tabac qui devinrent très appréciés en Europe. Pour mémoire, en 1762 les
anglais prirent le contrôle de Cuba et ses riches plantations, et l’île fut
rendue aux Espagnols en 1763 en échange de la Floride, en vertu du traité de
Paris. La population de Cuba était majoritairement constituée d'esclaves
africains et de colons espagnols qui arrivaient en masse.
Il se créait une bourgeoisie
créole qui en grande partie fit construire les belles demeures qu'on peut
encore observer, en même temps, que se consolidait une identité créole de plus en plus opposée
à la domination espagnole. Au début du XIXème siècle, Cuba était le premier
producteur mondial de canne à sucre et vers 1830, plus de la moitié de la
population était composée par des noirs d'origine africaine, issus évidemment
de l'esclavage.
Entre 1868 et 1886, de nombreuses
guerres d'indépendance se déclenchèrent, sans succès, dont la « guerra
chica » qui conduisit à l'abolition de l'esclavage. Cuba devait être
la dernière colonie à abolir l'esclavage en 1886. Pour mémoire, la traite
des esclaves était déjà interdite en 1880. L'Espagne, entre autres choses avait
exporté à Cuba le « garrot vil », dont Franco devait faire un usage
exemplaire jusqu'à la fin de son règne. En effet, le 2 Mars 1974, Salvador Puig
Antich fut exécuté par garrot vil dans la prison de Barcelone par le bourreau
officiel Antonio Lopez Sierra. Ce fut
une dernière bravade de Franco vis à vis de l'opinion publique internationale.
De plus, le même jour, Georg Michael Welzel, alias Heinz Ches fut exécuté dans
la prison de Tarragone. On pense qu'il s'agissait de faire diversion pour
l'exécution de Puig Antich. Le bourreau inexpérimenté Jose Monero Renomo rata
l'opération et Heinz Ches mit plus de 25 minutes à mourir.
La canne à sucre occupait de l'ordre
de 50 pour cent des terres cultivables, mais la misère régnait à côté de
l'opulence des colons ou des riches créoles. En 1892, Jose Marti qui est encore
vénéré à la Havane, à l’égal du Che, reprit la lutte contre l'oppresseur espagnol
et tomba au combat le 19 Mai. L'Espagne envoya des renforts et le Général Valeriano
Weyler, mais s'avéra incapable de juguler l'insurrection.
Le 15 février 1998, le croiseur
américain Maine envoyé à la Havane pour protéger les possessions américaines
explosait. Les américains en attribuèrent la faute aux Espagnols et leur infligèrent
une défaite aussi rapide qu'humiliante que j'ai déjà évoquée. Le premier janvier
1899, les espagnols remettaient les clés de la Havane aux américains.
En février 1901, la première
constitution était ratifiée. Mais les américains conservaient un droit d’ingérence
dans les affaires cubaines et obtenaient celui d’édifier des bases navales,
dont celle de Guantanamo. Cette indépendance ne profitait certes pas au plus
grand nombre et la canne à sucre était devenue la seule ressource de l’île. Les
premiers syndicats ouvriers et étudiants se formèrent avec la création du Pati
Communiste cubain en 1925.L’intellectuel marxiste Julio Mella fut assassiné au Mexique
en 1929 par des hommes de main du dictateur cubain Machado.
De 1925 à 1933 ce Machado tenta
de maintenir son pouvoir. Devant les pressions sociales, il dut s’enfuir aux
Bahamas en 1933. A partir de ce moment, le sergent Fulgencio Batista mit en
place ou soutint des gouvernements fantoches et fut lui-même président entre
1940 et 1944. Après la seconde guerre mondiale le parti orthodoxe aidé par la
bourgeoisie progressiste aurait pu prendre le pouvoir, mais en 1952 Batista fit
un coup d’État, appuyé par les américains. Ce fut une véritable dictature,
tournant le dos à ses tendances populistes du début. Le pays fut vendu aux
américains et l’argent profita au seul gouvernement. La misère se consolidait.
Cuba était devenu le bordel de l’Amérique
et une base extrêmement active de la mafia qui blanchissait son argent dans les
grands hôtels et les casinos. Fidel Castro commença à s’opposer à ce
gouvernement qu’il jugeait illégitime. Après une tentative de révolution
avortée, il fut emprisonné pendant deux ans puis libéré suite à une amnistie.
Il s’exila au Mexique où il connut le Che. En 1959, Cuba était libérée de ses
dictateurs.
A suivre
A suivre
12 commentaires:
PA-SSION-NANT !!
insoutenable photo du garrot...
oui, c'est pour celà que je l'ai mise. en général, les exécutions dans les prisons se faisaient devcant les autres détenus.
Finalement il y a mille manières d'aborder la découverte d'un pays.
Chulo, comme à ton habitude, tu "fouilles" l'histoire, nous la restitues, toujours de manière très documentée. Texte intéressant qui nous donne très envie de lire la suite .... voyons à présent le volet post-Batista, l'épopée des barbudos et ta vision du monde cubain jusqu'à nos jours ....
Mais comme je te devine curieux et passionné du réel, tu sortiras certainement des méandres de l'histoire pour nous parler du vrai, du présent, des gens quoi !
Les gens ? Quels gens ? Le chulo il a rien vu, il a passé quatre jours sur sept à Varadero, sur des chaises longues à siroter des Pina Coladas avec Pedrito en passant de la crème dans le dos de madame et en se disant que le communisme avait du bon comme des gros impérialistes du Sud-Ouest, non mais...
Chulo, je te vanne, hein...
c t juste pour faire pouffer la Lola...
l'abrazo cubano
Ce n'est pas ce que j'attendais d'un retour de voyage sous les tropiques, moi qui poursuis d'ordinaire les oiseaux dans leurs forêts et les chauves-souris. Mais, franchement, ce texte et passionnant, on s'instruit, on se sort de l'Historiette qu'on a grossièremnt dans sa tête.
A lire dans le calme, à relire et à espérer la suite...
Gina
Bigre... vous vous promenez dans les forêts au crépuscule ???
je saisis pas bien les forets au crépuscule, peut être le moment où sortent les chauves-souris? help!!!
Ben voui, t'as saisi !
Messieurs, sous les tropiques la durée du jour est de 12 h en moyenne. Entre dix-huit et vingt heures, qui songe à se coucher ? Les chauves-souris sont dans les villes, accrochées comme d'énormes grappes de raisins - je ne parle pas des mignonnes bestioles de chez nous - aux eucalyptus. On a droit à leurs cris stridents quand elles quittent leurs arbres pour chasser et on a intérêt à ne pas trop rester dessous !
Gina
J'attends la suite avec impatience...
Oui, on en oublierait presque aujourd'hui que ce fut une sacrée libération en 1959. Reste à voir ce qui en a été fait depuis. Le bilan global est probablement très nuancé. Mais je n'y suis pas allé, même au crépuscule, alors je la ferme là-dessus. Et j'attends la suite.
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