Le voyage s’était bien passé. L’arrivée aussi avec des
contrôles certes sérieux mais fort bien organisés. Nombreux guichets, files
disciplinées. Rien à voir avec le foutoir d’Ivato, l’aéroport de Tana lors de
l’arrivée d’un grand vol, où d’ailleurs
ce sont les « vazahas » et
les opulents français d’origine malgache résidents en France, les plus sauvages.
D’autant que cela ne sert à rien, car ensuite les bagages arrivent au
compte-goutte, une heure après, dans le meilleur des cas. A croire que d’aucuns
ont conservé de légères tendances colonialistes, se manifestant par des réflexes désagréables.
Nous étions attendus à l’arrivée
par une jeune femme qui semblait trouver le temps long. Un sourire de
convenance, visiblement pressée, la donzelle. Taxi donc, et elle se fait
larguer sur la route de l’aéroport à l’hôtel,
pour rejoindre un type. Le chauffeur de taxi ne desserre pas les dents. Ça en
général ça m’agace. Donc sur la route je vois deux effigies illuminées de Che
et d’un autre barbu et je murmure d’un ton savant à Mathilde : « tiens ce sont Le Che et Fidel Castro ! ».
Le chauffeur n’est pas sourd, il rectifie sèchement : « Castro no, Cienfuegos si ! con El Che», ce qui a le
mérite de la clarté, de la concision et de ne pas nécessiter de traduction,
tout en levant le doute sur une éventuelle surdité de notre pilote. Cienfuegos
était en effet un des grands révolutionnaires qui agirent aux cotés de Castro.
Il ne devait plus desserrer les lèvres jusqu’à l’hôtel, le pilote. Nous avons
dû descendre les valises nous-mêmes. Pas de pourboire donc ! D’un autre
côté, miracle ici de la sur éducation il
est fort peu probable qu’à Ivato, (Tana) un taxi, de ceux qui achètent une
bouteille d’eau minérale d’essence après chaque course vous reprenne sur ce genre
d’erreur. Il est vrai qu’eux, les malgaches, sont artisans ultra-libéraux et
suprêmement free-lance !
Le lendemain matin rendez-vous
avec l’organisatrice de notre séjour à La Havane. C’est une formule que nous
n’aimons pas, préférant en général nous fier à notre instinct, mais nous
voulions voir La Habana, Cojimar, la maison d’Hemingway, une fabrique de
cigares, le Malecon et renifler la ville, le tout en trois jours. Donc rendez-vous avec
l’organisatrice en chef. Nous lui reprécisons ce que nous avons prévu de faire.
Elle a le physique aimable des espionnes tortionnaires du KGB dans les films du
genre, de troisième catégorie, qui vous déchirent la carotide de leurs dents,
voire j’en tremble toujours, les parties plus intimes. Et gracieuse donc!
Je lui précise que lors d’une visite en voiture, nous aimerions voir les quartiers déshérités
de La Habana. Elle me renvoie sèchement dans mes buts : « il n’y a pas de pauvreté à
Cuba ! ». Merde ça commence bien ! Pour la partie La Habana, ce
serait Carina qui s’occuperait de nous. Adios Señora !
Entre le personnel de l’hôtel,
totalement indifférent et traînant des pieds, surtout le matin pour le petit
déjeuner, incompréhensiblement situé au premier étage, ce qui implique d’incessants
aller-retour du serveur, entre le
premier et le rez de chaussée, qui plus est par l’ascenseur, incroyablement
lent, et la sévère organisatrice, nous nous disions que tout cela n’augurait
rien de bon. « C’est peut-être parce que nous sommes fatigués du
voyage » dit mon épouse, pour désamorcer la mauvaise humeur qu’elle
sent enfler en moi.
J’essayais de me calmer sur le
balcon, observant non loin de là, les forts et le phare, début du Malecon. Ce
Malecon, je voulais à tout prix le voir, les photos de Marc Delon, si fortes
qu’il avait publiées dans son blog étaient restées gravées dans mon esprit.
Puis Carina est arrivée. Un tout petit bout de femme de 32
ans, nous dira-t-elle plus tard, rien à voir avec les sculpturales métisses
géantes tout en fesses et en seins qui forgent l’image qui n’a rien de
subliminale de la cubaine. Carina est bien plus petite que Mathilde et doit
mesurer entre 1m50 et 1m55. Je ne lui ai pas demandé. Elle a la peau très
claire, pratiquement diaphane, une belle peau de femme auburn. Elle est ravissante. Pas une beauté mais un
charme certain. De plus, elle parle un français quasiment parfait. Après une
visite de la ville parfaite, nous avons déjeuné ensemble.
Nous nous étonnons de la qualité
de son français : non, elle n’est pas venue en France, elle l’a étudié ici
à Cuba à l’université, pendant 5 ans. Son frère lui est médecin. Il part
souvent en mission en Amérique du Sud ou en Afrique. Lorsqu’il est à Cuba, il
gagne 40 CuCs par mois.
"Nous avons beaucoup de médecins,
dit-elle et des bons". Le tourisme médical est très pratiqué, que ce soit en
cardiologie, en chirurgie des yeux, également pour les traitements du cancer.
« les soins médicaux sont bien gratuits ici ? », « oui dit t’elle. Le seul problème est
qu’avec la crise, Cuba a du mal à approvisionner les médicaments. Ainsi, en
général les médicaments distribués seront des génériques, et quelques fois, lorsqu’ils ne suffisent pas, ce peut
être compliqué ».
Peu à peu, elle se détend. Elle
relance souvent la conversation. « C’est
plus facile parce que vous parlez espagnol, me dit-elle ». Je saisis
mal le sens de sa phrase. Elle ne me semble pas du genre à flagorner. « Nous sommes étonnés lui dis-je de
voir très peu de policiers ». Elle sourit. « Vous savez dit-elle ce n’est pas la peine, ce restaurant, comme
presque tous, appartient à l’Etat ». « Alors dis-je ? ». Elle n’en dira pas plus. La
vérité est qu’on voit bien moins de police qu’en France, et tout semble très calme. L’impression de
sécurité est totale.
Elle nous confirme que comme
beaucoup de cubains, elle est logée gratuitement, avec son fils et ses parents,
car il lui est difficile d’obtenir un logement pour elle et son fils, , et
qu’ils ont droit à des tickets d’alimentation. Pas en nombre suffisant pour
couvrir tous les besoins d’un mois, mais ça aide.
« Les gens sont pauvres ici, dit-elle, mais lorsqu’on est
pratiquement nourris, éduqués, soignés, logés, ce n’est pas la misère n’est-ce
pas ? ». « Comment
font t’ils avec ces salaires dis-je ». « Ils se débrouillent », dit -elle en riant. « Les cubains ont appris à se
débrouiller, et puis, avec Raul, ça évolue ». Il est vrai que depuis 1
an, de plus en plus de monopoles de l’Etat sont ouverts à la libre entreprise.
On peut ouvrir des magasins, faire le taxi, acheter un appartement ou une
maison. Il est vrai que le parc immobilier est dans un état plus que
préoccupant, personne n’ayant les moyens, État ou occupants de l’entretenir.
Restera à trouver un équilibre. Peut-être seront t’ils tentés par le modèle
chinois.
Tout en connaissant la réponse,
mon épouse lui demande : « pourquoi
n’avez-vous pas fait professeur ? ». « C’est vrai dit-elle, la paye est fixe, mais je préfère faire ce
que je fais. Je voyage avec mes clients dit-elle ». Elle regarde
souvent Mathilde. Elle lui dit qu’elle est née à Madagascar et qu’elle a été
adoptée. « J’ai un fils dit-elle, il
a 9 ans et s’appelle Mauricio ». Je repense au salaire de son frère,
40 CuCs, « même pas le prix de
bonnes chaussures » avait-elle
dit.
« Vous voyagez beaucoup ? » nous demande-t-elle. « Oui, avons-nous répondu en détaillant
nos voyages. Nous le faisons par goût, mais aussi pour que Mathilde voie
d’autres horizons et qu’elle ait l’esprit plus ouvert ». Carina me
regarda avec gravité. « Pourquoi ?
Vous pensez que nous sommes des idiots parce que nous ne voyageons
pas ? ». Je n’ai pas trop
su que répondre.
Elle nous avoue que par-dessus
tout, elle aimerait voir Barcelone. Pour Gaudi, mais aussi parce que cette
ville la fait rêver. Plus que Rome ou
Paris. Barcelone.
Nous avons évoqué le tourisme, insistant sur la chance
que ce pourrait être pour Cuba. «Et puis
ai-je ajouté, on, me dit que les grandes plages, ça n’a rien en envier à l’Ile
Maurice, par exemple ». « C’est
beau l’Ile Maurice ? Où est-ce ?». Nous lui expliquons. Elle
réfléchit fortement puis son visage s’illumine : « Il sera content Mauricio, de savoir qu’une île porte le même nom
que lui ! », dit-elle.
A suivre
8 commentaires:
Il est bien émouvant, ce dialogue avec Carina la cubaine. Et nous nous rendons compte des déformations, des erreurs que notre regard occidental nous fait commettre face à la vraie vie de ces pays.
Est-ce qu'on peut dire que Cuba a eu de la "chance" en échappant à la déliquescence du voisin américain du nord d'un côté et à la pagaïe des états d'Amérique du Sud de l'autre coté ? L'île est passée à côté d'une fabuleuse prospérité mais quel en aurait été le prix ?
Je crois que Mathilde a beaucoup de chance d'assister à de telles rencontres et d'écouter de tels dialogues.
JLB
Merci JLB pour c commentaire flatteur. C'est en effet bien la question qu'on se pose, ce devenir de cuba qui a des atouts sérieux: un très haut niveau d'éducation, populaire, j'insiste bien, une mine d'or touristique et des ressources non négligeables.
ce qui est à peu près certain c'est que nous y reviendrons pour voir cette évolution, dans deux ou trois ans.
il nous semble, de retour en France, qu'en effet il faut se défier soit des commentaires, qu'on dira d'un anticommunisme primaire, soit des adulateurs tout aussi ridicules.
je ne reviens pas avec l'envie d'un régime de ce type, mais sa singularité reste étonnante, voire passionnante.
Chulo, j'aurais répondu à Carina que c'est son propre pays qu'elle connaitrait mieux en voyageant.
Et on comprend mieux tout ce que la rencontre de touristes peut apporter comme ouverture d'esprit.
Gina
Moi j'aurais assumé :
Oui, on est toujours un peu moins con que lorsqu'on est parti, quand on revient de voyage...!
Je t'enverrais fissa tous les bobos-gauchos-écolos-parigots en colonie de vacances en Russie pour les épanouir, moi, ce serait vite fait ! ;-)
déjà quand je constate le ton employé par JLB pour commenter en 'chulandie" ça me troue...
je pense que tu te sens mieux après ce brillantissime commentaire!
Alons ! Allons ! Marc, ça arrive même aux plus grands gardiens de buts de se trouer.
JLB
eh bien désolé pour la prétention mais je ne le trouve pas si con que ça mon commentaire, il renferme trois pistes à explorer...
A ne pas rater Dimanche à 22h50 sur la 6 un documentaire sur Cuba : les "joies" du régime communiste au quotidien.
Hé bien, je tiens à te dire que je suis à fois désolé et fatigué.
désolé car je ne pense pas faire un panégyrique du communisme,fatigué car ce leimotiv me gonfle sérieusement.
marc à une certaine époque, je parle des communistes français, ils ne sont pas trompés, alors que les pères de nos partisans de la france préféraient les charmes de hitler et en conservent une sérieuse nostalgie.
mais je comprends que rester dans ce type de schéma facilite la vie, et c'est bien l'essentiel.
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