Voilà, pour un certain nombre de
raisons, je me sens plutôt abattu. J’ai repris mes livres, et c’est avec un
plaisir intact que je me replonge dans « Diarios
Completos » de Manuel Azana.
Ce ne sont pas des Mémoires, ce
sont des notes, prises au jour le jour, avec d’importantes interruptions. Elles
sont en tous cas précieuses pour comprendre les difficultés de la Seconde
République espagnole, et aussi, son naufrage dans la Guerre d’Espagne, dans la
foulée de celui des forces de gauche : Républicains de gauche, PSOE,
anarchistes, CNT, UGT, et, in fine PCE.
Au fil des mois et années, on y
croise ceux qui seront les acteurs de la tragédie : Queipo de Llano qui
fut d’abord républicain, Mola, les Franco, Cabanellas, Sanjurjo, Maura,
Lerroux, Gil Robles, Calvo Sotello et tant d’autres, jusqu’à l’exil et la mort
rapide à Montauban, de Don Manuel, dans
une chambre d’hôtel payée par le gouvernement mexicain. Le gouvernement de
Vichy le pourchassait pour lui réserver le même sort que Companys, Zugazagoitia,
mais aussi, Peiro l’anarchiste pacifiste, et l’envoyer au peloton d’exécution.
Il repose dans une tombe modeste au cimetière de Montauban.
Il est mort avant d’avoir pu
exploiter ces notes, probablement pour en faire ses mémoires. Je les regrette
d’autant plus, ces Mémoires, que j’ai lu
beaucoup de choses qu’ont écrites les autres intervenants. Hé bien dès que ce
n’est pas écrit à chaud, on sent toujours un besoin de justification qui prime
sur tout. C’est la raison pour laquelle je me méfie des autobiographies. Manuel
Azana dit les choses telles qu’il les a vécues, au moment, avec ses amitiés,
ses inimitiés, ses doutes et ses certitudes. De plus Manuel Azana était un
écrivain.
On comprend mieux pourquoi cet
esprit libre, à la tête d’un minuscule parti, a su et pu fédérer un petit temps
les espoirs de la gauche espagnole, divisée, incohérente, victime de cette
division et de l’utopie anarchiste extrême. Il fallut tout un génie politique
pour fédérer un front populaire espagnol, qui fut bien fragile.
On comprend aussi pourquoi aucun
homme politique espagnol n’a été autant haï et dénigré par la droite
espagnole : il était laid, antéchrist, homosexuel, sûrement maçon, et que sais-je
encore. Lui il haïssait la violence, et déjà en Aout 1936 lors de la première
émeute de la prison Modelo, qui coûta la vie à Melquiades Alvarez, il en conçut
une tristesse effrayante. Il avait une haute idée de la République, laïque, et
admirait la République Française.
Il ne croyait pas aux révolutions
violentes, façon anarchistes extrêmes, qui massacrèrent les ecclésiastiques, au lendemain du 18 juillet 1936, mais
tenta plus de réformes en deux ans qu’il ne fut possible. Il voulut séparer
l’Eglise de l’Etat, et redonner ses lettres de noblesse à un enseignement
public et laïc, « dégraisser la
mammouth » militaire, mener à bien une réforme agraire, et tant d’autres
choses qui auraient pu faire de la toute nouvelle démocratie espagnole une des
plus avancées et progressistes d’Europe, par exemple donner le droit de vote
aux femmes, pourtant présumées asservies à l’Eglise et influençables. Ce qui
lui manqua le plus, ce fut du temps et aussi un appui loyal des forces
coalisées.
Dans ses nombreux moments de
fragilité, Azana écrivait combien il aimait la campagne et les montagnes
environnantes de Madrid, avec une tendresse particulière pour l’Escorial.
Lorsqu’il se fût replié à Barcelone, il dira combien ces environs de Madrid lui
manquaient. Mais aussi il aimait les longues « tertulias »,
jusque très tard dans la nuit avec ses amis fidèles. Mais surtout il disait et
répétait que ce qui lui manquait le plus, c’étaient ses lectures, et surtout
l’écriture. Il n’aimait rien tant non plus qu’arpenter les rues de son Madrid,
où il sentait vibrer cette âme « castiza »
de son Espagne, ou aller au théâtre ou dans les musées.
Ses détracteurs ont voulu prétendre qu’il était en fait un
écrivain frustré, en tous cas dans les « Diarios Completos », il y a des
passages qui sont ceux d’un vrai écrivain.
Au-delà de bien d’autres
considérations, il me semble que cette lecture fait réfléchir sur deux points
essentiels :
-
Malheureusement, la démocratie ne se décrète
pas, même par BHL. Azana a voulu ignorer toutes les phases nécessaires de
consolidation d’une démocratie, et il fallut 40 ans de franquiste en Espagne pour
déboucher sur une vraie démocratie, après la plus ignoble cruelle et insensée
guerre fratricide, et bien plus dans les autres pays européens. Et je m’interroge
toujours sur ces démocraties du printemps arabe, y compris tunisienne. Car la
démocratie émane du peuple et de consciences politiques et culturelles fortes.
Allez donc parler de démocratie dans un pays où l’analphabétisme est supérieur
à 50 pour cent et où les gens doivent vivre avec bien moins d’un demi euro par mois,
comme à Madagascar et où il n’y pas de séparation de l’Eglise et de l’Etat,
comme dans les pays islamistes,
-
La gauche n’a jamais su réaliser son unité. C’est
ce qui la distingue de la droite, elle-même devant faire face à ses courants,
mais qui sait parfaitement faire le dos rond fédérée autour du chef. En plus, elle a toujours estimé
que le pouvoir était son dû, alors que la gauche est toujours passée pour un voleur de poules, et n'a pas en général la culture du chef.
En Espagne, le 18 Juillet 1936, l’émeute
des généraux félons avait échoué, pratiquement. En partant dans un processus
révolutionnaire, dont tout le monde a voulu minimiser l’ampleur, en massacrant
7000 ecclésiastiques, elle s’est mis à dos, cette gauche, contre l’avis du
Kominterm partisan d’une alliance avec les partis modérés ou bourgeois, toute l’opinion
publique internationale qui n’en demandait pas tant pour justifier le
scandaleux pacte de non intervention. Les autres, finalement ont fait bien pire mais qui penserait compter les
instituteurs massacrés, les professeurs, les petits gouverneurs, les membres
des « casas del pueblo », les ouvriers, les paysans et
même les quelques curés basques ou les lointains sympathisants. Tout ceci fait
évidemment basculer la simple logique arithmétique.
4 commentaires:
Laissons BHL à ses mises en scène médiatisées. Les révolutions n'ont pas besoin de lui. Bien sûr que c'est difficile de fédérer, consolider, affirmer et tenir le cap ... (tiens, j'avais oublié Queipo de Llano et ses circonvolutions et reniements).
Pour les 7000 ecclésiastiques, oui, la comptabilisation est plus facile que pour la somme d'autres couches sociales moins "visibles". Le fait est que persister dans un esprit comparatif devient, hélas, à présent bien dérisoire ...
Te sachant fort documenté : "Casas del Pueblo" socialistes contre "Casinos" ou "Circulos" plutôt de droite ?
Bonjour Maja,
je ne connaissais pas l'expression "casinos" quant aux "circulos" ce devaient être des cercles non?
les "casas del pueblo" étaient implantées par la république, (initiative plutôt syndicale de Largo Caballero), dans les villes voire villages pour d'une part veiller au respect des nouvelles règles gérant les rapports ouvriers patrons, intervenir en cas de litige. La deuxième république a apporté de nombreuses modifications dans la législation du travail, qui en avait bien besoin.
«il était laid, antéchrist, homosexuel, sûrement maçon, et que sais-je encore»: noir? juif? aficionado?
Tu as raison, Chulo, la démocratie ne s'impose pas, ne se décrète pas, ne s'exporte pas. Elle résulte de la maturation chaotique de l'ensemble d'une société et demeure en permanence un équilibre fragile et instable. La démocratie qui «ne s'use que si l'on ne s'en sert pas» n'est pas une institution, c'est un état de la société.
Si la gauche a du mal à se regrouper et à s'unifier, c'est parce qu'elle est le «parti de la critique» de citoyens «conscientisés en opposition avec la droite, le «parti de la certitude» du chef omniscient. On l'a bien vu avec Sarko!
Remets toi bien!!!
Ce que je veux dire Maja, c'est qu'il y a eu certainement autant d'instituteurs et de professeurs tués par les rebelles que de religieux tués par les "rojos". De plus tout fut fait pour faire cesser ce massacre des religieux qui avait un effet désastreux sur l'opinion publique. On estime que la majorité de ces meurtres se produisirent durant les mois de juillet, après le 18;, Aout t septembre pour pratiquement,à quelques exceptions près cesser en 1937.
Franco continuera les tueries bien après le 1er avril 1939, c'est à dire pendant des années, pratiquement à jet continu jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, le premier avril 1939 étant la fin officielle de la guerre.
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