Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 17 septembre 2012

De tout et de rien.


Voilà, pour un certain nombre de raisons, je me sens plutôt abattu. J’ai repris mes livres, et c’est avec un plaisir intact que je me replonge dans « Diarios Completos » de Manuel Azana.

Ce ne sont pas des Mémoires, ce sont des notes, prises au jour le jour, avec d’importantes interruptions. Elles sont en tous cas précieuses pour comprendre les difficultés de la Seconde République espagnole, et aussi, son naufrage dans la Guerre d’Espagne, dans la foulée de celui des forces de gauche : Républicains de gauche, PSOE, anarchistes, CNT, UGT, et, in fine PCE.

Au fil des mois et années, on y croise ceux qui seront les acteurs de la tragédie : Queipo de Llano qui fut d’abord républicain, Mola, les Franco, Cabanellas, Sanjurjo, Maura, Lerroux, Gil Robles, Calvo Sotello et tant d’autres, jusqu’à l’exil et la mort rapide à Montauban, de Don Manuel,  dans une chambre d’hôtel payée par le gouvernement mexicain. Le gouvernement de Vichy le pourchassait pour lui réserver le même sort que Companys, Zugazagoitia, mais aussi, Peiro l’anarchiste pacifiste, et l’envoyer au peloton d’exécution. Il repose dans une tombe modeste au cimetière de Montauban.

Il est mort avant d’avoir pu exploiter ces notes, probablement pour en faire ses mémoires. Je les regrette d’autant plus, ces Mémoires,  que j’ai lu beaucoup de choses qu’ont écrites les autres intervenants. Hé bien dès que ce n’est pas écrit à chaud, on sent toujours un besoin de justification qui prime sur tout. C’est la raison pour laquelle je me méfie des autobiographies. Manuel Azana dit les choses telles qu’il les a vécues, au moment, avec ses amitiés, ses inimitiés, ses doutes et ses certitudes. De plus Manuel Azana était un écrivain.

On comprend mieux pourquoi cet esprit libre, à la tête d’un minuscule parti, a su et pu fédérer un petit temps les espoirs de la gauche espagnole, divisée, incohérente, victime de cette division et de l’utopie anarchiste extrême. Il fallut tout un génie politique pour fédérer un front populaire espagnol, qui fut bien fragile.

On comprend aussi pourquoi aucun homme politique espagnol n’a été autant haï et dénigré par la droite espagnole : il était laid, antéchrist, homosexuel, sûrement maçon, et que sais-je encore. Lui il haïssait la violence, et déjà en Aout 1936 lors de la première émeute de la prison Modelo, qui coûta la vie à Melquiades Alvarez, il en conçut une tristesse effrayante. Il avait une haute idée de la République, laïque, et admirait la République Française.

Il ne croyait pas aux révolutions violentes, façon anarchistes extrêmes, qui massacrèrent les ecclésiastiques, au lendemain du 18 juillet 1936, mais tenta plus de réformes en deux ans qu’il ne fut possible. Il voulut séparer l’Eglise de l’Etat, et redonner ses lettres de noblesse à un enseignement public et laïc,  « dégraisser la mammouth » militaire, mener à bien une réforme agraire, et tant d’autres choses qui auraient pu faire de la toute nouvelle démocratie espagnole une des plus avancées et progressistes d’Europe, par exemple donner le  droit de vote aux femmes, pourtant présumées asservies à l’Eglise et influençables. Ce qui lui manqua le plus, ce fut du temps et aussi un appui loyal des forces coalisées.





Durant les deux premières années de la république, (1931-1933) les coups les plus  rudes lui furent portés par les anarchistes, en particulier lors des émeutes de « Casas Viejas », qui conduisirent au paradoxe que la gauche le taxa de sauvagerie et la droite de faiblesse. On comprend bien sûr que la demande était pressante, mais il passa énormément de temps et d'énergie à déjouer les pièges et les traîtrises dans son propre camp, avec de pseudo révolutionnaires comme Largo Caballero, plus soucieux de compter les adhérents  à son syndicat, la UGT, en compétition révolutionnaire avec la chaotique CNT. Alors l’exécutif du PSOE, plutôt bien tenu par Prieto, finalement très proche de Azana,  voulait collaborer avec ces Républicains, tandis que Largo Caballero utilisait l’énorme force de pression de l’UGT, et que le  Président de cette République, Niceto  Alcala Zamora, de centre droit,  passait son temps à mettre des bâtons dans les roues de la réforme. Il était très catholique et finalement conservateur, opposé pratiquement à toutes les réformes qui touchaient l’Eglise ou la propriété terrienne, car lui-même était un latifundiste et proche de l’Eglise. Largo Caballero était seulement un chef syndicaliste, dont la puissance se comptait en comptant les adhérents. De ce syndicat, il tirait sa  légitimité, y compris contre son parti de tutelle, et son ennemi ou concurrent intime, Indelacio Prieto, très proche intellectuellement de Azana.

Dans ses nombreux moments de fragilité, Azana écrivait combien il aimait la campagne et les montagnes environnantes de Madrid, avec une tendresse particulière pour l’Escorial. Lorsqu’il se fût replié à Barcelone, il dira combien ces environs de Madrid lui manquaient. Mais aussi il aimait les longues  « tertulias », jusque très tard dans la nuit avec ses amis fidèles. Mais surtout il disait et répétait que ce qui lui manquait le plus, c’étaient ses lectures, et surtout l’écriture. Il n’aimait rien tant non plus qu’arpenter les rues de son Madrid, où il sentait vibrer cette âme « castiza » de son Espagne, ou aller au théâtre ou dans les musées.

Ses détracteurs ont  voulu prétendre qu’il était en fait un écrivain frustré, en tous cas dans les « Diarios Completos », il y a des passages qui sont ceux d’un vrai écrivain.

Au-delà de bien d’autres considérations, il me semble que cette lecture fait réfléchir sur deux points essentiels :

-          Malheureusement, la démocratie ne se décrète pas, même par BHL. Azana a voulu ignorer toutes les phases nécessaires de consolidation d’une démocratie, et il fallut 40 ans de franquiste en Espagne pour déboucher sur une vraie démocratie, après la plus ignoble cruelle et insensée guerre fratricide, et bien plus dans les autres pays européens. Et je m’interroge toujours sur ces démocraties du printemps arabe, y compris tunisienne. Car la démocratie émane du peuple et de consciences politiques et culturelles fortes. Allez donc parler de démocratie dans un pays où l’analphabétisme est supérieur à 50 pour cent et où les gens doivent vivre avec bien moins d’un demi euro par mois, comme à Madagascar et où il n’y pas de séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme dans les pays islamistes,

-          La gauche n’a jamais su réaliser son unité. C’est ce qui la distingue de la droite, elle-même devant faire face à ses courants, mais qui sait parfaitement faire le dos rond fédérée autour du chef. En plus, elle a toujours estimé que le pouvoir était son dû, alors que la gauche est toujours passée pour  un voleur de poules, et n'a pas en général la culture du chef.

En Espagne, le 18 Juillet 1936, l’émeute des généraux félons avait échoué, pratiquement. En partant dans un processus révolutionnaire, dont tout le monde a voulu minimiser l’ampleur, en massacrant 7000 ecclésiastiques, elle s’est mis à dos, cette gauche, contre l’avis du Kominterm partisan d’une alliance avec les partis modérés ou bourgeois, toute l’opinion publique internationale qui n’en demandait pas tant pour justifier le scandaleux pacte de non intervention. Les autres, finalement ont  fait bien pire mais qui penserait compter les instituteurs massacrés, les professeurs, les petits gouverneurs, les membres des « casas del pueblo », les ouvriers, les paysans et même les quelques curés basques ou les lointains sympathisants. Tout ceci fait évidemment basculer la simple logique arithmétique.


Que chacun en tire les conclusions qu’il souhaite !

4 commentaires:

Maja Lola a dit…

Laissons BHL à ses mises en scène médiatisées. Les révolutions n'ont pas besoin de lui. Bien sûr que c'est difficile de fédérer, consolider, affirmer et tenir le cap ... (tiens, j'avais oublié Queipo de Llano et ses circonvolutions et reniements).

Pour les 7000 ecclésiastiques, oui, la comptabilisation est plus facile que pour la somme d'autres couches sociales moins "visibles". Le fait est que persister dans un esprit comparatif devient, hélas, à présent bien dérisoire ...

Te sachant fort documenté : "Casas del Pueblo" socialistes contre "Casinos" ou "Circulos" plutôt de droite ?

el Chulo a dit…

Bonjour Maja,
je ne connaissais pas l'expression "casinos" quant aux "circulos" ce devaient être des cercles non?
les "casas del pueblo" étaient implantées par la république, (initiative plutôt syndicale de Largo Caballero), dans les villes voire villages pour d'une part veiller au respect des nouvelles règles gérant les rapports ouvriers patrons, intervenir en cas de litige. La deuxième république a apporté de nombreuses modifications dans la législation du travail, qui en avait bien besoin.

Xavier KLEIN a dit…

«il était laid, antéchrist, homosexuel, sûrement maçon, et que sais-je encore»: noir? juif? aficionado?
Tu as raison, Chulo, la démocratie ne s'impose pas, ne se décrète pas, ne s'exporte pas. Elle résulte de la maturation chaotique de l'ensemble d'une société et demeure en permanence un équilibre fragile et instable. La démocratie qui «ne s'use que si l'on ne s'en sert pas» n'est pas une institution, c'est un état de la société.

Si la gauche a du mal à se regrouper et à s'unifier, c'est parce qu'elle est le «parti de la critique» de citoyens «conscientisés en opposition avec la droite, le «parti de la certitude» du chef omniscient. On l'a bien vu avec Sarko!

Remets toi bien!!!

el Chulo a dit…

Ce que je veux dire Maja, c'est qu'il y a eu certainement autant d'instituteurs et de professeurs tués par les rebelles que de religieux tués par les "rojos". De plus tout fut fait pour faire cesser ce massacre des religieux qui avait un effet désastreux sur l'opinion publique. On estime que la majorité de ces meurtres se produisirent durant les mois de juillet, après le 18;, Aout t septembre pour pratiquement,à quelques exceptions près cesser en 1937.
Franco continuera les tueries bien après le 1er avril 1939, c'est à dire pendant des années, pratiquement à jet continu jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, le premier avril 1939 étant la fin officielle de la guerre.