Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 7 février 2013

Une fille de Diego


 
Diego est une belle ville, pour Madagascar. Avec des avenues droites et nettes, et une propreté assez surprenante. Elle exhibe des vestiges d’une présence coloniale militaire française très importante, qu’on devine avoir été assez fastueuse.

 
 
Des ruines aussi comme cet hôtel d’antan, livré aux ronces. Ce fut le plus bel hôtel de Diego. Mathilde a voulu en visiter les ruines. C’est un exercice qu’elle a toujours affectionné. Par les ouvertures on voit la mer et son bleu argenté froissé comme un papier d’aluminium par les alizées. On nous avait dit, Diego c’est magnifique mais, surtout, en Juillet et Aout, c’est la période venteuse. Et le vent est omniprésent, et d’une certaine façon, il ferait aussi chaud qu’à Majunga, sans la fraicheur de l’Alysée. Jamais, pendant notre séjour, il n’a par exemple soulevé le sable ou été agressif. C’était une bonne brise permanente.

Le soir, la ville sort doucement de sa torpeur, mais sans jamais grouiller comme les autres villes malgaches. Pas ou très peu de mendiants ou de quémandeurs. Les « vazahas » n’ont pas l’arrogance qu’ils montrent en d’autres lieux. Il en est même de nombreux, d’âge disons mur qui se promènent avec des femmes malgaches d’âge en rapport.

Nous fréquentions le soir un restaurant italien sur la grande avenue. Le patron, la cinquantaine un peu désuète style soixante huitard attardé genre "peace and love", queue de cheval poivre et sel,  est Italien. Il est arrivé à Diego il y a 20 ans pour faire de la plongée, il n’est jamais reparti. Dans son établissement les serveuses sont souriantes et détendues. Il les traite visiblement avec beaucoup de considération affectueuse. Sur la carte, il présente tout son personnel, avec chacun et chacune un mot aimable. Sa plus grande fierté est que certaines sont là depuis plus de 15 ans.

Il me dit qu’ainsi il voulait rendre à ce pays tout le bonheur qu’il lui procurait.

J’avais quelques problèmes de bronchite récoltée à Tana et j’étais sorti sur la terrasse donnant sur la grande rue. En face, attablés le long d’une palissade des clients d’un restaurant ambulant chichement éclairé mangent en silence.

Une des serveuses est venue me rejoindre. Assez petite, avec des cheveux de jais, joliment ondulés et mi longs. Elle est  petite, un peu rondouillarde, contrairement aux femmes d’ici, sa peau est aussi plus noire que celle des gens d’ici. Ayant lu la présentation du personnel, je comprends qu’il s’agit de la serveuse de confiance, la plus ancienne aussi.

Désignant la tablée le long de la palissade, de l’autre côté de l’avenue,  elle me dit en riant : « c’est moins cher là ». « vous y mangez parfois dans ces gargotes ? », « oui répond -elle en riant. J’aime bien, ce n’est pas trop cher et c’est assez bon, dans certaines ». Elle ajoute : « les sacs à dos y mangent souvent ». Les sacs à dos sont de jeunes  vazahas aventureux qui visitent l’ile à coups de taxi brousse voire de stop ou en marchant. J’ai demandé : « ils supportent ? ». Cela la fit rire. « il faut s’habituer, au début c’est difficile pour les vazahas, ils n’ont pas les anticorps ».

Habituellement, j’évite certaines maladresses. Il est clair par exemple que pour un salaire « moyen » malgache de bien moins de 30 euros, fréquenter les restaurants que nous fréquentons est quasiment impensable.

Parfois des filles plutôt délurées s’arrêtent et me disent, « ça va vazaha ? », puis elles ajoutent des commentaires du cru que je ne comprends évidemment pas. Ils font marrer la brune. « Qu’ont t’elles dit ? ». « Que la nuit est belle » ment-elle effrontément dans son grand rire.

« Plus tard, dit -elle, vers minuit, Diego s’anime beaucoup » . En effet Diego a la réputation d’être, disons assez chaude la nuit.

Je lui demande : « Etes-vous mariée ? ». « Non, mais j’ai une fille ». C’est ainsi, qu’une seconde fois, je devais manifester ma maladresse. « Et le papa ? » je dis. Elle rit franchement : « parti, depuis longtemps ». En effet si le malgache mâle a une forte propension à la dispersion séminale, il est fortement aidé dans un pays où les filles ont en moyenne des rapports sexuels toujours non protégés dès 13 ans.


« Je voulais cet enfant » me dit –elle. Elle dit aussi, qu’en général, les filles, qu’il soit désiré ou accidentel, ce qui représente le cas de figure le plus important, conservent toujours le premier enfant. Ce, au moins pour une raison : pour une femme malgache, avoir un ou plusieurs enfants devrait représenter une manière de « garantie » pour les vieux jours, en même temps d’ailleurs qu’une valorisation de la femme, donc, les parents font plus qu’encourager les jeunes mères à garder le premier enfant. Ensuite évidemment, la misère, l’absence d’éducation, les croyances, l’analphabétisme, l’absence d’hygiène, font que le taux de fécondité de la femme malgache est assez vertigineux, supérieur à 5, et que plus de la moitié de la population malgache a moins de 18 ans.

Elle m’explique que le papa n’est pas un « vazaha », mais bien un malgache, et qu’en plus il les aide bien, elle et sa fille.

Je me souviens combien l’air de la nuit était doux. Nous évoquons la surnatalité. En riant, elle fait un signe mimant une piqure dans le haut du bras. « Maintenant dit-elle tout le monde pourrait avoir les enfants qu’il désire ». Il est toujours possible d’obtenir des implants contraceptifs gratuits qui protègent la femme pendant 5 ans.

Elle m’explique que depuis deux ans, les bandes de bandits de Diego sont moins actives. Pour les réduire, il aura fallu faire venir les renforts de Tana et ses « merina » abhorrés. La police locale était très souvent de mèche.

Je fais remarquer que les musulmans sont très nombreux ici. Elle me confirme ce que j’avais déjà remarqué à Majunga : la cohabitation ne pose pas le moindre problème. Même me dit -elle, il y a beaucoup de mariages inter religieux.

Elle est arrivée d’Antsoii il y a plus de 15 ans. Elle a croisé la route de l’Italien « peace and love ». C’est plutôt une jolie histoire de cohabitation, qui ressemble à la ville.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai regardé l'autre soir, sur je ne sais plus quelle chaîne de télévision, un documentaire sur Madagascar. On mettait surtout l'accent sur la déforestation inimaginable de l'île. On y montrait un français, un nommé Béra (orthographe ?) présent depuis une quinzaine d'années, qui tentait de reboiser et de ramener les gens à une agriculture rationnelle. Il avait l'air bien sympathique.
J'ai pensé au courageux étudiant malgache qui nettoyait les communs de mon immeuble à Perpignan tout en suivant les cours d'agronomie à l'université : son diplôme en poche il était reparti chez lui pour aider son pays. En voyant dans le film les collines pelées je me demandais s'il était heureux maintenant.
J'écoutais ce matin à la radio les propos d'une violence inouïe tenus par un ouvrier de Petroplus. Propos que je ne peux qu'approuver, même dans leur outrance, au vu de la médiocrité et de la cupidité des dirigeants de ces grandes entreprises. J'ai entendu parler, aussi, des mesures prises par le gouvernement pour éviter de prochaines explosions sociales : de même que Mitterand nous faisait le syndrome de Salvador Allende, Hollande nous fait des cauchemars de "grand soir" ! Je me demande s'il ira au bout de son mandat.
En Grèce, les nervis d' Aurore Dorée ont des chemises noires : ce n'est plus Athènes avec Solon mais Sparte avec Lycurgue qui sert désormais de référence.
Les arbres tombent à Madagascar conduisant à la ruine. Ceux de nos démocraties occidentales, qui étaient immenses et nobles, tombent également. Leurs bûcherons sont forts, aveugles et sourds. Quelques uns d'entre nous, parcourant nos forêts, s'époumonent à crier : Timber ! dans "l'énorme craquement des portes de la nuit". (V. Hugo)
JLB

el Chulo a dit…

Vous avez parfaitement raison JLB. La déforestation est un fléau dont les malgaches commencent à prendre conscience. Le charbon de bois reste une ressource nécessaire pour se chauffer, cuisiner. En déforestant, on peut le vendre. Mais aussi tous les trafics de bois prrécioeux dont on pzarle moins et contrôlés par les notables: bois de rose en particulier.
pour le reste dont vous parlez si magnifiquement, je suis très inquiet car je suis conscient de comment Hitler et tant d'autres fascistes sont venus au pouvoir, alors que nos plolitueqs lobotomisés nous serinent la mondialisation et déclinent leur impuissance. mon pauvre monsieur, on n'y peut rien!
et surtout, chacun pour sa gueule!

Maja Lola a dit…

Joli texte de voyage Chulo, qui nous mène vers une brillante analyse et intervention de JLB.

Cet enfantement sinon choisi du moins accepté pour une protection future est assez courant dans d'autres pays misère ... ceci ne semblant pas altérer la bonne humeur et la fraîcheur de cette jeune femme qui se livre à la conversation avec confiance.
Plus tu écris sur cette île, plus on a envie de la découvrir ...