Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 10 juin 2013

Toro au coeur: Tonio


Moi, ça faisait longtemps que je l’avais repéré. Tatie elle m’avait dit, « il est riche celui-là ». Il avait de hautes haies autour de sa maison,  comme des murs. Ce n’est pas imaginable des haies comme ça.

Un jour, je rentrais de l’école, il était sur son trottoir. « Bonjour, je lui ai dit », « bonjour » il m’a dit. J’ai poursuivi mon chemin, sans sentir son regard sur moi.

J’aimais sa maison, et les hauts murs de branches qui l’enserraient, et devant, les grandes baies vitrées et les murs de livres. Surtout dans la pièce du bas. Il l’a construite récemment. Protégée de la rue par sa haie, à distance, elle laissait malgré tout entrer à pleins flots la lumière du vaste parc dans sa maison.

Je ne pourrais pas dire pourquoi. J’imaginais, derrière cette haie, du silence, mais du silence de riche, habité et doux comme de l’ouate, un silence qu’il suffisait d’écouter pour voyager, avec en plus des parfums rares. Et puis, je me demandais tout en en étant sûr, s’il ne suffisait pas d’être dans cette pièce, ouverte,  avec des bois doux et chauds comme des baisers, pour voyager, plus sûrement encore, parmi les livres. Tatie son silence ne dit plus rien, il est à bout de tout, vide. Il lui ressemble. En plus, dans la caravane, c’est sale et ça pue. Son silence à lui, me parlait et m’invitait.

Tous les jours, rentrant du collège, je longeais la haie. J’espérais l’apercevoir. Je n’osais pas me hisser sur le portail pour voir s’il était dans le parc ou dans son bureau. En plus, les gens disaient que c’était un ours. Il ne « voisine » pas, c'est vrai, mais je crois qu’il n’emmerde jamais personne. Je pense qu’il veut qu’on lui foute la paix. Ça, je le comprends assez bien.

J’avais dit à Tatie que je voulais faire le trajet seul de la caravane à l’école. Je crois bien que j’avais un peu honte lorsqu’elle me conduisait jusqu’au portail de l’école, au milieu des autres parents. Elle, elle vaquait à ses occupations, depuis très tôt le matin, mais elle aurait pu faire le trajet quatre fois par jour de la caravane à l’école et inversement. Elle l’avait fait jusqu’à cette année de CM2. Je ne lui ai jamais demandé ce qu’elle foutait de ses journées. Je rentrais le midi car elle n’avait pas l’argent pour payer la cantine et elle ne voulait rien demander. Elle avait peur, je pense, pas honte, non, simplement elle ne savait pas comment faire. A l’école, ils ont essayé de la faire venir, mais elle n’est jamais venue, et comme j’avais de très bons résultats, ils lui ont fichu la paix.

Ce jour-là, vers midi, il était sur le trottoir, je venais d’entrer au CM2. « Bonjour Monsieur », je lui ai dit. « Bonjour petit », il a répondu. « C’est toi Tonio ? ». « Oui », j’ai dit. Puis j’ai ajouté « j’aimerais voir votre maison. Je peux entrer ? ». J’ai bien vu que ça l’a surpris. « Oui, si tu ne me piques rien ». Moi ça m’a vexé, « je ne suis pas un voleur, monsieur », j’ai dit, faisant mine de partir. « Quelqu’un t’attend ? ». « Non monsieur », j’ai dit «  je mange seul le midi ».

Il m’a fait entrer dans le parc, puis dans la maison. « Gina » il a crié, « on a un invité !». Elle a commencé à rouspéter qu’il fallait l’avertir, qu’elle n’avait rien prévu. Lui il ne l’écoutait pas. « tu veux manger ici », il a dit.  « Je veux bien oui ». « Bon va falloir avertir ta mère ». « C’est pas ma mère » j’ai dit, « c’est ma tatie, elle s’occupe de moi, mais le midi, elle n’est jamais là ».

Pendant que Gina préparait le repas, en râlant, il m’a fait entrer dans son vaste bureau. Un mur entier vitré donnait sur le parc, les autres étaient couverts de rayonnages de bibliothèque. Une grande table rectangulaire et massive, comme une table de salle à manger campagnarde faisait office de bureau, encombrée de journaux, de livres, et d’un ordinateur. Aux coins de la bibliothèque, il y avait deux grands fauteuils de cuir très profonds et cossus. D’une incroyable couleur, comme cuivrée. Je n’avais jamais vu des fauteuils aussi beaux. En plus, ils sentaient le cuir, mais le cuir de riches.

« Tu aimes lire ? » il m’a dit. « Beaucoup, oui, Monsieur », j’ai répondu. Cet homme, je suis sûr qu’il savait tout de moi. Il me fixait avec des yeux un peu rieurs, mais je n’avais pas l’impression qu’il se foutait de moi.  « Ta tante t’en achète ? ». « Oh non, j’ai répondu très vite ». « Excuse-moi », il a dit, « je comprends ». Alors, peut-être pour qu’il ne soit pas gêné, j’ai ajouté : « les maîtresses m’en prêtent autant que je veux. Vous pouvez demander, je suis très bon en français ». « Tu pourras t’en choisir ici, j’ai un peu de tout, la bibliothèque de ma fille aussi. Je te conseillerai si tu veux ». « Merci Monsieur », j’ai dit.

Ce soir-là, quand je suis rentré à la caravane, j’avais un peu honte. Surtout envie de pleurer. Tatie l’a vu. « Qu’est-ce que tu as foutu ? », elle a dit. Je lui ai expliqué. « Les riches, c’est pas bon pour nous ! » a-t-elle ajouté.

La voyant hargneuse dans la saleté de la caravane, je pensais aux fauteuils et aux livres, et à un enfant assis là, avec un homme et une femme qu’il appelait papa et maman. Ils lui parlaient doucement, lui souriaient aussi.


Ma mère, j’ai appris à ne plus me poser la question. Tatie m’a dit qu’elle était morte et que mon père personne savait qui il était. Et puis,  cet andouille de Georgio, un jour qu’il était bourré et qu’il emmerdait Tatie m’a dit que ma mère était partie avec le dresseur d’ours d’un cirque. Comme ça ! Elle m’avait laissé à Tatie et elle était partie.  Ça s’est terminé que Tatie lui a mis un coup de bouteille sur le crâne et il a foutu le camp, la  gueule  en sang. « C’est des conneries » elle a dit.

Alors parfois, lorsque la nuit est mauvaise et ne fait pas de place au sommeil, je vois une jeune femme aux yeux tristes, qui fait la quête sans conviction, pendant qu’un géant gueulard fait déambuler un grand con d’ours dressé sur ses pattes arrières. Peut-être qu’une nuit, j’oserai lui parler, lui prendre la main aussi, pour qu’elle sache que je suis là.

A l’école, la psychologue me tournait autour. Elle me demandait pas « ça va ? », non, elle avait une façon de m’embobiner, de tourner autour du pot. Ça depuis que j’avais filé une rouste à un du CM2 alors que j’étais en CM1, parce qu’il m’avait dit que ma mère m’avait abandonné. C’est vrai que j’avais pleuré, de rage et d’humiliation.

Depuis la psychologue ne me lâchait pas, lorsqu’elle était à l’école. On appelait cela une RASED je crois, ou quelque chose comme ça. Elle m’a demandé un jour si « je voulais en parler ». « de quoi » j’ai répondu ? En fait, elle voulait savoir pourquoi j’avais été  violent. Elle le savait parfaitement, les autres lui avaient tout raconté.

J’ai fini par lui dire que je ne voulais pas en parler, que c’étaient mes affaires. Alors ensuite, j’ai réfléchi et j’ai demandé à la maîtresse de parler à la classe. Pour en finir avec cette histoire. J’ai dit que ma mère était morte, que je ne l’avais pas connue, pas plus que mon père et que Tatie m’avait recueilli, et que je ne voulais plus qu’on me pose de questions car je n’avais rien de plus à dire.

La psychologue m’a dit que c’était une bonne démarche, qu’elle ne m’en parlerait que si je le désirais.

En tous cas, lors de ce premier repas dans la grande maison, il m’a dit que je pourrai venir manger quand je voudrais. Je crois que je n’ai pas raté un seul déjeuner depuis.

Ps : ce texte est le second de libellé « Toro au cœur ». S’y reporter, si besoin,  pour une meilleure compréhension.

A suivre, si dios quiere !

10 commentaires:

Marc Delon a dit…

C'est quoi Chulo ? Une nouvelle qu'une troisième partie conclura ? Le début d'un roman ? C'est beau en tous cas. T'es sûr que t'es pas écrivain ?

Maja Lola a dit…

Très beau Chulo .... qui fait suite à un premier texte d'il y a déjà quelque temps (je crois) ...

C'est bien de le distiller ainsi, par petites doses, pour nous rappeler nos déchirements, fragilités et révoltes d'enfances.

Anonyme a dit…

C'est émouvant.
le rôle des autres pour transmettre les nouvelles sans souci de bienveillance, les clichés qui empêchent une juste vision des choses et des gens, tout est bien décrit, comme l'envie, chez un jeune garçon qui souffre, de préserver son intimité et d'éliminer son psychologue.

Gina

Anonyme a dit…

Evidemment, je n'ai pas manqué d'aller fouiller dans ton blog pour retrouver la première partie de cette nouvelle. Et comme tout est bien rangé dans tes tiroirs, j'y suis allé tout droit.
Je me suis alors beaucoup amusé à la lecture des dix-neuf (je crois) commentaires provoqués (ou plutôt inspirés) par ce texte. C'était l'époque de l'eau dans mon vin que Marc moquait comme d'habitude. Il faisait sans le savoir du paléotaubirisme...
Comme d'habitude, j'avais précédé le sus-cité en te demandant s'il ne vaudrait pas mieux rassembler ces nouvelles en bouquin au lieu de les disperser au vent futile d'un blog.
Et voilà que tu récidives et c'est vrai que c'est beau, encore une fois.
Gina, croyez-vous que cet enfant souffre vraiment ? Je trouve qu'il y a pas mal de fatalisme chez lui. Un fatalisme sans psy.
L'été est là, enfin, et nous pouvons risquer un oeil au-delà de nos haies.
JLB

Marc Delon a dit…

pipo-Mitterandisme : << il faut laisser du temps au temps...>>
(pour que l'état serve sa personne)

vacuo-Mauroyisme : << il faut redonner du bleu au ciel >>
(un philo-visionnaire prônant la retraite à 60 ans : ça ferait chier mes copains de la SNCF qui l'ont à 50...! )

ideo-Aubrytisme : << Il faut travailler 35h payées 40 >>
(pour augmenter la compétitivité ?)

par contre, mézigue et le paleo-taubirisme j'ai pas capté... foin de l'ego-JLBisme ?

Anonyme a dit…

Ce personnage enfant , même s’il est intelligent, s’il aime l’école et les livres, même s’il ose affronter les préjugés et les racontars, reste dans sa clairvoyance, je crois, celui qui souffre souvent de honte et d’une forme de solitude ne serait-ce qu’en comparant à d’autres ses conditions de vie familiale et sociale . Il s’en sort en se réfugiant dans le mensonge.
Mais, il a aussi les livres et l’auteur semble vouloir le faire triompher. On verra.
Gina

el Chulo a dit…

Marc, je n'avais pas non plus saisi tout le suc de la saillie de JLB, mais ça m'arrive souvent.
Gina, je vous assure que l'auteur n'en sait foutrement rien.

Anonyme a dit…

C'est bien Chulo. Un créateur, c'est ça !
Gina

Marc Delon a dit…

JLB un étalon ...??? Aaaaah... va savoir...

Anonyme a dit…

Ça s'appelle avoir de l'estomac...dans les talons.
Le paleotaubirisme ? C'est moi qui en ai parlé ? Je déteste tellement cette vipère que ma langue a fourché.
JLB