Je suis en immersion, depuis des
années dans des bouquins traitant de la Guerre d’Espagne. Cet exercice incite à
la modestie, dans la mesure où nul ne peut prétendre faire le tour de la
question, et encore moins avoir lu les plus de 15 000 livres, et ce n’est
pas fini, qui lui sont consacrés. J’alimente pratiquement sans cesse ma
bibliothèque, toujours à la recherche d’une rareté. Parfois ma patience est
récompensée et permet de belles découvertes, parfois, la déception est au
rendez-vous. En tous cas les sites de livres usagés espagnols me connaissent
bien, et réciproquement. Je me freine tout de même, car cela finit par être
assez onéreux.
Même à l’heure actuelle, cette
Guerre peut encore apparaître comme la mère des conflits modernes, tant tous
les thèmes y sont présents : l’Eglise, l’Armée, une démocratie immature
qui ne sait pas se défendre, les relations de l’extrême droite avec le fascisme
et le nazisme, des convulsions révolutionnaires suicidaires, une classe
possédante, Eglise incluse, farouchement hégémonique et hostile à toute
évolution, une gauche désorganisée, dont les diverses composantes ont pu être
en opposition y compris armée , et réduite à l’impuissance et à son
autodestruction, l’hypocrisie du non interventionnisme, la lâcheté de certains
pays, un communisme, insignifiant en
Espagne jusqu’en 1934, encore pratiquement négligeable quantitativement en 1936
mais très manœuvrier, qui sut s’imposer lorsqu’il fallut transformer les
milices ouvrières révolutionnaires en armée fin 1936 et qui dès 1937 commença à
importer les purges staliniennes, en particulier, anti trotskistes.
Or, paradoxalement, de vrais
trotskistes, il n’y en avait
pratiquement pas en Espagne. Nin qui fut assassiné par la police secrète
stalinienne avait été proche de Trotski, mais s’était brouillé avec lui. Cela
n’empêcha pas les staliniens, le français André Marty en tête, de considérer le
POUM de Nin, qui on le répète, entretenait de mauvaises relations avec Trotski,
comme à la fois « fasciste »
et « trotskiste », ce qui
est tout de même, assez surprenant.
La rébellion du 17 Juillet 1936,
commencée au Maroc, avait fini par drainer dans ses rangs le très cauteleux
Franco, déjà prince de cette habileté prudente, qui lui assurerait pratiquement
40 ans de règne. Sa participation était essentielle pour la réussite de l’entreprise,
car il y avait au Maroc des troupes indigènes, « los regulares », et cette force armée, bâtie par Mylan Astray
et le jeune Franco, sur le modèle de la Légion Etrangère française, le fameux « Tercio ». Cela représentait
de l’ordre de 30 000 hommes extrêmement aguerris, extrêmement disciplinés,
bien armés et que la longue campagne du Maroc avait forgés dans la cruauté, et
qui de plus, n’auraient aucun scrupule à tuer des espagnols. Au Nord, dans la Navarre, Mola pouvait
compter sur les « Requetes »
carlistes, immédiatement pratiquement aussi nombreux, bien entrainés en milices
armées par les italiens, qui devraient se distinguer comme des troupes d’élite,
au même titre que les troupes du Maroc.
La droite dans son ensemble
n’était pas si unie. Son ciment était certainement le nationalisme et le
catholicisme, la détestation de la République en tous cas sous sa forme
démocratique et parlementaire, mais aussi, en dehors des grands propriétaires
terriens, les petits propriétaires, très souvent catholiques et se sentant menacés
par les confiscations de terres. Mais on pouvait compter dans ses rangs les
radicaux, les Cedistes de Gil Robles, les monarchistes de Calvo Sotelo, les
carlistes de Fal Conde, les falangistes de Primo de Rivera qui allaient, tout
comme les communistes croître exponentiellement au long de la guerre puis
ensuite, malgré la perte de leur chef
fusillé.
Mais à la différence des forces
de gauche, cette droite dominée par les militaires savait parfaitement que la
victoire pourtant si problématique ne serait possible que via une union et
surtout un commandement unique. Chose qui se réalisa fin Septembre 1936, en
deux phases se suivant à une semaine de distance : Franco chef de toutes
les armées et Franco Caudillo de l’Espagne et donc chef du gouvernement
insurgé. Ceci ne fut pas réalisé dans l’enthousiasme, en particulier du côté de
Queipo de Llano et de Cabanellas, le monarchiste Kindelain, pensant lui, qu’il
s’agirait d’une phase très transitoire avant de rendre l’Espagne au Roi. Queipo
résumait assez bien la situation en disant que ce ne pouvait pas être Mola, car
les rebelles auraient perdu la guerre,
ni lui-même considéré comme un « républicain », ni Cabanellas,
notoirement franc maçon. Franco lui, dès Juillet 1936 avait reçu la garantie de
recevoir des armes de Hitler, à condition expresse qu’il en soit lui seul le
bénéficiaire, ce qui valait un adoubement, et Mussolini allait suivre dans la
foulée.
Ainsi les troupes du Maroc purent
être rapatriées sur le sol espagnol et se charger de la féroce marche sur
Madrid qui fut stoppée par la miraculeuse résistance de la capitale.
Jusque-là, ces troupes du Sud,
pendant que Mola et ses « requetes »
était bloqué au Nord de Madrid mais avait pris Irun et s’apprêtait à terminer
la conquête du Nord, ne rencontraient que milices désarmées, ou mal armées,
sans encadrement, et souvent terrorisées à la seule vue des « Maures ».
Les anarchistes s’étaient lancés
au lendemain même de l’insurrection dans une révolution véritable, qui, je ne
sais pour quelle raison a toujours été minimisée. Ils avaient sauvé Barcelone
de Goded et ses troupes, mais aussi, en grande partie Madrid. Ils partirent
donc à l’assaut de l’Aragon, depuis Barcelone, pour reconquérir Zaragoza et
implanter des « colonies »
sur les terres reconquises.
D‘emblée ils furent en opposition
frontale avec les communistes qui eux, selon les vœux de Komintern étaient
favorables à une stratégie d’accord avec les partis bourgeois, et pensaient
avant tout à gagner la Guerre avant d’implanter un régime qui leur serait
favorable, probablement.
Cette furie révolutionnaire,
associée à un véritable massacre de religieux et destruction d’édifices
religieux eut plusieurs conséquences néfastes : la première d’effrayer les
puissances européennes et américaine qui voyaient en particulier les anglais,
leurs intérêts investis en péril, la seconde, fut de mobiliser la majorité des
catholiques du monde entier contre les républicains espagnols, à quelques
notables exceptions en France telles que Maritain, Mauriac et bien sûr Bernanos.
La complexité de la situation, la
spécificité espagnole du conflit, la destruction volontaire de nombre
d’archives, la chape de plomb qui pesait sur les historiens pendant toute la
période du règne de Franco, entre autres raisons ont fait qu’il fallut attendre
la toute fin du XXème siècle et le tout début du XXIème, pour voir enfin
émerger une Histoire plus équilibrée et surtout mieux documentée.
Ceci pour dire aussi que je suis
en permanence saisi par la responsabilité des Historiens, véritables ou
charlatans, par exemple pour un lecteur plein de bonne volonté qui se ferait
une idée de cette terrible guerre soit au travers d’un ouvrage de Pio Moa ou de
De la Cierva, soit d’un de Preston ou de Reig Tapia.
Sans parler de l’énorme
production « romanesque ».
L’abondance des sources
secondaires constituée par les innombrables études générales ou monographiques,
biographies, autobiographies, entraînent fatalement le lecteur intéressé à se
plonger de plus en plus dans le sujet, ce qui, par conséquent l’écarte de
certains lieux communs véhiculés d’ailleurs par les tenants des deux camps.
Il incombe aux Historiens de
reconstituer l’histoire, scientifiquement. Or je suis surpris de constater
souvent un abus des citations, finalement en nombre restreint qui suffiraient à
tout expliquer. Sorties de leurs contextes, et ignorant une époque où des deux côtés
la violence verbale était la règle, elles permettraient d’accréditer à elles
seules une thèse. De même on voit apparaître en fin de livre des bibliographies
monstrueuses, alors que paradoxalement, les apports originaux sont extrêmement
rares et souvent les auteurs s’en tiennent à des événements mille fois ressassés.
De ce point de vue, le passage au
XXIème siècle a vu l’émergence de nouveaux historiens profitant de l’ouverture
de certaines archives, surtout russes, qui
permettent de mieux comprendre les rôles des uns et des autres, mais
aussi de construire la Mémoire de cette guerre, Mémoire qui fut si maltraitée
et surtout systématiquement falsifiée par les quarante ans de franquisme.
11 commentaires:
Entièrement d'accord avec ta conclusion, notamment sur la nécessité de "reconstituer l'histoire scientifiquement".
Amigo CHULO, peux -tu me communiquer ton adresse mail? Je voudrais te passer un texte sur la guerre d'Espagne, qu'un ami américain vient de me transmettre
Quel courage de s'attaquer à la guerre d'Espagne, c'est tellement compliqué !
Où trouver l'exemple d'une Histoire "scientifiquement reconstituée" , c'est à dire honnêtement racontée ? Si l'Histoire est souvent écrite par les vainqueurs, elle est non moins souvent trafiquée par les vaincus (au vingtième siècle plus que jamais peut être). Et quand je vois ce qui se concocte aujourd'hui, il ne remportera jamais le "Master Chef", ce Marx qui a écrit "l'Histoire ne repasse pas les plats".
Mais je vois que Pedrito est prêt à tout pour vous donner un coup de main : Hemingway était à Marciac ce week-end !
JLB
Passionnant, Chulo "non historien" ... mais reste prudent sur les vérités (?) soudainement révélées.
Je te préfère avec tes honnêtetés et tes doutes de chercheur inlassable sur cette guerre qui te passionne tant.
JLB, honnêtement " racontée est en effet pour moi un prérequis. De ce point de vue j'aime encore le Hugh Thomas, qui reste dans sa dernière réédition un ouvrage chronologique de référence, soupçonné d'ailleurs dans sa première version d'être plutôt pro franquiste, et rééditions après rééditions, mais aussi évolution des sources primaires est aujourd'hui très équilibré, et un plus récent que j'apprécie, le livre collectif dirigé par Malefakis sur la guerre d'espagne.
Maja, peut être penses tu qu'il s'agit seulement des archives russes, ouvertes aujourd'hui seulement partiellement, mais il en est quelques unes espagnoles, allemandes surtout, françaises aussi.
Ensuite c'est seulement un constat que je fais, sachant que pendant les 40 ans de Franco, seule la thèses officielle était permise et le travail des historiens étrangers, quoique très actif, était pour le moins difficile.
Par exemple le livre récent de Beevor alimenté par les archives russes et allemandes est très intéressant.
Une évolution est très intéressantre chez les historiens espagnols,( l'excellent casanovas, par exemple) qui sont toujours critiques vis à vis de la République, en tous cas de ses divisions, tout en condamnant l'insurrection et le "système" franco.
Je pense enfin, que cette histoire espagnole, si douloureuse et "affective" n'a pas encore livré tous ses secrets, et peut être ne les livrera jamais.
Enfin, tout comme Mauriac, finalement, il ne faut pas oublier qu'il s'est agi d'un coup de main ou d'état mené par des militaires contre un gouvernement démocratiquement élu. C'est ce qui lui paraissait définitivement et tout simplement insupportable.
Seul le titre est mauvais... parce qu'à force tu vas justifier de la qualif. En plus, pour "Historien" c'est comme pour "expert", y'a pas de diplôme...
Maintenant, passe à l'étape suivante, installe-toi à l'université de Salamanque et autres... et cherche in situ... on viendra te rejoindre pour boire une copita et voir des toros...
Marc, je pense que tu ne leur feras pas plaisir.Les historiens ont le plus souvent fait des études très supérieures en histoire, sont souvent professeurs dans des universités brillantes ou chargés d'études.
ensuite il y a toute une méthodologie de gestion et recherche des sources et également une connaissance approfondie des époques.
Il n'est pas certain que Chulo prenne plaisir à tomar una copita en Salamanca .... dans le contexte de son immersion dans la guerre civile la "cruzada franquista" a dû laisser quelques relents ...
J'ai bu des copitas à salamanca, nombreuses d'ailleurs et nocturnes. la vieille ville vest très belle.
mais tu as raison je n'ignore pas qu'en septembre 1936 franco a été adoubé par ses pairs chez l'eleveur perez tabernero.
j'ai eu l'occasion d'y fréquenter quelques exemplaires humains, richi
ssimes par ailleurs qui traînaient derrière eux en effet quelques relents ou fragances très phalangistes pour faire simple.
mais bon, alors je ne devrais pas aller à malaga, grenade,sevilla, et surtout pas pamplona, la navarraise carliste, ni pratiquement nulle part en espagne.
C'etait une gentille boutade Chulo ... pour te faire tirer le fil de l'histoire et développer ..... c'est chose faite ;-)
Le vrai savoir incite à la tolérance.
Chulo,merci pour tes "leçons" sur la guerre d'Espagne.
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