Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

samedi 16 juin 2012

Black, Negrita, Linda et Nerón



Nous avons donc sillonné la Habana dans une Ford de 1937. La peinture fraiche jaune parvient de loin à faire oublier la rouille qui ronge la tôle. Je m’installe dans ce que Carina appelle « la place de la belle-mère », dans le coffre arrière. Pas si facile que ça d’y accéder.



 Je ne peux m’empêcher de penser à mon ami architecte, voyant le très imposant  maçon sur un petit engin type mini bulldozer, qui m’avait soufflé à l’oreille : « on dirait un crapaud sur une boîte d’allumettes ». Visitée ainsi, cette ville est surprenante de variété et son charme est certain. Par contre l’air est saturé d’humidité et est assez oppressant. Tous les grands classiques y sont passés. La pluie a désagréablement réapparu. Une grosse pluie grasse et tiédasse. Il a fallu lever la capote, et j’ai dû quitter mon trou. La voiture n’a pas de vitre latérale, nous prenons une bonne douche. Pas moyen d’aller sur le Malecon, les accès sont fermés car la mer est trop grosse.  Le lendemain, ce sera un autre guide qui nous prendra en charge. Chacun semble avoir sa spécialité. Nous avons vu la petite silhouette de Carina s’éloigner. Un geste de la main. Adios Carina ! Prenez soin de Mauricio !


Le soir, nous mangeons dans un restaurant pratiquement accolé à l’hôtel. C’est propre et calme. Les légumes sont très rares et hors de prix, de même que la viande. Le bœuf est quasiment introuvable et hors de prix, le porc c’est presque pareil. Il faudra faire avec le poulet rôti. La cuisine est ordinaire, les repas sont chers. Ici, on n’épargne rien au touriste, qui paie partout le prix fort. J’essaie de discuter avec le patron du restaurant. «  Pourquoi les légumes sont t’ils si rares à Cuba ? ». Réponse étonnante. « C’est trop difficile pour un cubain de cultiver la terre. Trop pénible aussi, la terre est trop basse ». Tiens, tiens, auraient t’ils aussi des problèmes du type de « ceux qui se lèvent tôt et ceux qui se lèvent tard ? ». Je suppose qu’il doit y avoir des raisons plus sérieuses, mais je n’ai pas la réponse.

Le lendemain, nouveau guide. Un jeune homme, souriant et affable. Willy, il se nomme. Il parle un bon français, mais pas de la qualité de celui de Carina, avec un accent zozotant et traînant. L’espagnol des cubains est ainsi aussi, s’attardant sur les terminales et sans marquer en les distinguant,  « la s » ni « la c » pas plus que les toniques.  Avec lui, nous irons visiter ce matin « la Vigia », la maison d’Hemingway à Cuba. On dit qu’Hemingway connut Cuba en  1932, lors d’un concours de pêche à l’espadon. Il y venait fréquemment ensuite. Bientôt, toutefois, la Guerre d’Espagne devrait le happer et là, je voudrais faire une incise.

Ernesto fut à n’en pas douter un partisan résolu de la République espagnole. On a raconté beaucoup de choses sur sa participation, tout comme sur celle de Malraux, mais sur ce point-là il est inattaquable. Certains de ses collègues lui reprochent un côté dirons-nous spectaculaire, mais aussi d’avoir été le correspondant de guerre le mieux payé de ceux qui foulèrent le sol espagnol. Malgré certaines outrances qui font partie du personnage, sa connaissance des intervenants était profonde, mais également, il fit souvent preuve de courage ou de témérité.  Certains de ses collègues lui reprochent également que par perfectionnisme, ses comptes rendus étaient décalés dans le temps  et qu’il privilégiait la qualité littéraire, au détriment de la nécessaire immédiateté du journalisme. Entendez par là que la réalité ne l’intéressait qu’au filtre de son ressenti et qui plus est littéraire. C’était donc une forme de journalisme très personnelle, mais d’un autre côté,  sur certains points, il fait partie des « journalistes » qui, encore aujourd’hui sont cités ou utilisés avec les précautions d’usage, par les historiens, y compris, sérieux.

Preston raconte que dans son hôtel à Madrid, il ne manquait de rien, ni en alcool, ni en charcutailles, qu’il importait en quantités. S’il pouvait penser raisonnablement mourir en mission de reportage, ce ne serait sûrement ni de soif ni de faim. Et je ne peux non plus m‘empêcher de penser à l’évocation de Saint Exupéry, par ce même Preston,  en haut des marches d’un hôtel, le même, envahi régulièrement par les putes, distribuant fort courtoisement des pomelos à ces dames. On savait vivre à cette époque et les  gâteries habituelles devaient se négocier dans le respect mutuel. La classe quoi !

Bref, l’Ernesto, il n’avait quand même pas ménagé sa peine là-bas, et son engagement n’allait pas exactement dans le sens du tout puissant lobby catholique, et lui, aussi bien que Jay Allen échouèrent dans leur tentative de faire modifier la position des Etats Unis vis-à-vis de Franco. Même Eléonore Roosevelt, qui revient à la mode, ne put rien contre les intérêts électoraux de son mari.





A son retour de la Guerre d’Espagne, il s’installa à la Habana, à l’hôtel « Ambos Mundos ». Cet hotel est encore une spIendeur. Il commença à louer « la Vigia », puis l’acheta en fin d’année 1940. On dit qu’au début il appréciait assez moyennement  cette résidence, à une vingtaine de kilomètres de La Habana, un peu loin donc, de ses débits de boissons préférés et de l’activité de la ville. Son épouse, la quatrième, l’incita à s’y installer vraiment avec elle. Il devait y demeurer jusqu’en 1960, et que dit-on les États Unis lui aient demandé de choisir entre son pays et Cuba.



« La Vigia » porte bien son nom, est située au sommet d’une colline, au milieu d’une flore luxuriante. Il y a 3 corps d’habitation blancs : une tour donc de trois étages qui surplombe la forêt et  permet de voir la mer à l’horizon,











un bâtiment assez  important où dit-on  on entreposait les provisions et les réserves, sans doute aussi, quelques domestiques y logeaient t’ils,






puis la maison. C’est un parallélépipède de proportions très harmonieuses, intégralement de plain-pied. 






A gauche la chambre, bureau, bibliothèque qui occupe tout le côté. Au centre un grand salon orné d’affiches de corridas et de trophées de chasse. Enfin, à droite une autre chambre. Tout est d’une harmonie et d’un goût parfaits. On imagine bien sûr, l’Ernesto écrivant sur son bureau. Cette maison, finalement très simple, mais d’une élégante sophistication, d’un goût et d’un équilibre  incroyables m’a ému au plus haut point. Effectuant quelques recherches, je m’aperçois que tout le mobilier avait été conçu sur mesure, en bois précieux, par un fameux designer de l’époque. Le résultat est ahurissant, car il est Hemingway. J’aurais aimé y pénétrer, mais c’est interdit et c’est par les grandes baies vitrées qu’on peut voir l’intérieur.




Une longue allée mène à la piscine et au hangar où son bateau  « Pilar » a été entreposé et exposé.












La piscine est vide. Le guide nous dit qu’Ava Gardner s’y est baignée nue. Sacré Ernesto va !









Et là, de petites tombes portant les noms de  « Black, Negrita, Linda et Nerón ». C’étaient ses chiens mais il abritait aussi une vingtaine de chats.










Alors à La Vigia, vous êtes accueillis par une gentille meute de chiens, plutôt intéressés par les gâteries que leur prodiguent les touristes.




Je ne saurais expliquer l’émotion que j’ai ressentie, mais tout ici me semblait en accord avec l’écriture d’Hemingway, la recherche du mot juste, le dépouillement  et aussi comme une force douce et impérieuse, venue du ventre de la terre. Tout y parle mieux de l’Ernesto que les analyses des spécialistes.

Nous avons quitté la Vigia, à regret, pour rejoindre Cojimar, le village de pécheurs qui lui inspira «  le vieil homme et la mer ». Ici encore, le bâtiment le plus luxueux est le bar restaurant où il avait ses habitudes. On dit que l’Ernesto était du genre généreux. Il offrait bien sûr les poissons qu’il péchait, mais aussi mettait facilement la main au portemonnaie.








A Cojimar un petit fortin est censé protéger la petite anse. La mer vient s’y briser.











A côté du fortin, on a construit un petit kiosque assez laid qui abrite une sculpture représentant le héros yankee. On dit que ce sont les villageois qui ont voulu rendre cet hommage au vieux brigand. Le sculpteur ne s’est pas fait payer pour son travail. Ici, la banalité du lieu fait que je n’ai nullement ressenti une émotion semblable à celle que j’ai ressentie à « la Vigia », même si les lieux sont plus en rapport direct avec une œuvre précise que par ailleurs, je vénère. J’aime à penser que c’est dans la beauté puissante et  sereine de « la Vigia » que «  le vieil homme et la mer » est né.



A suivre

10 commentaires:

Marc Delon a dit…

j'ai eu le même ressenti que toi visitant cette maison. L'émotion devant sa machine à écrire rehaussée à la bonne hauteur par des livres-cales où il écrivait debout, dans sa chambre et pas à son bureau.
Dans la salle de bain, ce lézard conservé dans un bocal de formol parce qu'il avait livré un beau combat contre ses chats...
Enfin, avec une certaine nostalgie admirant ce qu'il accrochait au mur (je partage son goût de la chasse, de la pêche, du rhum, du cigare de la boxe et de la corrida) j'ai réalisé que de nos jours il serait vraiment considéré comme le gros beauf facho ringard par tous les bobos de la planète (qu'ils soient de droite comme s'emploie à nous les faire passer Xavier mais qu'autour de moi je constate exclusivement gauchos-écolos... et pour qui ces activités sont des preuves quasi dégradantes d'une nature humaine dégénérée )

Ce soir sur la 6 à 22h45 : CUBA

PS : dans ta livrée jaune et noire j'ai failli te confondre avec Maya l'abeille ! ;-)

el Chulo a dit…

facho certainement pas, bipolaire oui, alcoolique oui, malade certainement du même mal que son père. Pour le reste je ne te suis pas trop, mais ce genre d'évidence, (pour toi), doit vraiment t'aider!!!!!! Ceci dit, ce n'était tout de même pas Thierry Roland, je parle d'Hemingway, dont je viens d'entendre, entre autres qualités qu'il était très cultive!

Marc Delon a dit…

quand je vois les cartes colorées des journaux télévisés après les élections, le S-O est en rouge et le S-E en bleu, ça ne m'aide pas mais c'est comme ça. Et apparemment les opposants de la corridas sont rouges chez les bleus et bleus chez les rouges si on en croit les constations de xavier et moi. Est-ce une réalité ou cela nous aide-t-il à supporter notre logique partisane ? Mène l'enquête...

el Chulo a dit…

a vrai dire je ne pense pas mener l'enquête car d'une part je me fous des zantis, d'autre part, je suis un convaincu fervent que la connerie est équirépartie.

Marc Delon a dit…

C'est une bonne réponse !

Anonyme a dit…

Puisque la connerie est bien oportunément équirépartie je prends mon seau et ma pelle et je viens jouer.
D'abord, comment êtes-vous entré, Chulo, dans le coffre de la bagnole à Gaston Lagaffe ? Avec un chausse-pied ? Quelle idée !
Sur Cuba je ne connais rien. Permettez moi cependant de me demander si les cubains n'en sont pas arrivés là "parce que la terre est basse" tout bêtement. Terrible résumé et terrible aveu.
Sur Hemingouaille, je crois que vous vous méprenez, Chulo et Marc, et vos sources dithyrambiques sur cet esbrouffeur permanent ne sont pas les miennes. Son style soi-disant dépouillé du superflu est celui, détestable, du "Reader-Digest". Comment a-ton pu être assez con et manipulé pour refiler le Nobel à ce poilu sans poils ?
Je ne jetterai pas ma première machine à écrire "Underwood" : au cas où les générations futures viendraient l'admirer...
Mais nous sommes là, équirépartis, à ergoter sur un amerloque macho qui baisait comme un pied, alors que Ségolène ne sait pas ce qu'elle va devenir. Tout de même !
JLB

el Chulo a dit…

oui, ce n'est pas mon préféré, JLB, des américains: je préfère très largement Steinbeck. Ceci dit, le vieil homme et la mer est un grand livre, à mon avis. Il en est certains comme son livre tauromachique par exemple qu'il aurait pu éviter d'écrire, tant l'écriture y est détestable.Le personnage ne m'est pas particulièrement sympathique, parfois ridiculement "macho" vous avez raison, mais son engagement durant la guerre d'espagne fut réel. pour le reste enfin, en matière de littérature, il est aussi bien des auteurs que je ne supporte pas et qui sont encensés. surtout de nos jours.
quant à ségolène!!!!!!!!!!
merci en tous cas d'être passé!

Xavier KLEIN a dit…

Je suis toujours étonné que Marc se fasse une idée complètement erronée de ma perception des choses. Il n’y a pas moins sectaire que moi et plus convaincu que la connerie et la saloperie n’ont ni frontières ni partis. Ce qui ne m’empêche nullement d’avoir des convictions fermes.
Je constate seulement la corrélation entre la banalisation de certains discours et les résultats des votes. Dans le sud-ouest, le discours du FN reste toujours inacceptable et il est endigué (même s’il y a progression). Dans le sud-est où les digues rhodaniennes ont cédées de toutes parts, où même les classes «éduquées» de la société le cautionnent peu ou prou (ne serait-ce qu’en le légitimant par la situation), le FN fait des cartons.
Je rappelle seulement qu’Hitler a accédé au pouvoir en «lénifiant» son discours et quand la droite conservatrice (Hindenburg et consorts) l’a trouvé fréquentable, voire s’est approprié certains de ses thèmes.
On répondra que la situation du sud-est et du sud-ouest diffèrent, notamment du point de vue de l’immigration, ce qui est méconnaître les réalités car dans les zones de forte présence d’immigrés (Lot et Garonne, quartiers sensibles de Bordeaux, Bayonne, Pau, Mourenx) le FN demeure abyssallement moins prégnant qu’en PACA. La différence: CULTURE, CULTURE et encore CULTURE. Et rejet épidermique de l’abjection, même travestie et reconvertie par la blonde Marine.
La différence, c’est peut-être que je m’insurge fermement qu’en j’entends des discours inacceptables quand d’autres acceptent qu’on les tienne.
La différence, c’est également que j’ai rédigé une réponse type assez … musclée et ironique, que la Mairie d’Orthez renvoie aux actuelles campagnes de mails des «zantis», alors que la plupart des collègues de l’U.V.T.F. préfèrent ne pas répondre en tapant péteusement en touche, histoire de ne pas avoir de problèmes.
La différence, c’est l’ENGAGEMENT résolu et la défense d’une éthique et d’un idéal (pas d’une idéologie!).

Quand à Ernesto, il est et il a toujours été de bon ton pour les nains de critiquer les géants.
Tout ce que je sais, c’est qu’un roman tel que «Le vieil homme et la mer» est un chef d’œuvre qui porte des valeurs dans lesquelles je me reconnais complètement.
Après, que le bonhomme ait été alcolo, bipolaire, macho, hâbleur, etc. c’est affaire de contexte et surtout de l’intime conviction qu’un humain ne saurait être parfait et qu’il faut le voir dans son vécu, dans ce qu’il fait de son histoire personnelle et familiale, dans ses «talents», et dans la cohérence entre ses idées et ses actes. De ce point de vue, jusqu’à son suicide, Don Ernesto aura mérité le beau nom d’Homme.
On préfère sans doute les BHL qui vont se faire mousser à peu de frais en Lybie !!!

velonero a dit…

Pour moi aussi, depuis que j'ai découvert ses nouvelles, Hemingway est un grand écrivain.
Et en plus, malgré ou plutôt grâce à ses défauts, un type formidable, sans doute trop intelligent et (donc)trop cynique pour pouvoir vivre "normalement".
Je recommande chaudement aux non convaincus la lecture de ses nouvelles sur la guerre d'Espagne, si belles et émouvantes (et pas du tout manichéennes).

el Chulo a dit…

merci velonero pour ton passage. c'est toujours un plaisir.
demain je vole vers l'ile rouge. retour fin du mois de juillet.