Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

mardi 23 novembre 2010

Saints et Maudits (suite 2)

Sur les 100 000 soldats que comptait l'armée espagnole en 1936, 40 000 étaient des troupes « marocaines » légion et maures, expérimentées, disciplinées et surtout armées. La partie « continentale » de l'armée n'aurait jamais permis de faire la différence ni d'un coté ni de l'autre, tant sa qualité et son armement étaient défectueux. Mola, lui, disposait des « requetes » carlites, milices entrainées et armées par les italiens, qui furent ses troupes de choc pour la conquête du Nord, aidé également par la suite par la légion et les troupes indigènes.

D'où l'importance du ralliement de Franco, « deus ex machina » de cette troupe, qu' il promit de « couvrir d'or ». Or Franco détestait Sanjurjo, depuis la ridicule Sanjurjada. Non pas réellement pour avoir comploté contre la République en 32, quoique s'étant prudemment tenu à l'écart, mais plutôt pour avoir échoué. Le rondouillard général, très bon vivant et très amateur du beau sexe, le lui rendait bien, qui voulut rejoindre la rébellion, depuis le Portugal où la République l'avait exilé, après avoir commué sa peine de mort, à bord d'un trop petit avion, surchargé disent les mauvaises langues d'uniformes de parade et de médailles. Bref le petit appareil heurta les cimes de arbres et s'écrasa. C'est Sanjurjo qui devait prendre la tête de la rébellion. Uno menos!

Primo de Rivera, le chef de la Phalange, fils du dictateur du même nom, vivait des jours assez paisibles en prison, recevait et commentait; les prisons en Espagne étaient pour le moins « poreuses » jusqu'à ce que la République le fusille. Plus exactement, condamné à mort, il fut fusillé dans la précipitation, sans attendre l'avis du gouvernement sur le recours qu'il avait intenté. Il détestait  ce petit Franquito, dont il n'avait pas voulu aux élections de Cuenca, sur sa liste. Miracle du « plastik Franco », il deviendrait l' « ausente » , l'Absent, lorsque les phalangistes fascistes, qui se rallièrent en masse quand Franco gagnait du terrain et assurèrent la « limpieza» puis le quadrillage méthodique et exterminateur du pays. Pour terminer à ses cotés au Valle de los Caidos. On peut en particulier se demander ce qu'il serait advenu de Franco et de ses relations si fructueuses et compliquées avec la Phalange si Primo de Rivera avait survécu, mais quelle qu'en soit la tentation qu'on peut en éprouver, il est impossible et surtout vain de réécrire l'histoire. Fait curieux mais significatif, on n 'annonça officiellement sa mort que dans l'année 38. En tous cas, encore, Uno menos!

Mola lui non plus, n'aimait pas vraiment Franco. Cultivé et élitiste, il voulait un retour aux valeurs antiques de l'Espagne. Il savait toutefois que l'adhésion de Franco était nécessaire pour la réussite de la rébellion qu'il avait organisée, sous la pseudonyme de « El Director ». Les consignes en tous cas étaient claires, et parfaitement explicites quant aux moyens: il fallait pas à pas éliminer toute trace des « izquierdistas ». Les difficultés qu'il rencontra pour conquérir le Nord de l'Espagne firent douter, à juste titre semble t'il, de ses qualités manœuvrières, bien que la topographie était bien plus compliquée et favorable à la résistance qu'en d'autres lieux. Il eut le bon goût de périr, son avion ayant été abattu, dans des conditions encore ce jour, peu claires. En tous cas, il prônait et favorisa un « curetage ». Dans ses instructions, on lisait: « Il faut créer une atmosphère de terreur, il faut laisser la sensation de domination en éliminant sans scrupules ni hésitation quiconque ne pense pas comme nous. Nous devons impressionner fortement, quiconque qui est ouvertement ou secrètement du Front Populaire doit être fusillé ». Ces instructions étaient antérieures à la rébellion elle même. Uno menos!

Cabanellas, lui, était un franc maçon notoire et républicain. Il y en avait dans l'armée. Mais il apporta Zaragoza dont il commandait la garnison et en profita pour tolérer une répression féroce. Il était partisan d'une prise de pouvoir, par les militaires, provisoire afin de rétablir une République centralisée et autoritaire. Mais il comprit très vite, et bien avant tous les autres, que Franco ne lâcherait pas l'affaire et le dit, puis tenta de s'opposer à l'accession de Franco au titre de généralissime, chef de toutes les armées, puis une semaine plus tard, le 1er octobre 1936 au rang de Caudillo et chef du nouvel état rebelle en cours de gestation. Officier de Grand renom au Maroc, chef de la Garde Civile, puis député radical, son ralliement à la rébellion fut une surprise considérable. Franco qui se souvenait que Cabanellas fut son supérieur au Maroc où il avait plus que participé à la création des troupes indigènes, les fameux regulares, et gêné par ses liens maçons et républicains, mais surtout ne lui pardonnant pas son « opposition » à son ascension, lui confia un rôle honorifique d'inspection. Cabanellas eut le bon goût de mourir, de mort naturelle, en 38. C'était bien dans les méthodes du « Franquito », celui dont son père disait: « Paquito, chef de l'Etat, laissez moi rire! » . Pourtant! Nous en reparlerons. Uno menos!

Mon « préféré », si on peut dire, Queipo de Llano, qui fut mis en réserve par Primo de Rivera, le père, suite à ses critiques sur le régime, puis qui conspira contre la monarchie « alphonsine ». La République le nomma Capitaine Général de l'Armée, et il aida Azana à faire ses réformes de l'Armée. Lié au niveau familial au Président Niceto Alcala Zamora, il ne supporta pas que celui ci fût débarqué en 36, au profit si on peut dire de Casares Quiroga, il fut une des figures de la rébellion. Dans ses Diarios Azana dresse quelques portraits saisissants de ce personnage, que visiblement il sous estimait, car il l'amusait, soit sur un cheval blanc, celui du Roi, rien de moins, avec sa grande taille et aussi ses désirs d'avoir des voitures dignes de son standing, le voiture blindée de Primo de Rivera père. Lors de la rébellion, il s'illustra par sa prise de contrôle de Seville et surtout, immédiatement ses fameuses interventions quotidiennes à la radio, connues comme ses « charlas » ou si on veut, causeries. Il inaugurait l'utilisation d'un media à des fins de propagande mais surtout, ceci lui permit de nourrir une légende tenace qui l'aurait vu conquérir Séville avec une dizaine d'homme. C'est omettre que Séville avait été au centre de la Sanjurjada, que la République n'avait pas fait le « ménage » et donc qu'il put immédiatement compter sur 4000 hommes armés et surtout toute l'artillerie. Pas la suite, et quasi immédiatemant, les premiers renforts maures arrivèrent et inaugurèrent les massacres qui devaient être la règle. On estime au moins à 4000 le nombre d'ouvriers et de paysans désarmés qui moururent à Séville. Par la suite, à Malaga, conquise par les troupes italiennes, il devait faire beaucoup mieux, en terme de cette folie répressive qui horrifia les italiens, et de plus, Gibson lui attribue une responsabilité directe dans la mort de Federico Garcia Lorca. Souvent en désaccord avec Franco qu'il méprisait, il le surnommait « Paca la culona », il contrôla d'une main de fer l'Andalousie dont il se considérait « Vice-roi ». Ses « charlas » surréalistes, d'une violence et d'une vulgarité inouïes, où il promettait aux femmes des rojos de connaître enfin les délices de vrais hommes étaient des appels au viol et au meurtre. Franco, qui le considérait toujours comme un républicain et se méfiait de lui, dut le contraindre au bout de pratiquement deux ans à arrêter ces interventions et peu à peu l'écarta, y compris d'Espagne, après l'avoir parfaitement utilisé dans le Sud. Uno menos!

Enfin, Yague, le phalangiste, ami de Jose Antonio Primo de Rivera. Il dut difficilement composer avec son appartenance à la Phalange et sa fidélité à Franco. C'est lui qui commanda l'avance éclair des troupes marocaines vers Madrid, et le 14 Aout 36, prit Badajoz et justifia très benoitement l'épouvantable massacre: « Bien sûr que nous les fusillons. Qu'attendiez-vous ? Vous pensiez que j'allais emmener 4 000 rouges avec moi alors que ma colonne avançait contre la montre ? Vous pensiez que j'allais laisser des lâches derrière moi et les laisser bâtir une nouvelle Badajoz rouge ? » déclara t'il au journaliste John Thompson Witaker, ce qui par parenthèse donne une idée de l'ampleur du massacre, par la suite toujours nié par les franquistes. Il voulait prendre Madrid au plus vite, ainsi lorsque Franco ordonna le détour par Tolède et son Alcazar, il protesta sèchement. C'est vrai que ce fait de guerre n'avait pas le moindre intérêt stratégique mais témoignait déjà du goût de Franco pour les symboles et le rinçage de cerveau. On aménagea l'histoire du commandant de la place, le bien terne Moscardo, qui aurait préféré qu'on abatte son fils plutôt que de se rendre, renouvelant le geste de « Guzman el bueno » offrant du haut des remparts de Tarifa, son couteau d'or tout de même, pour immoler son fils. Ce bon Moscardo aurait entendu, au bout du fil, le coup de feu qui fut fatal à son fils. Or celui ci mourut effectivement fusillé, un mois plus tard et pour de toutes autres raisons. Brasillach s'empara de cette édifiante histoire de façon délirante, avec en plus l'épopée des Cadets de l'Alcazar. En fait, ces Cadets de l'École Militaire qu'avait fréquentée Franco étaient en vacances. Seuls moins d'une dizaine étaient présents. Ce que par contre on sait c'est que les militaires rebelles s'étaient enfermés avec plus de cent « otages » femmes et enfants en général qu'on ne vit jamais réapparaître. Cet épisode rocambolesque, sur-utilisé par la propagande de Franco qui en profita pour se faire introniser Généralissime, puis Caudillo, est très symptomatique de la méthode Franco. Il paraît évident pour tous les analystes sérieux, que si Franco avait suivi les conseils de Yague, Madrid serait tombée car à ce moment, en Septembre 36, Franco disposait de l'aide militaire italienne et allemande alors que l'aide soviétique ne s'était pas mise en place et les Brigades étaient loin d'être opérationnelles de même que le semblant d'Armée de la République. Yague fut remplacé par Varela devant Madrid avec le succès que l'on sait en Novembre 36. Yague revint en grâce et participa à toutes les grandes batailles, en particulier celle de l'Ebre, pour à nouveau se faire taper sur les doigts et renvoyer dans son village en 40 pour avoir émis des réserves sur la répression qui se poursuivait de plus belle. Réhabilité en 42, il envisage même de destituer Franco. Bref des relations un peu tendues! Pour terminer toutefois Marquis de San Leonardo de Yague après sa mort en 52! Franco aimait à distribuer les titres nobiliaires.

À suivre, peut être

jeudi 18 novembre 2010

Saints et Maudits (suite 1)


A ce point du récit, lorsque la rébellion démarre à Melilla, le 17 Juillet 1936, il faut bien replacer une nouvelle fois les choses dans le contexte. Le malheureux Casares Quiroga, par ailleurs père de Maria Casares, ce qui pour del Castillo lui confère un seul point positif, une ânerie, mais ce n'est pas la seule dans ce livre homophobe imbécile et haineux, est informé des faits et de leur suite en Espagne. Rien n'est gagné pour les rebelles, puisque les grandes villes ont résisté, et même le pays basque, traditionnellement catholique comprend que les insurgés sont totalement hostiles à toute idée d'autonomie, et qu'à tout prendre, la République offre plus de garanties. C'est, à ce moment, leur seule motivation, de même que celle du petit clergé basque.

La République a l'argent, c'est ce que croit en particulier Prieto, et donc tous les moyens de mâter l'insurrection. l'Espagne possède la quatrième ou cinquième, selon les historiens, réserve d'or mondiale. Même la Marine reste, en grande partie, fidèle à la République, ou plus exactement les marins se soulèvent contre leurs officiers ce qui aura une conséquence inattendue: privés de compétences à bord, ces bateaux furent d'une inefficacité totale, en particulier pour s'opposer au passage des troupes marocaines qui allaient être si déterminantes dans la marche sur Madrid. De plus, l'Angleterre, d'emblée favorable aux rebelles et surtout soucieuse de préserver ses très importants investissements en Espagne, devait leur interdire l'accès à Gibraltar, ce qui de fait les réduisait encore plus à l'impuissance. Le Milices de gauche demandaient des armes, Casares Quiroga, malade de tuberculose et dépassé par les événements, rendit son tablier. Le modéré très ou trop brillant et maçon Barrio lui succéda et chercha une voie de négociation avec Mola qui lui dit sobrement que c'était trop tard. Ne souhaitant pas armer les milices, il fut remplacé par Giral, ami personnel d'Azana, qui les arma. Mais le « bordel » était tel que par exemple, la République qui se méfiait de l'Armée avait stocké en des endroits différents, les armes et les culasses. Bref, 3 gouvernements pratiquement en 72 heures, un armement dérisoire, des milices totalement désorganisées, et surtout personne à qui se fier dans les outils normaux d'une République: armée, police.

Restait toutefois cette culture de « pronunciamentos » si fréquents au XIXème siècle, où l'armée réglait de façon presque consensuelle les conflits, culture qui vit, plus tard, Primo de Rivera prendre le pouvoir avec pratiquement l'assentiment général, et semblait fausser l'idée même d'une révolution et du prix humain à en payer, dans le sens de la sous évaluation. Ceci fut flagrant lorsqu'en 32 Sanjurjo tenta de renverser la République et fut très facilement mis en déroute. Il est donc très possible que les Républicains aient longtemps cru que la « crise » serait surmontée. De plus, les insurgés n'étaient pas en situation si favorable, les grandes villes ayant résisté grâce à la mobilisation des syndicats. En fait, chaque fois qu'on sut ou put contrôler la Garde Civile et mobiliser le peuple, les militaires furent mis en échec. La situation du Nord de l'Espagne était plus complexe, surtout au pays Basque, détenteur des ressources minières de Bilbao, traditionnellement catholique, mais où le sentiment autonomiste l'emportait, ce qui, finalement, impliquait de se ranger du coté des républicains. On peut penser qu'au fond, il en fut de même pour les galiciens, les catalans, pour parler seulement du peuple et non des élites, qui évidemment, amplifiaient ce sentiment.

Certaines provinces tombèrent d'emblée entre les mains des rebelles, comme la Navarre carliste, dont tous nos aficionados esthètes de la vraie fiesta, reprennent les couleurs honteuses. Rouge et blanc. Mola s'était lancé à la conquête du Nord mais également entendait marcher vers Madrid pour faire la jonction avec les troupes de Franco, renforcées par les marocains et les légionnaires.

Parallèlement, les anarchistes voulaient implanter leur révolution et envisageaient de reconquérir l'Aragon. Quasi immédiatement dans la zone républicaine, on massacra des prêtres mais également fleurirent les vénéneuses « checas », dont les responsables étaient souvent plus que douteux, car la République avait ouvert les prisons et libéré toutes sortes d'individus, depuis des militants politiques jusqu'à des truands, pourvu qu'ils se disent favorables à la République. On en retrouva souvent à la tête de ces machines à « pasear ».

La République s'illustra ensuite, plus tard, la première fois en Aout à la prison Modelo de Madrid en matant un début d'insurrection, (début d'incendie volontaire) et au passage tuant le vétéran politique Melquiades Alvarez que Azana avait tant côtoyé à l'Ateneo. Ceci consterna Azana qui comprit que la guerre était partie dans la déraison. Plus tard, en Novembre, dans Madrid assiégée, écrasée sous les bombes, bruissant des histoires terribles de la marche sur Madrid des maures, et de l'épouvantable tuerie par les troupes de Yague à Badajoz, on « évacua » la prison Modelo encore, car on ne voulait pas que les prisonniers renforcent les troupes franquistes. Beaucoup d'entre eux terminèrent leur vie à Paracuellos. Mais le gouvernement était exilé à Valence et la Junta de Defensa était entre les mains du trop jeune Santiago Carrillo, probablement dépassé par les événements, et incapable de résister à la pression de certains conseillers communistes, dont probablement Kostlov qui voulaient une épuration. L'ampleur de cette tuerie, probablement de l'ordre de 2000 victimes, équivalente si on peut dire à celle de Badajoz, fut reportée par des observateurs de la Croix Rouge, pour une fois présents. On ne les avait pas vus à Badajoz.

Mais si tant est qu'on puisse s'exprimer ainsi, ce qui porta le plus grand préjudice à l'image extérieure de la République en Guerre, ce fut l'extermination rituelle, souvent, des membres du clergé, dont pratiquement 7000 périrent, la plupart dans les premiers jours ou mois de la Guerre civile. Il fallut pratiquement 6 mois à la République pour mettre fin à ces exactions et contrôler les néfastes « checas » qui reprirent du service sous une forme plus politisée après les émeutes de Barcelone, mi 1937, à la fois pour lutter contre la Vème colonne, de plus en plus active mais aussi annihiler les anarchistes, en important les purges anti trotskistes de Moscou.

Le massacre du clergé devait « justifier » l'homélie des « Deux Villes », en Septembre 1936, qui consacrait la dénomination de « croisade » pratiquement miraculeuse pour Franco, puis la lettre collective de l'épiscopat espagnol mi 1937, ralliant ainsi définitivement, tous les lobbies catholiques surtout anglo saxons, qui dès les premiers jours avaient montré de la sympathie, c'est un euphémisme, pour les rebelles. Mais la République, désunie, divisée sur la marche à suivre, sans armée, ni police, n'avait aucun moyen dans cette confusion de faire régner un semblant d'ordre dans ses troupes.

A suivre peut être

lundi 1 novembre 2010

Ce duende qu'on assassine

Nous étions, autant le dire, voisins, Federico.

Nous avions choisi un hôtel sur les conseils éclairés de Carmen, la comtesse du papier bulle, la Condesa de Estraza de « Pezon a Rabo », et del Senor Carbonell, le « Caballero Negro » qui y prend ses quartiers pour la San Isidro et visite aussi Vic, dans la rue Ventura de la Vega, parallèle à Etchegarray, à 150 mètres de la Plaza Santa Ana.

Angel, le vaillant « Coronel », celui de la « Trinchera de Paracuellos », nous attendait avec Maria Luisa, son épouse, à l'aéroport. Nous n'eûmes pas besoin de sa pancarte « Chulo » pour nous reconnaître. Abrazos y besos. Madrid baignait dans un soleil matinal un peu froid et une lumière limpide. Un coup d'œil au panneau Paracuellos sur la voie rapide, c'est ici que vivent Angel et Maria Luisa. Ils savent ma passion pour la Guerre d'Espagne. Moi, ce nom de Paracuellos, Federico, me file la chair de poule. J'en parlerai ailleurs, dans la suite de « Saints et Maudits ». Angel me précise qu'il est né dans le quartier de Las Ventas. L'un et l'autre sortent une cigarette en précisant qu'on peut fumer dans la voiture.

L 'hôtel est très propre spacieux et simple, un excellent rapport prix performance pour l'endroit, si on aime prendre son petit déjeuner très tôt, dans un bar de la « calle del Leon » par exemple. Pour les autres, s'amener une bouilloire et quelques biscuits. On peut y fumer et actionner une machine à café, qui fonctionne, normalement. Le temps de poser les valises et direction « la Venencia », dans la calle Etchegarray où nous retrouverons la grande Carmen. C'est elle qui a choisi l'endroit. Tu as dû le connaître Federico, et rien n'a changé. C'est petit, enfumé, intestin et sombre. Une « barra » antique, des barriques de fino. Au fond, une minuscule salle à laquelle on accède par un petit escalier de 3 ou 4 marches. Carmen nous a rejoints presque à l'heure, préoccupée par la santé de sa mère. Besos et rires. Angel l'appelle « Amor mio », ce qui fait sourire Maria Luisa et étonne Mathilde qui me demande si elle a bien compris: l'espagnol déferle en tsunami, la submerge et elle mesure tout ce qu'il lui reste à apprendre après un an de Collège.

Ici, tu le sais, à la « Venencia » si tu n'apprécies pas le fino, tu as le choix entre rien et l'eau du robinet, excellente nous dit t'on à Madrid. Je ne suis pas un amateur de fino, mais l'eau du robinet, fût t'elle de Madrid, je ne peux pas. Donc, ce sera du fino! Nous nous sommes assis à une petite table carrée autour de laquelle, selon Carmen se tenait la plus prestigieuse « tertulia taurina » de Madrid. Elle nous parle de Navalon, de Dominguin, de Manolete, de la Lupe, de Bienvenida, d'Ordonez, de Vidal, d'Antonete, de Curro Vasquez, de Morante, de Jose Tomas qu'elle vénère malgré une fâcherie avec son « mozo de espada » de frère. Elle m'en explique la raison que je ne saisis pas. Je soupçonne la dame d'avoir la fâcherie prompte et épidermique. Nous disons beaucoup de mal de Manzanares père, qui selon eux annonçait Ponce, de la ruine taurine de Las Ventas et du « tendido 7 » actuel qui ne ressemble plus à rien et serait selon elle un repaire de bandits du « lobby ». Elle me reproche de tant m'intéresser aux encastes, car selon elle toujours, nul ne sait ce que font les ganaderos sinon des « putadas » permanentes et que tout est maintenant pareil.

Carmen parle comme elle écrit, une langue tranchante, flamenca, difficile, sophistiquée, torrentielle et très imagée. Angel parle un beau castellano, très clair, fluide, d'une voix lente, posée et nicotinisée. C'est aussi un expert en flamenco. Ses yeux rient quand Carmen exagère, c'est à dire en permanence. Évocation rapide du passage de la corrida à la Culture, « pffffffff » dit Angel, Carmen ne veut même pas en parler, sinon pour préciser qu'en général les toreros actuels et agissants dans l'affaire sont analphabètes. Ils sont tous deux « rojos » vifs et la sémillante Esperanza Aguirre, l'égérie PP du Dédé, en prend pour son grade. Du miel Federico, du miel et du fino!

Le fino, celui qu'ils ont commandé, peut être le seul qui existait ici, ça te donne une fermeté au cœur de l'amour, et une mollesse au temps qui passe. Comme si le temps s'arrêtait à tes lèvres, dans un baiser ou un rire d'une femme qui aurait envie d'ailleurs. Çà sentait la sueur du vin macéré dans les fûts et les fragrances «  de noir jésus » de l'air brassé aux envolées de la robe de la flamenca ruisselante possédée d'antan.

Et ces mots, Federico, les tiens, comme les sons noirs du flamenco, les seuls qui aient du duende.

Il faudra Federico que je termine mon Saints et Maudits, comme une dette maintenant envers Carmen et Angel, et, en plus tout se précipite un peu à mon sens. Rajoy se lance dans une campagne contre la mariage homosexuel, et contre l'avortement, dans le sillage de l'Opus Déiste Pape Benoit, qui ,lui, en a mis une couche honteuse au Brésil. Mais avec l'Espagne, le continent américain, nord et sud sont les terrains de jeux favoris de l'Opus, avec comme toujours la CIA. Parfois la réalité dépasse la fiction!

Pour l'heure j'ai déambulé dans les ruelles et venelles suivant le pas ferme de Carmen. J'étais chargé d'une mission et nous avons écumé les parfumeries dont une ancienne qui appartiendrait à la sœur de la Lupe en quête de Varon Dandy, puis les magasins de photos antiques et même le Rastro et un vendeur de la Plaza Mayor, mais aussi des magasins de bondieuseries en quête d'une Macarena kitch. A chaque pas une anecdote et omniprésent, Perez Galdos. Ici une porte dont il parle avec au dessus l 'appartement de Simon Casas, ici la Posada del Peine, étroit et tout en hauteur. Voir la Condesa dans un magasin de bondieuseries ça vaut aussi son pesant de fino,

Federico! Simon, elle dit qu'elle l'a connu de maletilla, brillant et séducteur. Elle a de l'amitié pour lui. Pour ces temps là. Elle est gitana et ne renonce jamais à l'amitié. Elle me dit qu'il est à l'agonie, au moins financièrement, et qu'elle l'a aidé pour le contact de Abou Dhabi très prometteur en trésorerie, et sa seule justification. Dios mio , donde andamos condesa!

Alors Federico, lorsque cette nuit, alors que je m'apprêtais à « aprovechar », j'ai vu cette meringue blanche qu'était devenu l'Hotel Victoria, de ce blanc insultant et monumental neo fasciste de Cibeles, dégoulinant de lueurs mauve violette et bleutées, je me suis dit que nous étions tous morts. Moi j'attendais encore une façade trouble, et peut être aux fenêtres quelque toreros qui iraient de juelga. C'est blanc comme l'ennui, laid comme l'insulte, triste comme l'oubli.

En plus, à la « Cerveceria Alemana », on ne peut plus fumer et comme dit l'indéchiffrable Carmen «  Aqui huele a Dominguin ». J'ai pensé au théatre en face de toi, Federico, où ils jouèrent une pièce de Ignacio Sanchez Mejias, le 12 Octobre de 1933, dont il était, pour le livret producteur et auteur. La musique était de Manuel de Falla, et la chorégraphie de « La Argentina ».C'est ce théâtre que tu regardes Federico, tournant le dos à la meringue hideuse et dégoulinante.










J'espère Federico que l'oiseau te rejoint toujours au cœur de tes paumes. Je pense hélas qu'il est parti ou partira pour toujours.