Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 29 septembre 2011

la soeur de lait (2)

Bien sûr, il y avait Mamy, pour la petite fille. Mamy et son rire permanent, curieux de tout et qui jouait toujours avec elle. Lui, la quarantaine passée, le petit dernier de la fratrie de neuf, celui à qui l'austère L . pardonne tout, non sans le morigéner, lui qui a gardé un esprit et un cœur d'enfant. Il a cette légèreté éparpillée du malgache mâle, parfois si agaçante pour nous européens qui aimons tout prévoir, portant au plus haut point le fameux « mora, mora », qu'on peut traduire par « cool » en langage ado.




Mamy a, lui aussi, fait des études supérieures en Russie. Il parle le russe, le français, l'anglais. Il fut journaliste dans une radio. Il n'a pas supporté : à Madagascar les « media » sont sous contrôle, soit pro soit anti, avec la même mauvaise foi. Il s'est essayé à la prospection de pierres précieuses. Il reste assez discret sur cet épisode, qui visiblement ne l'a pas comblé. Il s'est reconverti en « chauffeur, guide touristique ». En un an, il avait réussi à remettre d'aplomb de ses mains une épave trouvée du coté de Diego Suarez. Bon, le moteur, c'était pas réellement celui qui convenait, et dans les cotes, on n'excédait pas le 30 km/heure. Lui ça le faisait plutôt marrer, le père de la petite fille, ça l'excédait, surtout que cela le fasse marrer.



L'apprentissage du « mora mora » par ses vazahas de parents avait commencé à Foulpointe, un soir revenant d'un restaurant, sous une grosse averse tropicale. Crevaison ! « Ça arrive non ? ». Lui ça le faisait marrer. Donc, on démonte la roue, on va chercher la roue de secours, sous l'averse, bonjour les mises en plis des dames. Crevée aussi ! « Mince a dit Mamy, pas de chance !», le tout dans un grand rire ruisselant de pluie. « Merde, Mamy, tu n'as pas vérifié avant de partir ? », « ben, non » a t'il répondu en riant, simplement parce que c'est ainsi. « mora, mora » ! Ils ont fait les deux bons kilomètres jusqu'à l’hôtel à pieds, sous la pluie de déluge. Le lendemain matin, tout était réparé. Très tôt Mamy avait amené ses roues chez un « vulcain » local, ils foisonnent partout. D'ailleurs les pneus usagés labellisés « Europe » sont très appréciés ici. Ils sont pratiquement neufs, pour ici. « Comment as tu emmené tes roues ? ». « En les poussant». Ils apprendront que Mamy n'aime pas dévoiler ses secrets, encore moins ses solutions. Seul le résultat compte.



Et là nous sommes dans la « démerde » typiquement malgache. Décidément, ce véhicule aura donné pas mal de soucis : peu de jours après, plus de freins. Heureusement ils étaient en ville à Tamatave. Pas de problème, un coup de téléphone, une heure sous la voiture et ça y était. Cerise sur le gâteau, un autre soir au sortir d'un restaurant, toujours à Tamatave et durant ce même voyage, plus d'embrayage. Qu'à cela ne tienne, « c'est la coupelle » dit Mamy rassuré. Il avait ameuté des malgaches pour faire démarrer la voiture en la poussant, en seconde, ce qu'elle fit avec difficulté et forces ruades ; les autres, avaient rejoint l’hôtel à pieds.



Les parents de la petite fille, surtout son père, un teigneux parfois, s'inquiétaient, car le lendemain, ils avaient prévu de prendre la route assez tôt. « On ne va quand même pas y aller à pieds » avait fielleusement lâché le teigneux. « Ca ira », avait dit Mamy. «  Ca ira », très « mora mora » le truc ! Effectivement, le lendemain matin à la première heure, il était là, avec sa voiture réparée et son rire à rendre fou. Il avait tout de même fallu trouver la pièce à une heure très tardive et effectuer la réparation. « Comment as tu fait ? ». Un grand rire en réponse. Ils n'en sauront pas plus.



Bien sûr, les deux premières années, avec cet hypothétique véhicule automobile, ils avaient redouté les interminables plateaux de la route du Sud, ou les raidillons, ou ces camions qu'il fallait bien doubler en côte:choix donc entre le virage sans visibilité ou le ravin ou mourir asphyxié dans le vénéneux nuage d'encre noire. « Merde, Mamy, elle marche pas ta putain de voiture » râlait le vazaha acariâtre. « Si, si ça ira. Je l’ai réglée avant de partir ». « Mora, mora ! ». Le plus fort est que le malheureux vazaha acariâtre donc, se faisait engueuler par son épouse et par sa fille. « Tu ne vas pas râler AUSSI ici ? Non ? De toutes façons, tu sais bien qu'on ne peut pas rouler plus vite sur ces routes». Imparable ! Le Mamy montait le son de sa radio, en riant. « C'est bien ça non ? » disait t'il à la petite fille ? « Oui, c'est top ! ».



La seconde année ils n'avaient pas connu d'incident mécanique notoire, avec le même véhicule, exception faite de son exaspérante poussivité en cotes. Ceci mis à part, à la grande fierté de Mamy, elle passait partout, dans les pierres, le sable, la flotte, mais à son rythme. « Je la regretterai avait t'il dit une fois ». « Pas nous », avait grogné l’acariâtre. « moi oui ! », avait ramené sa fraise la pipelette de service.



La troisième année, cela avait été un peu la révolution à Madagascar. Le très américanophile et francophobe Ravalomanana s'est fait débarquer par le DJ Andry Rajoelina. Quelques morts tout de même. Il se dit que les français n'y sont pas pour rien. Donc, ils avaient décidé d'aller à Maurice et juste de passer quelques jours à Tana. L'Ile Maurice, ses palaces « so british » et arnaqueuse ne leur avait pas fait oublier Madagascar. Pour tout dire, ils s'y étaient ennuyés. Le vaillant véhicule roulait toujours à Tana. On sentait bien que sa fin était proche, en même temps, on l'aimait.





La quatrième année, ils avaient décidé d'aller à Majunga. Mamy s'était fait prêter un véhicule très convenable. « Et l'autre ? ». « Au garage » chez un frère de Mamy qui semble ne pas désespérer de trouver un moteur. En tous cas, cette voiture fonctionnait. La pipelette l'avait trouvée moins confortable que l'autre. Le vazaha acariâtre savourait de ne pas redouter les bruits incongrus de direction ou de moteur. « Elle marche, celle là » disait t'il. « Mouais » répondait Mamy presque dubitatif. Il regrettait son « Opel ».



La petite fille chaque année maîtrisait mieux ses émotions. Il y avait ces paysages, la douceur des journées et des nuits et Tana, qu'il lui fallut apprendre à respecter et regarder. Et Mamy, qui jamais ne jugeait, qui disait que les gens « travaillaient », lorsqu'ils essayaient de vendre dans la rue des saloperies « made in china » ou des légumes de réforme. Cette année là, ils lui avaient dit qu'ils avaient « retrouvé » la personne qui l'avait « trouvée » sur la digue. « Voulait t'elle la voir ? », elle avait dit « non », rajoutant, « cela ne m'apportera rien de plus ».



Majunga, la douce, la perverse, l'avait séduite. Ce serait avec la digue de Tana, le second pan de terre malgache planté dans son cœur. Mais ici, du miel !



Toute l'année, elle avait dit, « je voudrais retourner à Majunga ». Chose faite, donc cette cinquième année. En plus, Mamy avait un énorme 4X4 Hyundai, moins de 200 000 km, autrement dit, juste rodé ! « Putain Mamy, c'est un tank ! » avait finement commenté le vazaha acariâtre. Mamy lui se marrait. « il marche » dit t'il. Il a marché comme une horloge et Mamy a raconté plusieurs fois comment il l'avait acheté. Pas peu fier, le touareg malgache. « Je vais partout avec » dit t'il.



Personne n'a rien compris aux subtilités de la négociation, « tipica gasy » sinon que le vieil « Opel » avait fait un tabac avec sa belle carrosserie, « pour le moteur, on se débrouille toujours », enfin, presque ! Et il avait fallu ajouter une autre épave dont Mamy a le secret. Ici, il y a les « veedores » en toros, là bas il y a les « veedores » en voiture.



Là bas, il est important que la voiture « en jette », que les trous de rouille soient calfeutrés, que la peinture soit belle. Comme ce sourire, qui toujours les illumine !



A suivre




lundi 12 septembre 2011

Maintenant le pompier pyromane

Le très pénible après midi des toros de Victoriano del Rio, en ce très néfaste 11 Septembre dacquois, marque de mon point de vue, l'échec d'un système arrivé à son point culminant d'absurdité. Nécessité de remplir les gradins, donc obligation d'aligner des vedettes, qui, elles imposent leurs élevages. En quelque sorte, la banalisation de la « méthode Casas ».



Que le public de « vertueux » aficionados s'insurge, il en a totalement le droit, et sa colère était pour le moins justifiée. De cet après midi calamiteux, festival de laideur zootechnique, toros totalement décastés, figuras excédées, ça elles savent très bien faire, obligées de recourir à toute leur habileté technique pour arracher quelques passes aux invalides de Victoriano. Car voyez vous, en bas, ils tombaient, en haut ils mettaient des coups de tête de faiblesse et s’arrêtaient, il fallait donc trouver une manière de tiers de hauteur, où ces toros par ailleurs « niais » pouvaient montrer leur « noblesse » sans se casser la gueule. C'est la « lidia » moderne. « No le obligues » disait l'immense El Boni à son torero El Cid, puis « tira, tira, tira »...........On était dans le registre du Samu taurin.



Il me semble bien que « les talibans irresponsables » tirent la sonnette d'alarme depuis bien plus de trois ans, annonçant par ailleurs ce naufrage. Il me semble bien avoir lu à m'en repaître, combien ce « toro artiste » que nous nommions « borrega », « borregon », « toroniais », était un trésor « génétique », combien aussi, sa noblesse infinie était la meilleure preuve d'une bravoure hors du commun, ou que « si on le piquait il se tuerait sous la pique », combien il était difficile à toréer, et que cela, seules les « figuritas » savaient le faire, pour le plus grand bonheur des « vrais » aficionados. Combien aussi les spectacles lamentables montés par les petites arènes, à faible budget, salauds de pauvres, avec des « toros infumables » et des seconds couteaux étaient nuisibles et qu'il n'y avait que les « talibans » pour s'en satisfaire.



Les mêmes critiques ou observateurs « intransigeants » et si « objectifs »qui avaient larmoyé dans des morceaux de resena surréalistes sur « Desgarbado » le bienheureux, ou qui avaient salué avec enthousiasme la « tarde » historique de l'an dernier disent qu'en 3 ans Dax aurait perdu tout statut et serait devenue une plaza « de pueblo », putain, l'insulte !. Il faut aussi dire que jusqu'à cette année, avant sa mort, Monsieur Jean Pierre Domecq, pas l'autre, tenait d'une main de fer tous les plumitifs, maintenant miraculeusement reconvertis dans les encastes « maudits » ou jadis « infumables ».



Les mêmes qui encensaient Dax et la créativité de sa nouvelle Commission, ont brutalement changé leur fusil d'épaule, adoptant par ailleurs un discours que ne désapprouveraient pas les « talibans irresponsables ».



Ces mêmes, qui selon moi, avec leur retournement de veste, ont perdu toute crédibilité, aussi bien taurine qu'humaine, et qui de plus ont tellement collaboré à l'installation de cette corrida « light » moderne vidée de tout sens, veulent, par entrisme, intérêt, ambition personnelle prendre les clés du camion, après avoir largement collaboré au vidage progressif des arènes. Je persiste à dire que ce serait « donner les clés d'un jardin d'enfants à des pédophiles ».



Et après tout, les écrits, aussi bien du poète « ernestisé » que de l'enfumé du Boucau, pourraient simplement prêter à rire, tant ressortir leurs écrits respectifs serait édifiant, si tout ceci n'avait pas des relents de « putadas » dont le mundillo raffole et de « règlement de compte ».



Encore une fois, je ne nie pas le droit à l'indignation, mais cette indignation avait de bien curieux relents et il suffisait d'écouter les commentaires. Tiens par exemple, Laborde il nous a assez emmerdé en gueulant dans les tendidos, c'est son tour maintenant. Et quelques autres, visés, que j'ai sentis bien mélancoliques.



Mais surtout, sur fond de revanche, on sent une politisation exécrable du débat, sur la lancée des analyses politiques du gourou fumeux, enfumé du Boucau, qui est expert en la matière. Le voilà donc lancé dans ce où il excelle, nuire. Et les vieux dacquois qui connaissent sa trajectoire y compris de figura taurine, savent ce dont il est capable, y compris vis à vis d'un proche, et surtout d'adapter sa puissante pensée politique à ses seuls intérêts. On le voit, lui « el prestigioso presidente de l'ONCT » flirter avec la droite la plus réactionnaire en Espagne (euphémisme dans le cas précis), tout en faisant financer ses « lancements » de « Tierras Taurinas », avec notre pognon par l'Ambassade de France. Étonnez vous après qu'il ruisselle d’admiration et de reconnaissance pour notre Nico national. De plus, quand on a pu apprécier la justesse de son analyse de la « crise » de Barcelone, ceci confirme qu'il est prêt à tout pour tirer profit de la poule aux d'or. Mais ceci, on le savait.



Pour le reste, si on peut dire, je comprends que pour certains il fut douloureux d'être dépossédés de leur jouet de la Commission Taurine dont le contrôle était quasiment héréditaire. Entendant les commentaires de quelques furibards bien ciblés, on comprend que sont visés les « socialo communistes » qui eurent l'outrecuidance de « voler » la municipalité, elle même héréditaire.



Et effectivement, lorsqu’on suit la qualité navrante des débats lors des conseils municipaux, on comprend bien que la majorité de « droit », son « droit » inaliénable, compte bien tirer avantage de la situation. Ceci dit, encore une fois, je pense qu'ils ont la mémoire bien courte et qu'on a connu d'autres fiascos, qui pouvaient donner lieu à des « échanges virils » dirait Don Xavier, mais sans débordement de cette nature.



J'ai toujours prétendu que « politiser » la corrida était une ânerie, pouvait même être mortifère, et pour le coup, après « donner la clé du jardin d'enfants à un pédophile », on pourrait bien avoir droit au « pompier pyromane ».




mardi 6 septembre 2011

La soeur de lait (1)





Toute petite, déjà, ils lui parlaient de Madagascar, des lémuriens rigolos, des baobabs ventrus, de la terre rouge et de la lumière de miel et d'or. Elle avait demandé s'il y avait des éléphants et des lions. Hé bien, non ! Elle fut très déçue. Ils avaient ajouté qu'il y avait des requins, des baleines, des boas gentils, des crocodiles même parfois ailleurs que dans les parcs d'élevage, avant de devenir sac à main, des caméléons, des forêts incroyables, des fruits délicieux, des mangues, de la vanille et des bananes jusqu'à l'intérieur des maisons, des légumes pas toujours «  beaux », mais dont on a oublié la saveur ici, une araignée très vénéneuse, des mygales gentilles, d'énormes crevettes, de gentils lézards jacasseurs qui bouffent les moustiques et autres insectes dans les maisons, des poissons de toutes le couleurs, des lagons, des moustiques hargneux, des zébus, des voleurs de zébus, des chasseurs de voleurs de zébus, des rizières où les femmes se brisent le dos, des cyclones et des pousse pousse, et même des geysers. Pour preuve une multitude de livres illustrés sur lesquels elle s'endormait.



Cela ne l'avait pas vraiment consolée des lions et des éléphants, alors ils lui ont dit qu'après tout, il aurait pu y en avoir, car il y a très longtemps, l’Île Rouge s'était détachée de l'Afrique, envie qu'elle avait de jouer avec les baleines et les dauphins de l'Océan Indien. Nous disons tous les mêmes choses à nos enfants de là bas.



Les Merina, c'est l'éthnie la plus nombreuse de Madagascar, (plus de 20 pour cent), celle de Tana et des riches hauts plateaux. Elle partage avec les Betsileo plus au Sud, vers Fianarantsoa une origine que l'on dit soit indonésienne soit malaise. Les Betsileo sont de fameux ébénistes. Les Merina ont la peau mate et plutôt claire, avec des variations entre le quasi européen et le très brun. Mamy qui est aussi Merina, dès qu'il prend le soleil devient tout noir. On l'appelait « le petit nègre » dans la famille. L'important, là bas, et quels que soient les métissages, est que le Merina n'a pas le type africain. Peau claire en général, yeux en amandes, un peu bridés, cheveux noirs avec des reflets cuivrés, on dit rouges là bas, parfois lisses, souvent joliment ondulés, avec des traits en général fins.



En général francophone, souvent francophile, plutôt aisé, il est très présent ce Merina dans l'Administration ou la Haute Administration où le français est la langue officielle. Également dans l'Enseignement primaire, moyen et supérieur où le français reste solidement implanté. Autant dire que de nombreuses ethnies, comme les côtières le jalousent et le haïssent, aussi bien pour ses singularités asiatiques que pour sa position sociale, et ce contrôle qu'il est supposé exercer sur le centre de décision qu'est Tana. Ce qui n'empêche nullement que nombre d'enfants abandonnés à Tana ou sa région sont Merina. Comme elle.



Elle avait été abandonnée sur la digue de misère, non loin du quartier de misère d'Isotry. Alertée par des bruits de pleurs, S. l'avait cherchée parmi d'autres sacs et l'avait dégagée. S. faisait fonction d'Assistante Sociale et de Responsable de Quartier, c'est à dire, faisait l'interface entre l'Administration et les miséreux illettrés. Aujourd'hui, de plus en plus d'enfants meurent ainsi, abandonnés dans des décharges, ou des latrines, ou sont dévorés par les chiens errants ou parfois, des rats. D'une certaine façon, l'adhésion de Madagascar à la Convention de La Haye, afin de « moraliser » l'adoption a des effets pervers, car si cela coûte aussi cher aux adoptants, l'argent est maintenant contrôlé au niveau d'un Ministère et des diverses ONG habilitées. Les Centres, qui doivent garder les enfants en attente d'adoption près de 2ans en moyenne, jugent que la part qui leur est attribuée est trop faible, (un forfait de 800 euros pour les deux ans) et refusent les enfants à adopter ou tout simplement ferment, pour ne pas avoir à s'occuper d'enfants « placés » par la police. Dans ces centres, évidemment, il n'y a pas de mère pour allaiter, et les laits pour enfants, premier ou deuxième âge sont aussi chers qu'en Europe. Ainsi, une résolution vertueuse peut avoir des conséquences imprévues.



S. l'avait donc recueillie, couverte d’eczéma et de gale, puis l'avait confiée à un Centre du quartier, Centre qui était en train de fermer, et auquel, parmi 347 autres dans le monde ses parents avaient écrit. Le Centre fermant, il avait confié l'enfant accompagnée de leur lettre à une personne qui s'occupait d'adoption, au coup par coup et qui maintenant dirige une petite ONG malgache. Cela fonctionnait ainsi à l'époque, car c'était au « candidat adoptant » de « trouver un enfant », et ensuite d'engager les démarches d'adoption. C'est ainsi, que faisant la sieste au bord de l'Océan Atlantique, celui de chez eux, un beau mois de Juillet, ils furent réveillés par le téléphone : « voilà, j'ai une petite fille à adopter, elle a moins d'un mois, elle a la peau claire, les cheveux rouges, la gale et l’eczéma, mais elle va bien. Vous la voulez ? ». Elle était entrée ainsi dans leur vie. Ils s'étaient bien demandé ce que pouvait être une malgache blanche, avec les cheveux raides et rouquine, eczémateuse et galeuse. Ils ne connaissaient pas encore les nuances sémantiques de là bas.



En France, elle entama sa scolarité. On s'étonna de sa couleur, non en tant que telle, car elle fréquentait des écoles où la mixité de toute nature est de mise, mais par rapport à celle de ses parents. Ils lui avaient pourtant toujours dit qu'elle avait été abandonnée, sans vraiment peut être utiliser le terme. Ils disaient que sa mère trop pauvre, ne pouvait subvenir à ses besoins, et avait préféré qu'elle ait une autre vie meilleure. Comme un acte d'amour, en quelque sorte. La pauvreté, les enfants qui ne connaissent pas la faim, ne la supposent même pas, mais, l'abandon leur parle, surtout lorsque vient la nuit.



Les jours de mal être, ou qu'ils la grondaient, elle leur disait qu'elle voulait voir sa mère, et qu'ils n'étaient pas ses parents. Ils s'y attendaient, et un pédopsychiatre leur dit qu'elle réagissait bien, et qu'on ne pouvait pas se bâtir « à coté de l'adoption, mais dans l'adoption », et qu'il fallait qu'elle fasse ce travail avant l'adolescence et sa crise identitaire.



La première fois qu'elle revint à Madagascar, elle fut effrayée, elle avait huit ans. Cette fois là, elle resta pratiquement 3 jours sans parler. Sûrement craignait-elle cette rencontre avec son pays natal, et si elle « voulait » conserver l'espoir de retrouver sa mère biologique, elle ne « doutait pas vraiment » que ses parents disaient la vérité. Le mendiant estropié pendu et sautant comme un kangourou unijambiste à la portière devait la marquer à jamais. « Donnez leur de l'argent » disait t'elle en pleurant et criant lorsque les mendiants les assaillaient . Mamy expliquait, à la malgache, c'est à dire dans un mélange incroyable de douceur et de fermeté, que « ce n'était pas possible ». Il voulait seulement dire, que donner à l'un ou l'une, même discrètement, déclencherait un raz de marée de demandes indignées des autres sur le thème de « pourquoi pas moi ? ». Hé oui, pourquoi pas eux ? Sauf dire que « ce n'est pas possible »! C'est que dans son si beau pays des lémuriens éberlués et facétieux, la misère est incroyable, agressive et, il faut bien le dire laide, surtout pour une petite fille gâtée.



Ils y revinrent chaque année. Ses parents s'attachaient à lui montrer que la vie très privilégiée de vacances, dans les bons hôtels en bord de plages paradisiaques ou dans la partie haute de Tana, les grandes virées en voiture dans les paysages de rêve, et les repas dans les bons restaurants, n'était pas la vraie vie ici. Que la vraie vie, pour une majorité se situait sur la digue de Tana ou dans les bidonvilles des autres villes. La présence constante à leurs cotés des amis malgaches, surtout Mamy, permettait aussi de lui montrer l'envers du décor, toujours avec délicatesse et force. Il sait mieux que quiconque profiter dans le rire de l'instant qui passe, mais aussi « montrer les choses de la vie » de là bas, avec une surprenante gravité et les illustrer d'anecdotes et de détails, sans concession. Maintenant, elle leur dit que Madagascar lui manque, mais pas pour y vivre.



A suivre




jeudi 1 septembre 2011

mon pays, mon pauvre pays (2)

Je m'avise, que voulant rendre compte de Madagascar, je suis totalement incapable de bâtir une relation linéaire et chronologique. C'est que, je pense, de ce pays on ne revient pas indemne et on doit faire face à une infinité d'images fortes qui se gravent dans notre mémoire. Inconsciemment, sûrement, puis remontent à la surface.



Et avant tout, ce pays d'une beauté incroyable. Cette lumière fine et de soie et de miel, lorsque le jour se lève, puis de sang et d'or lorsque le jour se retire, et, entre les deux, dans les coins chauds de l'Ouest, cette lumière écrasante décomposée. Et ces paysages, d'une incroyable ampleur et beauté, de la route du Sud, tantôt ronds comme des ventres de mère, tantôt déchirés d'aiguilles muettes comme des cris étouffés où le soleil se disloque.



Terre de contraste aussi, avec cette côte Est, celle de l'Océan Indien et des forêts humides, celle dont perfidement, Mamy dit « qu 'il y a la saison des pluies et celle où il pleut », mais où la nature est généreuse en fruits, en vanille, en poissons et où les gens n 'ont pas cet air dur des gens du Sud, car ici, sans être riche, on peut ne pas mourir de faim. Nous avons eu la chance en 2007, en plein mois de Juillet d'être épargnés, ou presque, par la pluie, si on excepte quelques solides averses nocturnes. Il faut choisir sa saison ici.



Terre de contraste avec la rudesse de Tulear, grillée au soleil, misérable et où lorsqu'on n'a rien, on mange les cactus. Ici les gens n'ont pas ce sourire des gens de la côte Est, ils sont farouches, et leur regard est dur. Même la mer, qui se découvre très loin, n'est pas généreuse. Même les « vazaha » se tiennent à carreau, ici, enfin, disons un peu plus qu'à Tana ou Majunga.



Majunga, la charmeuse alanguie, la plus cosmopolite, avec ses musulmans, ses comoriens, ses « Karane » prospères et qui le font voir et ses « vazaha », voyants, mais souvent pour un bref passage, le temps de brûler un pécule au miroir aux alouettes des filles et des affaires qui n'ont rien de miraculeux. Majunga où le soleil ardent vient s'éteindre dans la mer en d'incroyables incendies dévorant le ciel. Ainsi, ici, des « vazaha » sur le retour, se consument avec leur argent, au bras de jeunesses, eux qui, en quête d'une « dernière chance », sont parfois renvoyés dans leur pays après avoir tout perdu, et s'être faits plumer. Majunga est aussi un port.



Et Manakar, de l'autre coté, la musulmane, aussi, et sa plage somptueuse sur un Ocean Indien ici tumultueux et dangereux, avec d'ex demeures coloniales, en front de mer, dans les grands filaos. Ces demeures fantomatiques, à l'abandon, vestiges d'une gloire passée, que l'air marin ronge et qui, comme un reproche, n'en finissent pas de sombrer.









Et non loin, les Panganales, ce long canal qui rejoint Tamatave, avec les femmes qui pêchent à la moustiquaire de minuscules poissons, et des îles perdues entre mer ciel crachin et terre abritant des petits villages de pêcheurs.





Et Tana, au cœur de ses douze collines sacrées. Tana, de toutes les misères mais si attachante. Tana polluée, encombrée d'improbables véhicules, des 2 chevaux ou 4L comme taxis, ahanant dans les raidillons abrupts, jamais totalement vaincus, mais toujours agonisants, les « taxis be », insupportables qui s'arrêtent où bon leur semble, les pousse pousse surchargés des matériaux les plus divers, des chars à zébus, et partout sur la route des gens à toute heure du jour et semble t'il de la nuit, qui déambulent, des commerces ambulants, où on espère vendre quatre fruits ou des légumes. Tana où n'existe plus un seul panneau indicateur ni feu rouge, tous les objets métalliques finissant en casseroles ou gamelles, Tana et ses tunnels étouffants de pollution où des enfants de deux ou trois ans font la manche. Tana qui n'en peut plus de recevoir les miséreux de la campagne environnante persuadés de trouver ici des ressources par les larcins, la mendicité, de petits trafics, dans le meilleur des cas des ventes ambulantes et bien d'autres choses.



Tana et sa longue digue de misère vers l'aéroport, Tana et ses quartiers misérables. Tana et sa ville haute et ses beaux hôtels et restaurants où paradent les « vazaha » les affairistes et les dignitaires, attendus à la sortie par une meute de mendiants. Tana et son étrange et puissante beauté lumineuse. Tana qui se livre peu à peu au voyageur, au fil des ans. Il ne nous viendrait plus à l'idée, sur un séjour de 1 mois de ne pas y rester une dizaine de jours, et chaque année avec le même bonheur, chaque année renouvelé et plus intense.



Tana et son lac Anosy, qu'on voulut en forme de cœur, en bas, avec l'ex Hilton devenu Carlton, les ministères et le stade. Toute la ville converge vers ce point d'eau pourrie et puante, d'un vert « nucléaire », en dégringolant des pentes abruptes vers la vaste étendue plate où Tana n'en finit jamais et les quartiers de misère, comme une ceinture. Mamy dit qu'ici, dans le lac Anosy, les poissons qui restent sont fluorescents.



De la ville haute, on peut également glisser vers l'Avenue de l'Indépendance, qui se voulut une manière de champs Elysées de Tana. Au bout, la gare, belle bâtisse, une gare de ville moyenne en France. Seuls quelques trains de fret empruntent encore les rares voies, et un tape cul « touristique" qui vous emmènera dans les alentours de Tana. Il y eut des voies ferrées, « du temps des français ». Ne reste pratiquement plus que le folklorique « petit train » au départ de Fianar vers la cote Est. Et encore lorsque la locomotive veut bien fonctionner. Sur la route, on longe parfois les voies désaffectées. Alors la gare est devenue aussi une exposition commerciale, assez chère d'ailleurs, avec un restaurant, à coté, plutôt branché. J'ai toujours trouvé cette gare d'une nostalgie puissante et triste.



L’avenue de l'Indépendance grouille d'une foule affairée au travers de laquelle, les voitures tentent de se frayer un passage. C'est une constante à Madagascar, la route est un lieu de vie, d'échanges commerciaux en tous genres, un capharnaüm. Tournant à droite devant la gare, en descendant l'avenue, on entre dans un quartier étrange, grouillant plus qu'ailleurs. Lorsque nous le traversons, Mamy verrouille les portières, et a un air grave inhabituel chez lui. Il faut littéralement se frayer un chemin, parfois des mendiants estropiés s'accrochent à la portière. Une cour des miracles. Mamy nous a raconté, un jour qu'un malheureux s'était ainsi pendu à la portière, que c'était sûrement un voleur du marché voisin, et que ses « collègues » l'avaient châtié en lui brisant bras et jambes. Les pauvres n'aiment pas qu'aussi pauvres qu'eux les volent.



Nous avons beaucoup réfléchi aux « encombrements » de Tana. En fait il y a d'abord la circulation anarchique de tout ce qui peut rouler, se déplacer, marcher au milieu d'improbables commerces et une foule désœuvrée. Il y a aussi la conformation de la ville, ses raidillons où les voitures s’essoufflent et calent, les taxi qui tombent en panne d'essence, car ici, dès qu'un taxi a fait une course, il va chercher de l'essence dans une bouteille d'eau minérale et attend d'être en panne pour réalimenter le moteur. Le litre coûte presque un euro. Autrement dit, la voiture d'agrément est réservée à une classe moyenne supérieure. Les autres se démerdent, font une épave avec trois épaves et roulent quand miraculeusement, il pleut de l'essence, ou plus sérieusement, peuvent faire financer leur déplacement. Enfin, l'absence absolue de régulation de la circulation, avec parfois, à certains carrefours, des gendarmes ou militaires totalement dépassés qui ne font qu’aggraver le chaos.



Ce qui fait que de toutes façons, circuler dans Tana est une gageure, à presque n'importe quelle heure du jour. De plus, les gens riches ici adorent faire construire sur les collines avoisinantes, de grandes et belles maisons, qui dominent la ville. C'est aussi la raison pour laquelle, la colline du Père Pedro et ses aménagements, dans un terrain qui lui fut concédé, suscite pas mal de convoitises, et lui cause quelques embarras.



Ici, comme partout à Madagascar, lorsque vous faites construire une maison, vous commencez par ceindre le terrain d'un haute clôture, souvent 3 mètres de haut, qui plus est souvent ornée de jolis rouleaux de barbelés ou tessons de bouteille. Vous fermez d'un lourd portail de métal, et vous mettez un gardien dedans, gardien, que par ailleurs, il est recommandé de renouveler tous les trois à six mois, avant qu'il ne soit tenté par quelques transactions inavouables ou ne cède à quelques menaces. Moyennant ces précautions, vous pouvez commencer à bâtir et commencer à stocker avec parcimonie les matériaux, qui, sans cette muraille gardée quasi militairement, s'envoleraient aussi sûrement que rosée au soleil.



Mamy, toujours présent, prudent et vigilant, nous raconte et fait voir tout cela. « Mon pays, mon pauvre pays » !



A suivre