Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

vendredi 28 novembre 2014

Navalon, Carmen la Timbalera, El Timbalero, Unamuno y Salamanca (1)



Ce que je préfère, en tant qu’amateur d’histoire, ce sont les faits qui s’entrelacent, apparemment sans raison, se complètent jusqu’à acquérir une consistance insoupçonnée, ce qui aussi, est une façon d’accéder au « chant profond » d’une époque confuse, « l’écume des jours » en quelque sorte de mon indispensable Boris. Car un fait isolé, caviar de la propagande,  a souvent peu de signification, ou tout du moins ses significations sont très variables, selon la façon dont il est exposé, mis en scène, manipulé, puis abâtardi.
Reconstituer vraiment le puzzle est évidemment impossible, mais suivre le cours des lectures, fuir les mensonges et la propagande d’où qu’ils soient, amène très modestement à de formidables découvertes. Avec ce risque dont j’éprouve les ravages, que chaque lecture, lorsqu’elle est de qualité en appelle une autre, dans le double but de tenter de comprendre, mais également de  nourrir le fantasme d’approcher la vérité. Ainsi ma bibliothèque sur le Guerre d’Espagne et ses suites, devient énorme, chaque bouquin, souvent cher car rare maintenant,  lorsque je l’achète me paraissant indispensable.
 Dans les divagations que je vais vous proposer ici, je pense que les thèmes s’enchainent de façon
intéressante. Je connaissais bien sûr l’amitié, l’admiration et le respect de la chère Carmen Esteban, pour l’immense Navalon. Plus j’approche sans réellement la connaître ma Carmen, plus le mystère s’épaissit. Ultra cultivée, passionnante, jamais elle ne se met en avant. Très croyante catholique, elle voudrait pourtant désintégrer le Vatican. Si je comprends bien, elle était aussi critique taurine à Madrid et photographe à Salamanque, et Navalon fut son maître. Lisez Navalon, lisez Carmen, c’est le même flux, la même qualité. J’avais relayé en son temps son sublime hommage à Antonete, qui soit dit en passant, fut du dernier festival de Navalon.
Donc, il advint, que contre toute attente, le 19 Décembre 1998, Carmen obtint le très convoité prix « El Timbalero », à Salamanque, Prix décerné par « La Gaceta »  journal de droite avec un passé très lourd de phalangisme. Navalon écrivit un article superbe, intitulé « Carmen la Timbalera ». Cette distinction causa quelques remous d’autant qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un ensemble de « resenas » mais d’articles d’ambiance ou d’humeurs de la tigresse. Vous trouverez le merveilleux hommage de Navalon : De pezón a rabo: La condesa, por Alfonso Navalón , ( control clic pour suivre le lien).
Bien sûr Navalon, homme da gauche qui écrivait alors dans un journal de Salamanque, "La Tribuna", après  « El Adelanto » qui devait tant à « El Timbalero », lui-même critique taurin de gauche dans ce journal de gauche à une époque où cela était très périlleux à Salamanque, s’amusa que Carmen ait écouté toutes les louanges accrochée « au bras de cette bête noire de Tribuna ».
Finalement, à l’instar de Navalon lui-même, adulé et haï, « elle monta (recevoir son prix) entre l’admiration des uns et le scandale des autres ». Ceux qui connaissent Navalon savent que nombre de toreros, de ganaderos et de journalistes le haïssaient, qu’il fut souvent agressé, mais comme son disciple Vidal, nul ne put le soupçonner de mettre la main dans le pot de confiture, car en plus, issu d’une famille   « terrateniente », il n’en avait nul besoin. C’étaient, l’imparfait pour lui, le présent pour Carmen,  tous deux des esprits libres, avec ce qu’il faut de liberté de ton, de méchanceté, de mauvaise foi parfois mais surtout de talent.
Et concernant Carmen, je peux attester que c’est une personne d’une fidélité d’acier en amitié, sentiment avec lequel elle ne transige pas. Navalon la décrit de la façon la plus fidèle qui soit : « Mais c’est la « faraona » du journalisme taurin qui était là avec sa fibre  d’écrivain de l’effronterie, l’ironie, la tendresse et le sarcasme jaillissant de vipère de la nuit pour ridiculiser ceux qui manient la flatterie ».
Ancien novillero, Navalon était non seulement un « practico » qui se produisait en festival avec les plus grands, mais aussi un éleveur qui obtint certains succès. Ennemi de « l’afeitado », lorsqu’on lui demanda « s’il afeitait ses toros » répondit « oui, car autrement, je n’en vendrais pas». Tel était cet homme insolent, controversé, auteur d’un livre « Viaje a los toros del sol » qui fut la référence de la langue espagnole à la Sorbonne, talentueux, insupportable. Un génie dit Carmen. Et les génies selon Carmen, sont tous imprévisibles, fous, mais si indispensables.
En vérité, je cherchais aussi à savoir pourquoi il surnommait Carmen « la Timbalera», j’ai donc compris. Mais ce « Timbalero » qui était t’il ?
Il s’agit de Jose Sanchez Gomez, né en 1884, mort le 21 décembre 1936.Il avait milité aux Jeunesses Socialistes à ses débuts en politique puis avait intégré la « Accion republicana » de Azana. Donc, homme de gauche, aujourd’hui on dirait, sans que celà ne signifie rien, « homme de centre gauche ». Azana était un homme de gauche, un vrai républicain, persuadé que la « révolution » dont l’Espagne avait besoin passerait par une révolution  parlementaire. En tous cas, certainement pas un extrémiste ou un marxiste.
Ici, faisons une digression qui n’est pas sans importance. Azana, durant les deux premières années de la seconde République(1931-1933)  mit en branle un nombre exagéré de réformes. La démocratie ne se décrète pas, quoiqu’en ait pensé BHL, et cette République s’attaqua à la Constitution, à l’armée, surnuméraire, à l’Eglise mais surtout à l’enseignement, admit les indépendances, le vote des femmes et ceci en 1932, une refonte profonde des relations dans le travail, et l'indispensable réforme agraire qu'il ne put pas mener à bout. Et ceci, sans moyens, puisque la « généreuse » dictature de Primo de Rivera avait ruiné le pays. En plus la crise de 1929 n’arrangeait rien.
Azana fut l’homme politique le plus haï de la droite espagnole. Arrogant certes, mais
magnifiquement intelligent, autoritaire. D’un physique plutôt ingrat, il fut comparé à toutes sortes de monstres, mais ce qui le fit vaciller à tout jamais, ce furent les insurrections anarchistes entre 1931 et 1933, en particulier, l’horreur de Casas Viejas.
Réformer profondément un pays est difficile, on le sait, mais dans le cas de l’Espagne, ceux qui jusqu’alors menaient le pays à leur guise se sentirent persécutés et commencèrent à comploter, jusqu’à la ridicule révolte de Sanjurjo, les autres fous d'espoir, se sentirent délaissés voire persécutés.
En plus, la position ridicule du PSOE et de son mentor crétin Largo Caballero, qui détenait la force de frappe du puissant syndicat UGT, facilita la défaite électorale de 1933 et la venue au pouvoir du corrompu Lerroux, soutenu par la droite bien pensante de la CEDA de Gil Robles.
Nous étions donc à Salamanque, revenant à « El Timbalero ». Selon Carmen, Navalon lui avait rapporté que Unamuno lui aurait dit que Salamanque était « une ganaderia de ganaderos ».
 
A suivre si Dieu le Veut, pour faire plaisir à la « Timbalera »