Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

mardi 23 novembre 2010

Saints et Maudits (suite 2)

Sur les 100 000 soldats que comptait l'armée espagnole en 1936, 40 000 étaient des troupes « marocaines » légion et maures, expérimentées, disciplinées et surtout armées. La partie « continentale » de l'armée n'aurait jamais permis de faire la différence ni d'un coté ni de l'autre, tant sa qualité et son armement étaient défectueux. Mola, lui, disposait des « requetes » carlites, milices entrainées et armées par les italiens, qui furent ses troupes de choc pour la conquête du Nord, aidé également par la suite par la légion et les troupes indigènes.

D'où l'importance du ralliement de Franco, « deus ex machina » de cette troupe, qu' il promit de « couvrir d'or ». Or Franco détestait Sanjurjo, depuis la ridicule Sanjurjada. Non pas réellement pour avoir comploté contre la République en 32, quoique s'étant prudemment tenu à l'écart, mais plutôt pour avoir échoué. Le rondouillard général, très bon vivant et très amateur du beau sexe, le lui rendait bien, qui voulut rejoindre la rébellion, depuis le Portugal où la République l'avait exilé, après avoir commué sa peine de mort, à bord d'un trop petit avion, surchargé disent les mauvaises langues d'uniformes de parade et de médailles. Bref le petit appareil heurta les cimes de arbres et s'écrasa. C'est Sanjurjo qui devait prendre la tête de la rébellion. Uno menos!

Primo de Rivera, le chef de la Phalange, fils du dictateur du même nom, vivait des jours assez paisibles en prison, recevait et commentait; les prisons en Espagne étaient pour le moins « poreuses » jusqu'à ce que la République le fusille. Plus exactement, condamné à mort, il fut fusillé dans la précipitation, sans attendre l'avis du gouvernement sur le recours qu'il avait intenté. Il détestait  ce petit Franquito, dont il n'avait pas voulu aux élections de Cuenca, sur sa liste. Miracle du « plastik Franco », il deviendrait l' « ausente » , l'Absent, lorsque les phalangistes fascistes, qui se rallièrent en masse quand Franco gagnait du terrain et assurèrent la « limpieza» puis le quadrillage méthodique et exterminateur du pays. Pour terminer à ses cotés au Valle de los Caidos. On peut en particulier se demander ce qu'il serait advenu de Franco et de ses relations si fructueuses et compliquées avec la Phalange si Primo de Rivera avait survécu, mais quelle qu'en soit la tentation qu'on peut en éprouver, il est impossible et surtout vain de réécrire l'histoire. Fait curieux mais significatif, on n 'annonça officiellement sa mort que dans l'année 38. En tous cas, encore, Uno menos!

Mola lui non plus, n'aimait pas vraiment Franco. Cultivé et élitiste, il voulait un retour aux valeurs antiques de l'Espagne. Il savait toutefois que l'adhésion de Franco était nécessaire pour la réussite de la rébellion qu'il avait organisée, sous la pseudonyme de « El Director ». Les consignes en tous cas étaient claires, et parfaitement explicites quant aux moyens: il fallait pas à pas éliminer toute trace des « izquierdistas ». Les difficultés qu'il rencontra pour conquérir le Nord de l'Espagne firent douter, à juste titre semble t'il, de ses qualités manœuvrières, bien que la topographie était bien plus compliquée et favorable à la résistance qu'en d'autres lieux. Il eut le bon goût de périr, son avion ayant été abattu, dans des conditions encore ce jour, peu claires. En tous cas, il prônait et favorisa un « curetage ». Dans ses instructions, on lisait: « Il faut créer une atmosphère de terreur, il faut laisser la sensation de domination en éliminant sans scrupules ni hésitation quiconque ne pense pas comme nous. Nous devons impressionner fortement, quiconque qui est ouvertement ou secrètement du Front Populaire doit être fusillé ». Ces instructions étaient antérieures à la rébellion elle même. Uno menos!

Cabanellas, lui, était un franc maçon notoire et républicain. Il y en avait dans l'armée. Mais il apporta Zaragoza dont il commandait la garnison et en profita pour tolérer une répression féroce. Il était partisan d'une prise de pouvoir, par les militaires, provisoire afin de rétablir une République centralisée et autoritaire. Mais il comprit très vite, et bien avant tous les autres, que Franco ne lâcherait pas l'affaire et le dit, puis tenta de s'opposer à l'accession de Franco au titre de généralissime, chef de toutes les armées, puis une semaine plus tard, le 1er octobre 1936 au rang de Caudillo et chef du nouvel état rebelle en cours de gestation. Officier de Grand renom au Maroc, chef de la Garde Civile, puis député radical, son ralliement à la rébellion fut une surprise considérable. Franco qui se souvenait que Cabanellas fut son supérieur au Maroc où il avait plus que participé à la création des troupes indigènes, les fameux regulares, et gêné par ses liens maçons et républicains, mais surtout ne lui pardonnant pas son « opposition » à son ascension, lui confia un rôle honorifique d'inspection. Cabanellas eut le bon goût de mourir, de mort naturelle, en 38. C'était bien dans les méthodes du « Franquito », celui dont son père disait: « Paquito, chef de l'Etat, laissez moi rire! » . Pourtant! Nous en reparlerons. Uno menos!

Mon « préféré », si on peut dire, Queipo de Llano, qui fut mis en réserve par Primo de Rivera, le père, suite à ses critiques sur le régime, puis qui conspira contre la monarchie « alphonsine ». La République le nomma Capitaine Général de l'Armée, et il aida Azana à faire ses réformes de l'Armée. Lié au niveau familial au Président Niceto Alcala Zamora, il ne supporta pas que celui ci fût débarqué en 36, au profit si on peut dire de Casares Quiroga, il fut une des figures de la rébellion. Dans ses Diarios Azana dresse quelques portraits saisissants de ce personnage, que visiblement il sous estimait, car il l'amusait, soit sur un cheval blanc, celui du Roi, rien de moins, avec sa grande taille et aussi ses désirs d'avoir des voitures dignes de son standing, le voiture blindée de Primo de Rivera père. Lors de la rébellion, il s'illustra par sa prise de contrôle de Seville et surtout, immédiatement ses fameuses interventions quotidiennes à la radio, connues comme ses « charlas » ou si on veut, causeries. Il inaugurait l'utilisation d'un media à des fins de propagande mais surtout, ceci lui permit de nourrir une légende tenace qui l'aurait vu conquérir Séville avec une dizaine d'homme. C'est omettre que Séville avait été au centre de la Sanjurjada, que la République n'avait pas fait le « ménage » et donc qu'il put immédiatement compter sur 4000 hommes armés et surtout toute l'artillerie. Pas la suite, et quasi immédiatemant, les premiers renforts maures arrivèrent et inaugurèrent les massacres qui devaient être la règle. On estime au moins à 4000 le nombre d'ouvriers et de paysans désarmés qui moururent à Séville. Par la suite, à Malaga, conquise par les troupes italiennes, il devait faire beaucoup mieux, en terme de cette folie répressive qui horrifia les italiens, et de plus, Gibson lui attribue une responsabilité directe dans la mort de Federico Garcia Lorca. Souvent en désaccord avec Franco qu'il méprisait, il le surnommait « Paca la culona », il contrôla d'une main de fer l'Andalousie dont il se considérait « Vice-roi ». Ses « charlas » surréalistes, d'une violence et d'une vulgarité inouïes, où il promettait aux femmes des rojos de connaître enfin les délices de vrais hommes étaient des appels au viol et au meurtre. Franco, qui le considérait toujours comme un républicain et se méfiait de lui, dut le contraindre au bout de pratiquement deux ans à arrêter ces interventions et peu à peu l'écarta, y compris d'Espagne, après l'avoir parfaitement utilisé dans le Sud. Uno menos!

Enfin, Yague, le phalangiste, ami de Jose Antonio Primo de Rivera. Il dut difficilement composer avec son appartenance à la Phalange et sa fidélité à Franco. C'est lui qui commanda l'avance éclair des troupes marocaines vers Madrid, et le 14 Aout 36, prit Badajoz et justifia très benoitement l'épouvantable massacre: « Bien sûr que nous les fusillons. Qu'attendiez-vous ? Vous pensiez que j'allais emmener 4 000 rouges avec moi alors que ma colonne avançait contre la montre ? Vous pensiez que j'allais laisser des lâches derrière moi et les laisser bâtir une nouvelle Badajoz rouge ? » déclara t'il au journaliste John Thompson Witaker, ce qui par parenthèse donne une idée de l'ampleur du massacre, par la suite toujours nié par les franquistes. Il voulait prendre Madrid au plus vite, ainsi lorsque Franco ordonna le détour par Tolède et son Alcazar, il protesta sèchement. C'est vrai que ce fait de guerre n'avait pas le moindre intérêt stratégique mais témoignait déjà du goût de Franco pour les symboles et le rinçage de cerveau. On aménagea l'histoire du commandant de la place, le bien terne Moscardo, qui aurait préféré qu'on abatte son fils plutôt que de se rendre, renouvelant le geste de « Guzman el bueno » offrant du haut des remparts de Tarifa, son couteau d'or tout de même, pour immoler son fils. Ce bon Moscardo aurait entendu, au bout du fil, le coup de feu qui fut fatal à son fils. Or celui ci mourut effectivement fusillé, un mois plus tard et pour de toutes autres raisons. Brasillach s'empara de cette édifiante histoire de façon délirante, avec en plus l'épopée des Cadets de l'Alcazar. En fait, ces Cadets de l'École Militaire qu'avait fréquentée Franco étaient en vacances. Seuls moins d'une dizaine étaient présents. Ce que par contre on sait c'est que les militaires rebelles s'étaient enfermés avec plus de cent « otages » femmes et enfants en général qu'on ne vit jamais réapparaître. Cet épisode rocambolesque, sur-utilisé par la propagande de Franco qui en profita pour se faire introniser Généralissime, puis Caudillo, est très symptomatique de la méthode Franco. Il paraît évident pour tous les analystes sérieux, que si Franco avait suivi les conseils de Yague, Madrid serait tombée car à ce moment, en Septembre 36, Franco disposait de l'aide militaire italienne et allemande alors que l'aide soviétique ne s'était pas mise en place et les Brigades étaient loin d'être opérationnelles de même que le semblant d'Armée de la République. Yague fut remplacé par Varela devant Madrid avec le succès que l'on sait en Novembre 36. Yague revint en grâce et participa à toutes les grandes batailles, en particulier celle de l'Ebre, pour à nouveau se faire taper sur les doigts et renvoyer dans son village en 40 pour avoir émis des réserves sur la répression qui se poursuivait de plus belle. Réhabilité en 42, il envisage même de destituer Franco. Bref des relations un peu tendues! Pour terminer toutefois Marquis de San Leonardo de Yague après sa mort en 52! Franco aimait à distribuer les titres nobiliaires.

À suivre, peut être

8 commentaires:

Maja Lola a dit…

Quel travail méthodique sur la documentation historique. Sur le leitmotiv "uno de menos" tu nous énumères une galerie de portraits bien brossés des protagonistes qui firent, volontairement ou malgré eux, le lit de Franco (au fait, j'avais oublié son surnom si peu viril).
Effectivement, beaucoup de questions restent posées quant à l'hypothèse où Primo de Rivera aurait survécu. Este de menos, après son exécution, a laissé champ libre au caudillo.
L'épisode de l'Alcazar de Toledo et du fils de Moscardo, tel que tu le décris, me pose cas de conscience. Ayant visité l'Alcazar il y a de nombreuses années et entendu un enregistrement sonore (même si je sais que tout montage est possible) je suis troublée.
Je prends conscience de la difficulté de vouloir écrire l'histoire sans tomber dans le piège d'écrire une histoire. Et devant la haine réciproque des adversaires et les horreurs qui en ont découlé, il est difficile de ne pas rester dans des doutes légitimes quant à la réalité de faits qui, sortis de leur contexte et de leur époque (et revus parfois à travers des prismes idéologiques) peuvent perdre toute objectivité. Qu'en est-il Chulo sur cet épisode ? Tes sources documentaires sont certainement sérieuses étant donnée la précision évidente de tes récits ... Ce qui reste vrai, ce sont les blessures que des femmes et des hommes ont gardé à jamais dans leur chair et les êtres qui ont bel et bien disparu dans ce carnage.

el Chulo a dit…

Chère Maja,

je te remercie pour ton commentaire. En vérité j'ai bien peur de lasser les lecteurs éventuels avec "ma Guerre d'Espagne", mais ainsi que je te l'ai expliqué, c'est un travail, que très égoistement, je dois faire. L'exposition me force à le mener à bien, c'est l'avantage du blog.

Je te remercie également de m'avoir permis de coriger mon "uno menos" au profit de "uno de menos" probablement plus castizo.

Concernant l'Alcazar, je pense qu'aujourd'hui le doute n'est plus possible, et pour ne citer que quelques auteurs. Hugh Thomas dans son monumental "La Guerre d4espoagne", après avoir donné une retranscription de la conversation présumée entre Moscardo et l'avocat républicain Candido Cabello, ajoute le commentaire suivant: "luis Moscardo ne trouva cependant pas la mort à cette occasion; il devait être exécuté le 23 Aout devant la syngogue du Transito, aux côtés d'autres prisonniers, en représailles d'un raid aérien. Cette anecdote héroique devint une legende en Espagne nationaliste. Par la suite, on a dit que le 23 Juillet, le téléphone était déjà coupé et que, par conséquent,une telle conversation n'avait pu être enregistrée. "
Benassar dans son son "La Guerre d'Espagne et ses lendemains", parle sobrement de "légende" et renvoie à l'analyse de Preston qui "en a donné une version pertinente".
Beevor va dans le même sens dans son "La guerra civil espanola". D'autres comme Tusell n'évoquent même pas le thème pourtant d'une certaine façon "fondateur" du franquisme mystique et glorieux.
Voilà j'espère t'avoir éclairée. Il me semble que ce non événement, qui évite de parler des otages et surtout de l'horrible boucherie qui s'en suivit est très symptomatique de la méthode franco, expert en "manipulations".

Ludovic Pautier a dit…

comment cela, peut-être ? sigue, sigue et nous on te suit.

ludo "uno mas"

Anonyme a dit…

Moi, je trouve dur de suivre.

Je me demande comment les Espagnols sont parvenus à former un état pour ne pas dire une nation, après cette guerre et le Franquisme

gina

el Chulo a dit…

c'est bien "aussi" le sujet de saints et maudits. mais j'avais prévenu que traiter un tel sujet demandait du temps.

el Chulo a dit…

bon, maja et ludo, on doit ditr "uno menos" ou "uno de menos", avec "mas" en effet celà semble plus évident!
merci en tous cas, ludo; "uno mas"!

Maja Lola a dit…

Ludo et toi avez raison. On dit "uno menos".
Le "de" que j'ai rajouté par mégarde ne peut s'expliquer que par une confusion dans l'écriture un peu rapide "à la française".
Chulo, ai-je droit à 100 lignes ou à un gage ? Que el castigo sea leve, por favor !
Merci pour tes conseils de lecture.

el Chulo a dit…

el tremendo castigo sera un beso, magnifica persona!