Bien sûr, il faudrait enchaîner. Mais c'est toujours ainsi, lorsque je « raisonne » la Guerre d'Espagne, la chronologie est dure à suivre, car immédiatement, surgissent des « pourquoi »? Et ces « pourquoi » entraînent vers d'autres lectures, d'autres interprétations, d'autres temps, d'autres éclairages. Car l'âme d'un peuple, ce qui le fait fonctionner ou dysfonctionner résulte d'une longue sédimentation, qui certainement a à voir avec sa culture.
Un ami chercheur, alors que je lui disais mon impossibilité actuelle de me « figer » sur une synthèse, m'a expliqué que c'était bien la difficulté de la recherche, lorsqu'elle est menée sans à priori. J'ai pris cela comme un compliment. Le mot a déjà été utilisé, mais il s'agit bien d'un « labyrinthe », où le risque de se perdre est d'autant plus grand qu'on avance dans une petite connaissance. Lorsque de plus, culturellement, on a le goût et l'obligation morale du doute, les quelques douteuses certitudes qui suffiraient à orienter confortablement la réflexion voire à la structurer sont pulvérisées.
Et le petit homme d'El Ferrol reste à l'évidence au centre du débat et de ces interrogations. Je sais bien qu'il est une tendance dite « révisionniste », très en vogue, qui consiste à considérer, avec certitude, que la Guerre a commencé avec la révolte ouvrière des Asturies en 1934, voire avec l'avènement de la Seconde République, en extrapolant, puis qu'ensuite, ce fut l'intervention communiste qui a envenimé les débats. C'est à un certain niveau psychanalytique réconfortant, quoique ce soient deux termes plutôt antinomiques.
On pourrait admettre ce raisonnement, en empilant des « faits » isolés de leurs contextes, et souvent manipulés, retombant ainsi sur de vieilles litotes d'anticommunisme plutôt grossier, ( disant cela ne signifiant pas le moins du monde qu'on soit soupçonnable pour autant d'être un stalinien), mais surtout qui ont l'intérêt d'éluder les autres problèmes, d'évacuer toute responsabilité, sur le thème de « la paix ne fut pas possible », et qu'en fait, il s'agissait simplement d'une contrerévolution, d'une réponse à la violence par une violence « légitime » qui fut tant utilisée pour légitimer le fascisme. Ou encore qu'il y avait un fondement théologique à la rébellion, mais oui! Pour rester dans une spécificité espagnole. Voir Carl Schmitt que le subtil Fraga admirait tant, pour la violence légitime fasciste pure, et non ce curieux OGM vasouillard dictatorial que fut le « national catholicisme » espagnol.
La principale faiblesse, de mon point de vue, de cette argumentation, est qu'elle feint d'ignorer la situation de l'Espagne, qui jusqu'alors, à la différence de bien des pays européens, avait fait l'économie d'une Révolution, pour entrer dans l'ère de la modernité, et semble vouloir dire que finalement, tout allait au mieux dans le meilleur des mondes, ou presque, c'est à dire, pas si mal, ce qui est déjà plutôt bien. Mais aussi, disant cela, on ne peut éluder les faiblesses éternelles des forces de gauche: division, indécision pour terminer en tentation dominante, et parfois autoritaire.
Comme si, tous, aujourd'hui, poursuivis par leurs propres démons, à gauche comme à droite de « la peau de toro » cherchaient un exutoire, ou une protection, ou une justification, mais surtout, peut être une rédemption.
Et tous, hommes de gauche comme moi, ou d'ailleurs, ou de bonne volonté ou honnêtes, il doit y en avoir partout, aimerions trouver d'autres raisons plus humaines, plus fragiles, mais tout aussi douloureuses, aussi, qu'une simple et manichéenne dichotomie entre le Bien et le Mal, les «Saints et les Maudits », le fascisme et le communisme, qui rappelons le tout de même, représentaient des forces ni réellement significatives en termes d'adhérents, ni opérationnelles en Espagne, avant 1936 .
Franco est un pur produit de la Restauration et de cette période si tourmentée et complexe s'étalant de 1898 à 1931, et sans doute faudrait t'il bien assimiler la période précédente du XIXème siècle, tout aussi tourmentée. La différence étant qu'au XIXème, de pronunciamento en pronunciamento, tout se passait plutôt pas trop mal, et sans énormes effusions de sang, si on excepte les terribles guerres carlistes, pour de toutes autres raisons. L'Armée était le juge arbitre.
Outre l 'humiliation des militaires, cette défaite eut d'autres conséquences, comme exalter le nationalisme catalan avec la création d'un parti catalan, « la Lliga Regionalista » que les militaires considéraient comme une menace pour l'unité de la Patrie, mais aussi le désir d'effacer cette déculottée avec une nouvelle aventure coloniale au Maroc.
En 1905, les bureaux du journal satirique catalan le « Cut Cut » et ceux du journal de la Lliga, « La Veu de Catalunya » furent saccagés par 300 jeunes officiers, avec l'assentiment de tout le corps des officiers. Dans le climat précédemment décrit, le gouvernement n'intervint pas et, au contraire, sous les pressions qu'on suppose, mit en place en 1906, « la Ley de Juridicciones » , qui accordait à l'Armée la possibilité d'intervenir juridiquement et par la force « en réponse aux offenses faites à la Patrie, au Roi et à l'Armée », consacrant de fait sa supériorité sur la Société Civile. Une autre conséquence moins citée fut que suite à l'abandon forcé des colonies, des capitaux furent rapatriés en Espagne, aidant à un semblant de développement industriel, tendance qui devait s'accentuer jusque dans les années 30, ou du moins, jusqu'à la grande crise mondiale de 1929.
Le petit « Franquito » était à Tolède lorsque Maura, sous la pression des officiers proches du roi Alfonso XIII, chef des armées, et des investisseurs dans les mines du Maroc, qui demandaient que soit sécurisée la voie de chemin de fer acheminant le minerai jusqu'au port de Melilla, au risque de voir les français les détourner vers l'Algérie, et aussi de les voir, ces français, tenter d'étendre leur protectorat, décida, au prétexte d'une nouvelle attaque des maures, d'envoyer une troupe expéditionnaire, afin d'étendre l'emprise des espagnols jusqu'à ces précieuses mines. Pour cela on voulut appeler des réservistes, souvent de Barcelone, mariés en général et pères de famille, et sans la moindre préparation préalable. Bref le 18 Juillet 1909, à Barcelone éclata une protestation contre ces envois de troupes et contre cette guerre, en même temps que revenaient les échos alarmistes du front marocain, où ces troupes mal armées, ne disposant même pas de cartes accumulaient les désastres. On tenta de s'opposer au départ des trains convoyant ces troupes aussi bien à Madrid, Barcelone et les villes de moindre importance possédant des gares de chemin de fer. Le lundi 23 juillet 1909, les anarchistes et socialistes promulguèrent une grève générale, contre laquelle on décréta la loi martiale ce qui causa la terrible « semana tragica », qui s'accompagna également de violences anticléricales, comme toujours en Espagne et qui fit une victime indirecte, le libre penseur Francico Ferrer, fondateur de « la Escuela Moderna » , qui fut exécuté avec cinq autres fauteurs de troubles sans avoir rien à voir avec ces émeutes, ou tout du moins sans y avoir participé. On ne prête qu'aux riches!
Il convient d'accorder toute l'importance qu'ils méritent à ces deux événements, qui confirmaient un divorce entre une partie de la société et de son armée, mais surtout, « la semana tragica » et l'exécution de Francisco Ferrer, provoqua un émoi international, faisant d'un activiste quelque peu fumeux et délétère, une manière de saint laïque. Vus de l'Académie de Tolède, où les jeunes cadets rêvaient d'une revanche de l'armée, ceci ne fit que les conforter, et probablement en première ligne le jeune Franco, dans la conviction d'un complot international, évidemment maçon, et d'une défiance absolue vis à vis d'une partie de la société, « libérale ». Ces deux arguments qui se muèrent en certitudes chez Franco devaient guider sa pensée ultérieure, qui fit que toujours, lorsque l'Espagne rencontrait une difficulté à l'extérieur, c'était dû à un complot maçon international, et lorsqu'il s'agissait d'une difficulté intérieure, elle était due aux libéraux, englobant dans ce terme, tous ceux qui appelaient de leurs vœux une évolution, fût t'elle modeste de la société.
De plus notre cadet ne vivait pas une scolarité particulièrement heureuse. Il fut l'objet de moqueries et brimades fréquentes, liées à son caractère taciturne et prude, mais à son age c'était assez normal, sa petite taille qui lui valut le surnom peu flatteur de « Franquito » et sa voix de fausset. Il conserva toujours un souvenir douloureux de ces brimades. Lui, préférait à Tolède, au cours de longues promenades solitaires, rêver du Cid, auquel finalement, plus tard il prétendit s'assimiler, à la tête de « sa » Croisade.
A suivre peut être
2 commentaires:
Il n'est pas étonnant Chulo que tu emploies le terme labyrinthe car il est difficile de connaître toutes les origines ou explications de cet évènement. La question que tu te poses sur les différents éclairages possibles est essentielle car centrale dans ton "chemin" historique. J'apprécie beaucoup ta phrase ".... le goût et l'obligation morale du doute ...."
Tu nous démontres que ta vision n'est pas figée et que tout t'est matière dans l'analyse de cette période : le message véhiculé par "Saint et Maudits" n'a jamais été plus explicite. Dissocier la société civile, l'armée et Franco, détailler des évènements qui n'ont pas eu formellement des lients directs concommittents mais qui ont constitué un humus tout en superpositions successives, prouve bien que le drame se préparait, couvait sous la cendre pour aller vers le crescendo fatal.
Comme tu le soulignes, l'idée fixe anti-maçonnique de Franco était en effet légendaire. Comme son identification au Cid campeador, cette icône du panthéon historique de l'espagne : "la espada y la cruz", autres symboles de sa croisade.
Pour ce qui concerne l'armée, il est intéressant de découvrir dans ton texte les éléments du début du XXème, notamment la fin des colonies, l'emprise coloniale forte au Maroc et surtout ce tournant de l'armée vis à vis de la société civile. Un schéma de société en déséquilibre se mettait en place. Franquito (décidément ton "fil rouge") n'étant pas encore entré dans l'échiquier.
Devant l'attendrissement serein et paisible d'une pietà classique, celle-ci exprime bien d'autres sentiments : inquiétude, angoisse, douleur. Image poignante d'une femme en souffrance contrastant avec ce beau bébé tout en abandon paisible dans son sommeil.
Comme on devine la force que cette mère doit chercher en elle pour protéger son enfant.
Dans quelles circonstances as-tu saisi cet instant ?
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