Maman m'avait téléphoné. ML est à l 'hôpital. Un AVC sévère. On l'a retrouvée chez elle, étendue par terre.
Je l'avais vue peu de jours avant, et comme toujours, elle m'avait parlé de Mathilde, d'Hélène et de ma petite fille Ines, qui arrivaient bientôt. Aussi, de son fils et de ses petits enfants. Je lui ai dit que je la trouvais mieux, dans sa jolie maison, qu'elle aimait tant.
Maman et elle lisaient comme des forcenées. A 95 ans elle s'intéressait à tout, sans la moindre naïveté ni, il faut bien le dire, mansuétude envers ceux qu'elle n'aimait pas. Comme maman, elle était de gauche comme un chêne est un arbre, et droite comme un pin, elle, la vosgienne debout.
Son mari était mort peu avant en Juillet. J'étais à Madagascar. Une très longue glissade de quelques années . Tous les jours elle prenait sa voiture pour le voir. Il disait qu'il allait être le seul de sa fratrie à être centenaire. Son corps l'a lâché, jamais son esprit. Jusqu'à la fin. Un jour que j'étais en difficulté sur un commentaire de texte, il m'avait dit simplement « le commentaire de texte c'est un don de soi ». Cela m'a appris à lire autrement, et surtout à respecter les auteurs. Ceux qui « mettent la jambe ».
Elle en était sortie épuisée et peu à peu, avec maman toute proche, qui, quoique moins longuement avait connu la même chose avec mon père, s'était reconstruit une vie. Elle souriait à nouveau, parfois, de ses yeux de brume.
Leur terrain est contigu au notre. Donc, je les ai presque toujours vus là. Ils partaient au hasard des affectations de F. mais revenaient toujours, pour s'installer définitivement.
Alors pour éviter de faire le tour, par la route, avec mes parents, ils avaient ouvert la clôture et installé un portillon de bois. Ce n'est pas que nous vivions les uns sur les autres, loin de là, c' était seulement plus facile et nous savions qu'ainsi, le chemin pourrait être plus court. Nous riions souvent à l'évocation du frêle portillon.
Ce samedi matin, je suis passé prendre maman pour les obsèques à 9 heures à Hossegor. Nous n'avons pas parlé sur le chemin. « Recalcul » disait la voix du GPS. Je prends toujours des chemins tarabiscotés. En avance, comme toujours, un café en attendant, puis le cimetière. Une vingtaine de personnes tout au plus. Le fils a dit quelques mots. Que ML allait et se sentait bien, qu'elle voulait voir les mimosas en fleurs et venir dans sa maison d'Hossegor. Aussi, qu'elle avait tout minutieusement préparé et mis en ordre. Aussi, qu'il nous remerciait, nous qu'elle aimait d 'être là. Et nous avons défilé le long du cercueil nu. Souvent en posant la main sur le bois.
Ce matin là, un soleil radieux de miel et d'or coulait au long des troncs des grands pins. Le printemps hésite aux portes de l'hiver dans le bleu radieux du ciel d'océan. Nous sommes revenus, empruntant les bords du lac bordé de somptueux mimosas.
Habituellement, j'aurais dit à maman, « tiens on va aller boire le café chez Juppé ! » « Oh, aurait t'elle dit tu crois qu'on ne va pas le déranger ? » et nous aurions ri. Alors j'ai dit « tiens, on va boire un café chez Juppé », elle n'a pas répondu, elle pleurait en silence.
« Recalcul » a dit le GPS.
9 commentaires:
Chulo, on est ému quand on s’avance au rythme lent de votre texte dans ce récit dont on s’approprie volontiers la vérité et l’humanité.
Il est simple, triste avec la mort qu’on n’attend jamais, mais , lumineux quand même avec l’aperçu du printemps, des joies familiales, de l’amitié au-delà du portillon, et cette vie, vivante jusqu’à la fin...
Gina
mertci gina,
votre commentaire me touche beaucoup. en fait j'ai hésité à sortir ce texte et l'ai laissé dans l'état comme il est venu très vite, (trop) ce matin, avec ses imperfections. ML avait été professeur de français, comme vous, d'après ce que j'ai compris, et comme vous, n'avait rien de "besogneux".
je vous embrasse
Le texte est au ras de l'émotion et donc de la perfection.
Vivre jusqu'à quatre-vingt-quinze ans et lire jusqu'à l'accident fatal avec une amie qui partage vos lectures, finalement c'est une histoire de bonheur que vous avez contée.
Gina
oui, maman est très malheureuse d'avoir perdu comme une grande soeur.
Ce texte est de l'émotion pure à l'état le plus vrai, le plus humain qui existe.
Ces être aimés qui nous quittent en douceur, discrétion et simplicité ne provoquent pas de révolte ni de sentiment de détresse. Une vie si longue, si remplie, ne peut se terminer que dans ce discret départ vers un ailleurs aussi inéluctable que serein. Accomplissement de ce qui doit l'être. Dans une paix infinie. Comme le parfum subtil du mimosa va bien avec cette pause finale.
Treize émouvant Chulo!
Très Chulo mon émouvant!
Veinards, sacrés veinards, qui pouvez parler ainsi HOY EN DIA de vos mamans.(Les miens m'ont lâché lorsque j'étais en Algérie, en six mois d'intervalle: çà marque ! Mais il y a tellement pire....
Et comme tout est relatif!!)
Comme quoi le bonheur est une denrée fragile, volatile, et qu'il faut saisir à pleine main, dès qu'il nous frôle.
Très beau texte, como siempre, amigo Chulo.
Abrazo
Quand je suis venu lire ça il n'y avait pas encore de commentaires. Je voulais en laisser un et puis je me suis dit non, tu vas imaginer ceux des autres... maintenant qu'ils sont tombés tels que je les attendais, un petit électrochoc delonien :
provocateur :
kleenex et violoncelles de sortie, ainsi que pleureuses professionnelles accourues... bonne bourre !
aigri :
banalement triste autant que tristement banal... what else ?
vulgaire :
Eh oui... quand on a fini de vivre on est mort ! Et t'as trouvé ça tout seul ?
Con :
en fait le GPS il sonnait tout le temps car tu marchais au radar...
Ben quoi, tu peux pas n'avoir que des compliments. Là je t'ai fait tous les mecs de base qui passaient par là et qui jamais ne nous mettent de commentaires. Je t'ai fait aussi tous ceux dont on ne désire pas la visite à la sortie de l'église, lors des funérailles, mais qui ont leur utilité :
en te glissant une banalité et en te secouant la pogne ils te disent
"non, c'est pas ton tour, ne glisse pas vers lui, t'es encore de ce monde, toi, couillon, et tu dois subir encore... Nous, par exemple"
amitiés chulo-sensibles
Chulo ami,
Avant de venir te lire (pour moi c'est comme si je te rendais visite, si je venais te visiter), j'avais juste fini de lire ce que Xavier a écrit de si vrai sur FRASCUELO: eh bien vois-tu, ta voisine vosgienne n'est pas morte, et elle est aussi vraie que FRASCUELO, parce qu'au fond l'une et l'autre (ne) sont vivants (que) de vos mots à tous deux - et que cette vie est la seule qui perdure après la mort...
Chulo, continue de toréer tes mots ainsi, si juste ("a gusto"?)
Abrazo fuerte - Bernard
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