Qu’on ne s’y trompe pas, « Les Toros du Diable » est bien plus qu’un livre taurin, voire même tout à fait autre chose. Le titre peut induire en erreur.
Olivier Deck est un chercheur, un défricheur de l’Art et des Arts et, bien sûr de l’écriture. Il revient ici à la manière de ses débuts romanesques (le très remarquable « Chopines ») : truculence parfois, mais aussi dérision, nostalgie et ce temps qui s’accroche , en griffant, aux âmes des hommes. Avec en plus, ici, une épaisseur, une réflexion sur la vie et ce qu’il faut de lucidité et de renoncement pour ne pas se tromper de rêve. Vaste programme.
C’est donc d’un parcours initiatique dont il nous parle, où les toros, objets de rêve, sont un outil littéraire, permettant d’exploiter des personnages hauts en couleurs, dérisoires et attachants, laissés pour compte aussi et brisés, affabulateurs encombrés d’un rêve qui n’a pas voulu d’eux, dont le mundillo et certains quartiers de Madrid regorgeaient.
Car, dans le monde de Deck, les hommes sont rongés par des rêves inassouvis, et sont de plus incapables de les assumer. Tous aussi marqués par la corne du toro de la vie, grande briseuse de rêve. Et pour ne pas avouer l’échec ou simplement l’erreur, ils sont menteurs, petits escrocs, flics ou mythomanes. Ils errent donc dans le récit, se croisent.
La femme, elle, assume : fasciste terrateniente, ou pute sereine, ou infirmière sexy. Lorsque les hommes sont brinquebalés par les soubresauts de leurs rêves, leurs écorces de mensonges s’effriteraient, alors ils en rajoutent, pour s’inventer une vie digne d’eux.
Les femmes sont des repères sûrs et impossibles à duper. Et évidemment, les femmes savent que les rêves sont les rêves, car le premier de la femme est l’enfant, qui se fait aussi dans la douleur. Et quand l’homme est pris dans l’écume douçâtre des rêves, seule la femme peut fermement le ramener en terre ferme, en lui faisant croire qu’il a grandi et qu’il n’est plus un enfant.
Car chez Deck, la femme est le repère, la force, la ténacité. La seule qui assume ses revers accrochée à la réalité de la vie. C’est elle qui orchestre les vies de la « neige éternelle » ou l’ordre de « l’auberge des charmilles » autour d’une « chopine » ou d’une soupe qui serait autre chose qu’un jus de légumes bouillis.
Les hommes aimeraient être importants, ou singuliers, ou simplement admirables. Toujours. Ils traînent leurs échecs comme des oriflammes, incompris qu’ils ont été. Les femmes portent sur eux un regard faussement crédule.
Avec derrière, plus de rémanence et cette vibration intime que laisse le son d’un instrument lorsque le virtuose y a mis son âme aussi. En tauromachie, on parle de « mettre la jambe », mais aussi de « duende » pour certains élus.
Je suis sorti bouleversé de cette lecture qui nous confronte aussi à nos propres rêves, ceux que nous avons laissés au bord du chemin de la vie, parce que, aussi, ils n’étaient pas faits pour nous.
2 commentaires:
Ta reseña est très juste Chulo.
Ce livre m'a énormément plu. Car au delà de son côté picaresque, j'ai découvert une écriture d'une grande originalité. Je le vois bien adapté au cinéma ou court métrage, sorte de road movie aux personnages truculents et aux rebondissements hauts en couleur.
Don Calixto Quitapenas, Duc de Casinada (le nom est déjà un poème !) me fait penser à Don Quichotte.
Il y a du comico-dramatico-movidesque vivant et jouissif. Quant aux personnages forts en gueule, inénarrables ....
Zeva lacheté...
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