Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 29 septembre 2011

la soeur de lait (2)

Bien sûr, il y avait Mamy, pour la petite fille. Mamy et son rire permanent, curieux de tout et qui jouait toujours avec elle. Lui, la quarantaine passée, le petit dernier de la fratrie de neuf, celui à qui l'austère L . pardonne tout, non sans le morigéner, lui qui a gardé un esprit et un cœur d'enfant. Il a cette légèreté éparpillée du malgache mâle, parfois si agaçante pour nous européens qui aimons tout prévoir, portant au plus haut point le fameux « mora, mora », qu'on peut traduire par « cool » en langage ado.




Mamy a, lui aussi, fait des études supérieures en Russie. Il parle le russe, le français, l'anglais. Il fut journaliste dans une radio. Il n'a pas supporté : à Madagascar les « media » sont sous contrôle, soit pro soit anti, avec la même mauvaise foi. Il s'est essayé à la prospection de pierres précieuses. Il reste assez discret sur cet épisode, qui visiblement ne l'a pas comblé. Il s'est reconverti en « chauffeur, guide touristique ». En un an, il avait réussi à remettre d'aplomb de ses mains une épave trouvée du coté de Diego Suarez. Bon, le moteur, c'était pas réellement celui qui convenait, et dans les cotes, on n'excédait pas le 30 km/heure. Lui ça le faisait plutôt marrer, le père de la petite fille, ça l'excédait, surtout que cela le fasse marrer.



L'apprentissage du « mora mora » par ses vazahas de parents avait commencé à Foulpointe, un soir revenant d'un restaurant, sous une grosse averse tropicale. Crevaison ! « Ça arrive non ? ». Lui ça le faisait marrer. Donc, on démonte la roue, on va chercher la roue de secours, sous l'averse, bonjour les mises en plis des dames. Crevée aussi ! « Mince a dit Mamy, pas de chance !», le tout dans un grand rire ruisselant de pluie. « Merde, Mamy, tu n'as pas vérifié avant de partir ? », « ben, non » a t'il répondu en riant, simplement parce que c'est ainsi. « mora, mora » ! Ils ont fait les deux bons kilomètres jusqu'à l’hôtel à pieds, sous la pluie de déluge. Le lendemain matin, tout était réparé. Très tôt Mamy avait amené ses roues chez un « vulcain » local, ils foisonnent partout. D'ailleurs les pneus usagés labellisés « Europe » sont très appréciés ici. Ils sont pratiquement neufs, pour ici. « Comment as tu emmené tes roues ? ». « En les poussant». Ils apprendront que Mamy n'aime pas dévoiler ses secrets, encore moins ses solutions. Seul le résultat compte.



Et là nous sommes dans la « démerde » typiquement malgache. Décidément, ce véhicule aura donné pas mal de soucis : peu de jours après, plus de freins. Heureusement ils étaient en ville à Tamatave. Pas de problème, un coup de téléphone, une heure sous la voiture et ça y était. Cerise sur le gâteau, un autre soir au sortir d'un restaurant, toujours à Tamatave et durant ce même voyage, plus d'embrayage. Qu'à cela ne tienne, « c'est la coupelle » dit Mamy rassuré. Il avait ameuté des malgaches pour faire démarrer la voiture en la poussant, en seconde, ce qu'elle fit avec difficulté et forces ruades ; les autres, avaient rejoint l’hôtel à pieds.



Les parents de la petite fille, surtout son père, un teigneux parfois, s'inquiétaient, car le lendemain, ils avaient prévu de prendre la route assez tôt. « On ne va quand même pas y aller à pieds » avait fielleusement lâché le teigneux. « Ca ira », avait dit Mamy. «  Ca ira », très « mora mora » le truc ! Effectivement, le lendemain matin à la première heure, il était là, avec sa voiture réparée et son rire à rendre fou. Il avait tout de même fallu trouver la pièce à une heure très tardive et effectuer la réparation. « Comment as tu fait ? ». Un grand rire en réponse. Ils n'en sauront pas plus.



Bien sûr, les deux premières années, avec cet hypothétique véhicule automobile, ils avaient redouté les interminables plateaux de la route du Sud, ou les raidillons, ou ces camions qu'il fallait bien doubler en côte:choix donc entre le virage sans visibilité ou le ravin ou mourir asphyxié dans le vénéneux nuage d'encre noire. « Merde, Mamy, elle marche pas ta putain de voiture » râlait le vazaha acariâtre. « Si, si ça ira. Je l’ai réglée avant de partir ». « Mora, mora ! ». Le plus fort est que le malheureux vazaha acariâtre donc, se faisait engueuler par son épouse et par sa fille. « Tu ne vas pas râler AUSSI ici ? Non ? De toutes façons, tu sais bien qu'on ne peut pas rouler plus vite sur ces routes». Imparable ! Le Mamy montait le son de sa radio, en riant. « C'est bien ça non ? » disait t'il à la petite fille ? « Oui, c'est top ! ».



La seconde année ils n'avaient pas connu d'incident mécanique notoire, avec le même véhicule, exception faite de son exaspérante poussivité en cotes. Ceci mis à part, à la grande fierté de Mamy, elle passait partout, dans les pierres, le sable, la flotte, mais à son rythme. « Je la regretterai avait t'il dit une fois ». « Pas nous », avait grogné l’acariâtre. « moi oui ! », avait ramené sa fraise la pipelette de service.



La troisième année, cela avait été un peu la révolution à Madagascar. Le très américanophile et francophobe Ravalomanana s'est fait débarquer par le DJ Andry Rajoelina. Quelques morts tout de même. Il se dit que les français n'y sont pas pour rien. Donc, ils avaient décidé d'aller à Maurice et juste de passer quelques jours à Tana. L'Ile Maurice, ses palaces « so british » et arnaqueuse ne leur avait pas fait oublier Madagascar. Pour tout dire, ils s'y étaient ennuyés. Le vaillant véhicule roulait toujours à Tana. On sentait bien que sa fin était proche, en même temps, on l'aimait.





La quatrième année, ils avaient décidé d'aller à Majunga. Mamy s'était fait prêter un véhicule très convenable. « Et l'autre ? ». « Au garage » chez un frère de Mamy qui semble ne pas désespérer de trouver un moteur. En tous cas, cette voiture fonctionnait. La pipelette l'avait trouvée moins confortable que l'autre. Le vazaha acariâtre savourait de ne pas redouter les bruits incongrus de direction ou de moteur. « Elle marche, celle là » disait t'il. « Mouais » répondait Mamy presque dubitatif. Il regrettait son « Opel ».



La petite fille chaque année maîtrisait mieux ses émotions. Il y avait ces paysages, la douceur des journées et des nuits et Tana, qu'il lui fallut apprendre à respecter et regarder. Et Mamy, qui jamais ne jugeait, qui disait que les gens « travaillaient », lorsqu'ils essayaient de vendre dans la rue des saloperies « made in china » ou des légumes de réforme. Cette année là, ils lui avaient dit qu'ils avaient « retrouvé » la personne qui l'avait « trouvée » sur la digue. « Voulait t'elle la voir ? », elle avait dit « non », rajoutant, « cela ne m'apportera rien de plus ».



Majunga, la douce, la perverse, l'avait séduite. Ce serait avec la digue de Tana, le second pan de terre malgache planté dans son cœur. Mais ici, du miel !



Toute l'année, elle avait dit, « je voudrais retourner à Majunga ». Chose faite, donc cette cinquième année. En plus, Mamy avait un énorme 4X4 Hyundai, moins de 200 000 km, autrement dit, juste rodé ! « Putain Mamy, c'est un tank ! » avait finement commenté le vazaha acariâtre. Mamy lui se marrait. « il marche » dit t'il. Il a marché comme une horloge et Mamy a raconté plusieurs fois comment il l'avait acheté. Pas peu fier, le touareg malgache. « Je vais partout avec » dit t'il.



Personne n'a rien compris aux subtilités de la négociation, « tipica gasy » sinon que le vieil « Opel » avait fait un tabac avec sa belle carrosserie, « pour le moteur, on se débrouille toujours », enfin, presque ! Et il avait fallu ajouter une autre épave dont Mamy a le secret. Ici, il y a les « veedores » en toros, là bas il y a les « veedores » en voiture.



Là bas, il est important que la voiture « en jette », que les trous de rouille soient calfeutrés, que la peinture soit belle. Comme ce sourire, qui toujours les illumine !



A suivre




6 commentaires:

pedrito a dit…

Quel exotisme se dégage de tes passionnants récits, Chulo, tu me donnes des regrets, sinon de ne t'avoir accompagné dans ce pays et ses gens si lointains et si proches que tu dépeins si attachants, du moins de ne pas l'avoir découvert au hasard des chemins de la vie. Un bol de fraicheur et d'humanisme!
Quand aux medias d'ici, sont-ils vraiment différents de là-bas? Sous contrôle les malgaches? Et les bonimenteurs de nos chaînes télé, que sont-ils, sinon formatés pour vendre de la merde qu'ils nomment infos?

Xavier KLEIN a dit…

Quand je pense que la France étAIT le pays du système D et de la démerde...
Vraiment c'est la décadence, même là on est dépassé par les malgaches!
Je crois connaître le vazaha acariâtre: un sale con mais qui écrit bien trempant sa plume dans son coeur!
Me plaisent bien ces malgaches: j'aime le fatalisme et le mora mora.

Anonyme a dit…

C'est intéressant de voir que dans ce contexte difficile quand les ressources manquent, la débrouillardise s'installe avec l'art de fouiner, fureter et bricoler... tout ça raconté avec une neutralité apparente qui ne manque pas d'humour.

Gina

Marc Delon a dit…

Hello grand Bwana Vazahacariâtre :
C'est ça qu'il a fait DSK : une faute pas très mora morale , quelle pipelette cette tristane...

Ok, ok... je sors... (si on ne riait pas on pleurerait tout le temps...)
y'a des photos que tu nous avais déjà servies, gaffe à la mémoire !

Maja Lola a dit…

Très bien observé et restitué Chulo. Il fallait un amoureux des malgaches pour pouvoir nous les décrire avec tant de fraîcheur, humour et naturel.
Dans leur débrouillardise, ils me font un peu penser aux cubains, avec le "mora mora" en moins ...

el Chulo a dit…

Merci les amis pour vos commentaires.

Evidemment, comme d'habitude, je digresse, mais ce sont mes souvenirs.et le "mora, mora" fait partie de l'ame malgache.

marcos, tu as raison pour les photos mais j'aime beaucoup celle du pousse pousse à la sortie de l'hotel à Tamatave, et si tu regardes bien, tu verras les doigts de pîeds de l'opérateur en bouquets de violettes, attendant le client. pour moi une bele illustration du "mora, mora".

celle du perroquet transi illustrait assez bien l'état d'esprit désespéré du vazaha acriatre.

quant à tristane, sorry je ne vois pas le rapport.