Je m'avise, que voulant rendre compte de Madagascar, je suis totalement incapable de bâtir une relation linéaire et chronologique. C'est que, je pense, de ce pays on ne revient pas indemne et on doit faire face à une infinité d'images fortes qui se gravent dans notre mémoire. Inconsciemment, sûrement, puis remontent à la surface.
Et avant tout, ce pays d'une beauté incroyable. Cette lumière fine et de soie et de miel, lorsque le jour se lève, puis de sang et d'or lorsque le jour se retire, et, entre les deux, dans les coins chauds de l'Ouest, cette lumière écrasante décomposée. Et ces paysages, d'une incroyable ampleur et beauté, de la route du Sud, tantôt ronds comme des ventres de mère, tantôt déchirés d'aiguilles muettes comme des cris étouffés où le soleil se disloque.
Terre de contraste aussi, avec cette côte Est, celle de l'Océan Indien et des forêts humides, celle dont perfidement, Mamy dit « qu 'il y a la saison des pluies et celle où il pleut », mais où la nature est généreuse en fruits, en vanille, en poissons et où les gens n 'ont pas cet air dur des gens du Sud, car ici, sans être riche, on peut ne pas mourir de faim. Nous avons eu la chance en 2007, en plein mois de Juillet d'être épargnés, ou presque, par la pluie, si on excepte quelques solides averses nocturnes. Il faut choisir sa saison ici.
Terre de contraste avec la rudesse de Tulear, grillée au soleil, misérable et où lorsqu'on n'a rien, on mange les cactus. Ici les gens n'ont pas ce sourire des gens de la côte Est, ils sont farouches, et leur regard est dur. Même la mer, qui se découvre très loin, n'est pas généreuse. Même les « vazaha » se tiennent à carreau, ici, enfin, disons un peu plus qu'à Tana ou Majunga.
Majunga, la charmeuse alanguie, la plus cosmopolite, avec ses musulmans, ses comoriens, ses « Karane » prospères et qui le font voir et ses « vazaha », voyants, mais souvent pour un bref passage, le temps de brûler un pécule au miroir aux alouettes des filles et des affaires qui n'ont rien de miraculeux. Majunga où le soleil ardent vient s'éteindre dans la mer en d'incroyables incendies dévorant le ciel. Ainsi, ici, des « vazaha » sur le retour, se consument avec leur argent, au bras de jeunesses, eux qui, en quête d'une « dernière chance », sont parfois renvoyés dans leur pays après avoir tout perdu, et s'être faits plumer. Majunga est aussi un port.
Et Manakar, de l'autre coté, la musulmane, aussi, et sa plage somptueuse sur un Ocean Indien ici tumultueux et dangereux, avec d'ex demeures coloniales, en front de mer, dans les grands filaos. Ces demeures fantomatiques, à l'abandon, vestiges d'une gloire passée, que l'air marin ronge et qui, comme un reproche, n'en finissent pas de sombrer.
Et non loin, les Panganales, ce long canal qui rejoint Tamatave, avec les femmes qui pêchent à la moustiquaire de minuscules poissons, et des îles perdues entre mer ciel crachin et terre abritant des petits villages de pêcheurs.
Et Tana, au cœur de ses douze collines sacrées. Tana, de toutes les misères mais si attachante. Tana polluée, encombrée d'improbables véhicules, des 2 chevaux ou 4L comme taxis, ahanant dans les raidillons abrupts, jamais totalement vaincus, mais toujours agonisants, les « taxis be », insupportables qui s'arrêtent où bon leur semble, les pousse pousse surchargés des matériaux les plus divers, des chars à zébus, et partout sur la route des gens à toute heure du jour et semble t'il de la nuit, qui déambulent, des commerces ambulants, où on espère vendre quatre fruits ou des légumes. Tana où n'existe plus un seul panneau indicateur ni feu rouge, tous les objets métalliques finissant en casseroles ou gamelles, Tana et ses tunnels étouffants de pollution où des enfants de deux ou trois ans font la manche. Tana qui n'en peut plus de recevoir les miséreux de la campagne environnante persuadés de trouver ici des ressources par les larcins, la mendicité, de petits trafics, dans le meilleur des cas des ventes ambulantes et bien d'autres choses.
Tana et sa longue digue de misère vers l'aéroport, Tana et ses quartiers misérables. Tana et sa ville haute et ses beaux hôtels et restaurants où paradent les « vazaha » les affairistes et les dignitaires, attendus à la sortie par une meute de mendiants. Tana et son étrange et puissante beauté lumineuse. Tana qui se livre peu à peu au voyageur, au fil des ans. Il ne nous viendrait plus à l'idée, sur un séjour de 1 mois de ne pas y rester une dizaine de jours, et chaque année avec le même bonheur, chaque année renouvelé et plus intense.
Tana et son lac Anosy, qu'on voulut en forme de cœur, en bas, avec l'ex Hilton devenu Carlton, les ministères et le stade. Toute la ville converge vers ce point d'eau pourrie et puante, d'un vert « nucléaire », en dégringolant des pentes abruptes vers la vaste étendue plate où Tana n'en finit jamais et les quartiers de misère, comme une ceinture. Mamy dit qu'ici, dans le lac Anosy, les poissons qui restent sont fluorescents.
De la ville haute, on peut également glisser vers l'Avenue de l'Indépendance, qui se voulut une manière de champs Elysées de Tana. Au bout, la gare, belle bâtisse, une gare de ville moyenne en France. Seuls quelques trains de fret empruntent encore les rares voies, et un tape cul « touristique" qui vous emmènera dans les alentours de Tana. Il y eut des voies ferrées, « du temps des français ». Ne reste pratiquement plus que le folklorique « petit train » au départ de Fianar vers la cote Est. Et encore lorsque la locomotive veut bien fonctionner. Sur la route, on longe parfois les voies désaffectées. Alors la gare est devenue aussi une exposition commerciale, assez chère d'ailleurs, avec un restaurant, à coté, plutôt branché. J'ai toujours trouvé cette gare d'une nostalgie puissante et triste.
L’avenue de l'Indépendance grouille d'une foule affairée au travers de laquelle, les voitures tentent de se frayer un passage. C'est une constante à Madagascar, la route est un lieu de vie, d'échanges commerciaux en tous genres, un capharnaüm. Tournant à droite devant la gare, en descendant l'avenue, on entre dans un quartier étrange, grouillant plus qu'ailleurs. Lorsque nous le traversons, Mamy verrouille les portières, et a un air grave inhabituel chez lui. Il faut littéralement se frayer un chemin, parfois des mendiants estropiés s'accrochent à la portière. Une cour des miracles. Mamy nous a raconté, un jour qu'un malheureux s'était ainsi pendu à la portière, que c'était sûrement un voleur du marché voisin, et que ses « collègues » l'avaient châtié en lui brisant bras et jambes. Les pauvres n'aiment pas qu'aussi pauvres qu'eux les volent.
Nous avons beaucoup réfléchi aux « encombrements » de Tana. En fait il y a d'abord la circulation anarchique de tout ce qui peut rouler, se déplacer, marcher au milieu d'improbables commerces et une foule désœuvrée. Il y a aussi la conformation de la ville, ses raidillons où les voitures s’essoufflent et calent, les taxi qui tombent en panne d'essence, car ici, dès qu'un taxi a fait une course, il va chercher de l'essence dans une bouteille d'eau minérale et attend d'être en panne pour réalimenter le moteur. Le litre coûte presque un euro. Autrement dit, la voiture d'agrément est réservée à une classe moyenne supérieure. Les autres se démerdent, font une épave avec trois épaves et roulent quand miraculeusement, il pleut de l'essence, ou plus sérieusement, peuvent faire financer leur déplacement. Enfin, l'absence absolue de régulation de la circulation, avec parfois, à certains carrefours, des gendarmes ou militaires totalement dépassés qui ne font qu’aggraver le chaos.
Ce qui fait que de toutes façons, circuler dans Tana est une gageure, à presque n'importe quelle heure du jour. De plus, les gens riches ici adorent faire construire sur les collines avoisinantes, de grandes et belles maisons, qui dominent la ville. C'est aussi la raison pour laquelle, la colline du Père Pedro et ses aménagements, dans un terrain qui lui fut concédé, suscite pas mal de convoitises, et lui cause quelques embarras.
Ici, comme partout à Madagascar, lorsque vous faites construire une maison, vous commencez par ceindre le terrain d'un haute clôture, souvent 3 mètres de haut, qui plus est souvent ornée de jolis rouleaux de barbelés ou tessons de bouteille. Vous fermez d'un lourd portail de métal, et vous mettez un gardien dedans, gardien, que par ailleurs, il est recommandé de renouveler tous les trois à six mois, avant qu'il ne soit tenté par quelques transactions inavouables ou ne cède à quelques menaces. Moyennant ces précautions, vous pouvez commencer à bâtir et commencer à stocker avec parcimonie les matériaux, qui, sans cette muraille gardée quasi militairement, s'envoleraient aussi sûrement que rosée au soleil.
Mamy, toujours présent, prudent et vigilant, nous raconte et fait voir tout cela. « Mon pays, mon pauvre pays » !
A suivre
2 commentaires:
Bien sûr,que peu ou prou on sait tout cela, on imagine la misère dans tous ces états, l'inhumaine abjection souvent, de ceux qui martyrisent plus pauvre qu'eux, alors qu'on s'attendrait à de la compassion solidaire. Pour ne pas crever de faim, comment ne pas voler, tuer?
Il faut aller au bout de ces lectures si passionnantes, bien sûr, et aussi dérangeantes et cruelles, mais tellement nécessaires à notre information
L'espace est séduisant par sa lumière, les villes en revanche, inquiétantes par le grouillement,l'agitation désordonnée des populations qui s'activent. Mais que de pittoresque bien rendu par les photos!
Gina
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