Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

mardi 7 août 2012

Un pays qui coule (2)


« Qui trop embrasse mal étreint »



Le souci majeur de Monsieur Ravalomanana était de consolider son monopole sur tout l’agro-alimentaire de Madagascar, en exemptant également toutes ses entreprises de toute charge fiscale. Ceci passa aussi par la suppression de toute concurrence. Ensuite évidemment les très rentables trafics : bois précieux, vanille, cacao, café, zébus, mais aussi pierres précieuses, semi précieuses, or, pétrole, riz, huiles essentielles et les importations, devaient passer sous son contrôle ou celui de ses affidés.
Très astucieux c’est avec un certain cynisme qu’il monta une police anti-corruption, si, si, si, cela aussi fait bien rigoler les malgaches, « encore une connerie » et même une cellule anti blanchiment « encore une connerie », comme dit le serveur du restaurant de notre hôtel. Or la corruption est un secret de polichinelle, à tous les niveaux de l’Etat, y compris les plus hauts,  et des Administrations du plus petit niveau au plus élevé, y compris judiciaire ou policière à tous les niveaux, sans parler des douanes, par pudeur, voire même certains secteurs universitaires. Bref, parlons clair, aujourd’hui tout s’achète ou peut se vendre à Madagascar.
Quant au blanchiment d’argent, c’est aussi une tarte à la crème, car si dans les banques on effectue la change avec un certain nombre de précautions et contrôles, là où le change est le plus spectaculairement favorable, c’est dans des officines de change qui n’ont rien de confidentielles ; ont pignon sur rue, fleurissent partout et où vous pointez avec vos euros et sortez avec des ariarys sans le moindre contrôle. Exemple à Tana à deux pas de l’hôtel et dans une des rues les plus importantes de Tana, et à deux pas aussi du Palais Présidentiel, pour un cours officiel de 2880 on changeait à 2850, 2550 à l’hôtel et entre les deux dans une banque. En réalité il faut être vigilant car on trouve toutes sortes de changes, mais la grande ile est une lessiveuse à monnaie de première grandeur, et les antis blanchisseurs devraient ôter leurs verres de lunettes en bois de rose massif. C’est aussi pour cela que les malgaches se marrent, mais dirons-nous d’un rire jaune, ce qui est dans leur cas, un peu contre nature. « Encore  une connerie » !

De plus Ravalomanana était soutenu  par une partie de l’Eglise Protestante,  dont il était ni plus ni moins que le chef , l’église FJKM ou l’église réformée malgache. Pour bien comprendre l’importance de l’Eglise et plus particulièrement protestante à Madagascar, je conterai la démarche de Mamy . Marié l’an dernier avec Nathalie, il est père d’un petit garçon depuis fin Mai. Jusqu’ici, Mamy ignorait royalement la religion, voire même plus, un peu à l’image de cette mécréante de Lanto. Déjà en vue de son mariage il avait fait une préparation religieuse poussée et il poursuit assidument sa formation. Comme je m’étonnais de cette conversion pour le moins spectaculaire, il me dit qu’il était nécessaire de faire partie de la communauté et de plaire au Pasteur, en étant connu de lui. C’est la façon plus tard de garantir l’accès de l’enfant aux bonnes écoles privées, entre autres bénéfices.  Et désormais gêné, il éluderait soigneusement le sujet, que je renonçai à aborder. Mais son cas est courant : un de ses frères également, que j’ai connu très mécréant, est marié à une femme très croyante. Même discipline pour lui. Ses deux filles fréquentent des lycées et écoles supérieures religieuses et évidemment privées et fort chères. Lui est plus clair sur le sens de  sa démarche en n’en fait pas mystère. Donc à l’évidence on ne peut pas parler de séparation de l’Eglise et de l’Etat, et de plus les pseudos églises de tout crin se multiplient, surtout dans les provinces où l’analphabétisme, les superstitions, les pratiques proches du vaudou font des ravages et font de ces déshérités des proies faciles pour tous les imposteurs.Et, dans un pays où l’analphabétisme, précisément, est supérieur à 50%, on imagine le poids d’un Pasteur ou autre gourou qui inciterait à voter pour tel ou tel candidat.

On peut dès lors parler de folie des grandeurs lors de son second mandat pour Ravalomanana. S’il est vrai qu’il a développé une ébauche de réseau routier, le premier bénéficiaire a été, aussi, son groupe. Dans ces années fastes, en partie la route de Tamatave était sillonnée par les beaux camions de Tiko. Aujourd’hui ces routes construites plus que légèrement,  comme celles de Diego et Majunga se dégradent à une vitesse effrayante. On peut se demander quelle partie du budget prévu passait réellement dans la construction de la route et non sur certains comptes discrets. Encore une connerie !
Certes déjà les avantages accordés à ses entreprises au détriment du fisc, son monopole de fait en interdisant toute concurrence, son flirt poussé avec l’Eglise FJKM dont il s’est fait élire vice-président, son désir de contrôle strict de la presse et de l’audiovisuel en général, comme sa  francophobie exacerbée qui le pousse à promouvoir l’anglais, au grand dam des élites malgaches.
Mais tout cela après tout ne serait rien, si on excepte la  ricaine « touch » derrière tout cela. US AIDS est au sommet de son intervention bienfaitrice, et on parle de l’Ambassade américaine. Bref tout va bien pour le « self made man, golden boy ». On sent bien que ça barbouze un max. Ravalomanana allait commettre au moins 3 énormes fautes de goût :
-         - en interne, il alla jusqu’à envisager et bien plus avait décidé de concéder au coréen Daewoo l’exploitation de 1,3 millions d’hectares de terres cultivables. On imagine bien sûr quel profit auraient pu tirer ses entreprises d’agro-alimentaire de la manip dont nul ne connaît les aspects contractuels, sinon qu’il s’agissait  d’un bail emphytéotique  de 100 ans. Lorsqu’on sait la valeur inaliénable attribuée à la terre à Madagascar, il s’agissait tout simplement d’un sacrilège. En effet des populations forcément vivaient sur ces espaces, (cela représente peu ou prou un carré de 100 km de coté), avec sûrement des tombes, des lieux sacrés qui seraient  profanés et tant d’autres choses qui comptent pour les malgaches. Ceci dit, ce qui a le plus alimenté les soupçons est que l’opération a été ficelée dans le secret le plus absolu et sans la moindre transparence.
-          sa francophobie affichée agaçait Paris tandis que son libéralisme échevelé lui attirait certaines sympathies : Allemagne, Chine, Etats Unis. Ceci le conduisit à confier à des acteurs étrangers des entreprises phare comme la Jirama (le producteur  et fournisseur d’énergie électrique à Madagascar) aux allemands, mais aussi en 2005, le groupe Bolloré perdit la concession du port de Tamatave, privatisé au profit d’un groupe philippin et il fallut des pressions très fortes de l’Elysée, car la France reste un bailleur de fonds essentiel pour Madagascar, en 2008, pour que Total finisse par signer avec l’Etat malgache une licence lui permettant exploiter les sables bitumineux de Bemolonga , à l’Ouest de l’île, alors que Ravalomana, qui admirait le régime libéro-autoritaire chinois, voulait précisément en confier cette exploitation à ces chinois, qui eurent leur compensation avec les mines de fer dans la région de Majunga, à Soalala en 2010 ce coup ci. Toujours en 2008 l’ambassadeur de France Gildas Le Lidec fut viré comme un malpropre. Le bruit court qu’il aurait fait survoler certaines zones occultées par des hélicoptères, ce qui dans ce cas ressemblerait à un règlement de compte de  barbouzes, mais aussi que ce diplomate habitué de l’Afrique était précédé d’une réputation quelque peu sulfureuse car où il passait, cela se terminait en conflit armé, (Congo et Côte d’Ivoire) . Je ne sais pas si cet argument est valable dans la mesure où les conflits armés semblent les seuls moyens de régler les problèmes en Afrique, mais il semble que le très superstitieux Ravalomana  était persuadé que notre représentant « avait le mauvais œil ».
-        - enfin, soucieux d’imiter les grands chefs d’Etats, il envisagea de recevoir l’Union Africaine à Tana, fit construire un hôtel somptueux non loin de l’aéroport par les chinois, acheta un stock de voitures de luxe, mais surtout s’offrit un Boeing sur le modèle de Ait Force One, surnommé Air Force 2, pour la modique somme de 60 millions de dollars. Dans le 12ème pays le plus pauvre du monde, tout cela faisait un peu désordre.

Mais, « qui trop embrasse mal étreint »

A suivre, « l’irrésistible ascension d’un DJ »

9 commentaires:

Marc Delon a dit…

Pfffff... oh là laaaa chulo... ça y est je viens de me taper la lecture de tes deux articles instructifs et j'en peux plus... c'est trop bien, trop sérieux, trop savant, trop analytique... c'est que je suis encore en mode vacances, tendance fiente cuiderienne, moi... j'avais pas envie de me cultiver tant, je ne suis pas dispo pour ce genre de thèse politico-sociologique assénée avec tant de violence pédagogique de clavier...
Allez, je retourne à mes photos et puis vais lire Deck, tiens.
Maja Lola quelque part en pays celtique doit être au milieu des goélands et est quasi injoignable... d'ici qu'elle ''souffre'' d'une surveillance rapprochée qui l'empêche de communiquer avec ses bloggueurs préférés, il n'y a qu'un pas que tout en l'évoquant je ne franchirai pas ! Reste Gina qui a repris du service en revenant de Hawaï. J'avais décliné son offre de carnet de voyage pas taurin mais finalement, puisqu'on est dans une sorte de communauté de globe-trottineurs, je crois que je vais de ce pas lui ouvrir mes colonnes... c'est l'été après tout... et puis lire une pro-ricaine à donf, pour des marxistes, c'est toujours intéressant ;-)

el Chulo a dit…

Je sais marc que je peux être chiant mais ce peuple si riche au propre comme au figuré et en réalité si pauvre mérite qu'à mon très modeste niveau j'apporte mon témoignage sur cette situation. je pense qu'en une paire d'articles ce sera bouclé, puis je parlerai de mon émerveillement pour Diego et je pense aussi des femmes de diego.
En quelque sorte CE travail, car c'en est un, pédagogique est un dû de ma part vis à vis de mes amis malgaches.
J'attends aussi le retour de Maja Lola.

Marc Delon a dit…

Non, non, toi tu es intéressant, c'est moi qui ne suis pas en état de connexion possible avec ça pour le moment...

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup ce qu'écrit el chulo sur Madagascar.
Ca change de ceux qui ne voyagent que comme des valises.

Anonyme a dit…

J'aime bien ce dernier commentaire de 9h43 et je me rends compte, moi qui regarde et adore la nature, ses oiseaux, ses arbres et ses fleurs, qu'un pays ne se sépare pas des hommes et de leur histoire. En plus, quand on a vu, on a envie de communiquer ce qu'on a appréhendé plus ou moins volontairement car on sait tous les clichés que traînent les ignorants et les partiaux de par le monde. Chulo nous fait ça avec tant de précision qu'on ne doute pas de saa probité.
Marc a raison, les détails échappent mais une impression, triste, sur une partie de l'humanité subsiste.
Gina

Marc Delon a dit…

ça doit être pour moi "la valise" vu que ce n'est pas signé...

"Marc a raison les détails échappent" ... j'ai jamais dit ça...

Anonyme a dit…

Ca y est, Marc se fâche. Alors, pardon pour les "détails". Je parle donc pour moi qui suis peu versée en politique malgache ( ou autre), qui ne retient ni les noms ni les faits marquants, qui me contente de l'impression d'ensemble fort pessimiste que transmet Chulo. A vos retours de voyage, Chulo ou Marc, vous n'avez pas l'air de valises voyageuses. On sait ce qui a suggéré de la réflexion et des sentiments...et on en profite. Les valises, en général se remplissent et subissent les secousses passivement. On les installe à l'hôtel et elles, au moins, ne comptent pas le nombre d'étoiles. Certains voyageurs ne retiennent que ça !
Gina

Maja Lola a dit…

De ma forêt occulte où Merlin me retenait captive je n'ai pas perdu une miette des écrits de notre érudit correspondant en terre "rouge" ...
Bravo Chulo ! Illustration parfaite de la force et puissance des églises évangéliques avec leur machine redoutable de com' et leurs réseaux solidement établis contre lesquels l'église catholique apostolique et romaine fait figure d'un "has been bisounours"....
Là où ces derniers peinent à continuer dans leurs mission chrétienne s'appuyant sur une église de système pyramidal (Rome et toute sa hiérarchie descendante) et où seules leurs communautés sur le terrain (avec leur manque patent de moyens humains)se battent de manière très traditionnellement conventionnelle (dispensaires de brousse, écoles...)et référant toujours à Rome, les évangélistes pratiquent leur expansion avec des "armes" d'une efficacité redoutable : n'importe quel de leur membres peut créer sa communauté et étendre ainsi un maillage utile à l'exploitation économique, leur diversité d'appellation étant un atout majeur : ils peuvent naître, croître, prospérer, s'adapter en fonction du terrain à "coloniser".
On comprend vite l'intérêt que présente cette force et souplesse pour des politiques peu scrupuleux et avides de pouvoir et richesse ...ou le contraire ... chacun y trouvant son compte.
Ils ont vite compris (comme d'ailleurs dans d'autres continents) que dans un pays comme Madagascar avec ses richesses à exploiter, ils joueraient sur du velours en acceptant et adaptant aux autres croyances locales leurs discours néo-libéraux de la "foi".
Aux malgaches de voir comment s'adapter, eux ... ils l'évoquent d'ailleurs, tu le dis, avec ironie.
Le lobby évangéliste n'a pas fini de s'amplifier ... et le catho et prot de continuer à se poser des questions .... les bonnes peut-être ?

el Chulo a dit…

chère maja,

tout d'abord ravi de te voir revenue des terres celtes et de quelle façon.

ensuite merci pour ce commentaire. tu sais j'écoute, je regarde et j'essaie le plus fidèlement possible de dire ce que je vois ou comprends.

on pourra aussi me dire que moult pays d'afrique qui ont le malheur d'avoir des ressources pétrolières sont pillés de la même façon.

simplement, c'est pour de grandes personnes comme Lanto que je fais ce "travail", regrettant seulement d'avoir si peu d'audience.

un beso guapa