Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 7 mars 2013

Antonio de Ramena (1): le culte des ancêtres


On rejoint Ramena, depuis Diego Suarez, par une route plutôt bonne, qui longe la baie, sur une vingtaine de kilomètres. Comparés à ceux qui séparent Diego de Antsoii, ces kilomètres là sont un vrai délice : la route est certes étroite, mais très carrossable. On a l'impression de décrire un cercle dont le centre serait le fameux pain de sucre, à notre gauche. Immédiatement, Mathilde demande si on pourra y aller, sur ce fameux pain de sucre. Mamy explique que c'est un lieu sacré, et donc, il est interdit ou « fady » d'y poser les pieds.





Lanto, toujours prudente, nous avait bien mis en garde contre les attaques des « foroches », ces bandes de voyous qui peuvent terroriser la population de Diego, et auraient déjà commis des attaques sur cette petite route. Mais en fait depuis 2011, quand une opération d'ampleur fut menée par les policiers « merinas » de Tana, il semble que ces jeunes gens se tiennent plus tranquilles.



Même s 'il nous arrive de rire des histoires omniprésentes de « fady », et Mamy avec nous, je le soupçonne de rire, pour que nous ne le prenions pas pour un demeuré, ce qui, très franchement est tout à fait improbable de notre part. Bref, nous le soupçonnons fortement de détester, au fond de lui, rire de ces histoires, qui, s'il les transgresse, risquent d'attirer sur l'imprudent, les foudres d'une multitudes d'ancêtres vindicatifs. Et même si, pour un type plutôt évolué et moderne comme Mamy, tout inviterait à ignorer ces craintes, en l'absence de certitudes absolues, mieux vaut ne pas se risquer dans ces zones dangereuses de la pensée, qui ignorent Descartes. Pourtant, à Madagascar, les ancêtres, objets de toutes les sollicitudes sont censés être plutôt sympas.



Nous avions eu la chance, à Tana ou sa proche banlieue, d'assister à la fête de retournement des morts, et ce, dans une famille très aisée. C'est Lanto, qui, entendant la musique, et sans le connaître, le plus naturellement du monde avait demandé l'autorisation au maître des lieux, qui l'avait accordée très volontiers. Il avait longtemps séjourné à Marseille et occupait à Tana des fonctions très importantes. L'entrée dans la propriété faisait penser à une garden party. Très belle propriété, bâtiments pimpants.



Les maîtres des lieux avaient fait les choses en grand, une grande tente pour abriter les agapes des personnalités, à proximité directe de 3 linceuls posés sur une table, et une fanfare qui jouait sans interruption une musique lancinante. Ainsi exposés, les ossements attendaient d'être remis dans le tombeau. Soucieux du détail, le maître des lieux nous indiqua qu'en fait dans les linceuls il y avait 4 morts, et que, probablement faute de repères, deux avaient été regroupés dans un seul.




Le bas peuple n'était pas oublié, pour lequel on avait dressé un bar où se servait en particulier le très redoutable rhum malgache. La biture volait bas ! Jusque là, nous avions évidemment assisté à ces processions derrière une boite en carton contenant les ossements, en musique, si on peut dire. Mais c'étaient des cérémonies bien modestes, bruyantes certes, mais dépenaillées, en comparaison du faste très bcbg déployé ici. Mamy dit que c'est aussi pour la famille une façon d'exhiber son aisance et ses richesses.



Ceci pour dire que les ancêtres malgaches, habitués à tous les égards, jusqu'au dépoussiérage périodique de leurs ossements lors de ces joyeuses cérémonies, auraient peut être tendance à ne pas tolérer le moindre manquement au respect des « fady » qu'ils multiplient à l'infini. Certainement, pour qu'on ne s'avise pas de les oublier ou de douter de leur omnipotence ! A force de tant de gâteries, ils doivent finir par être un poil caractériels ou carrément infantilisés. C'est mon interprétation de mécréant. L'aptitude de tous les malgaches à côtoyer l'ésotérique m'a toujours surpris, y compris dans des milieux socialement et culturellement très évolués. Ici, en tous cas, on fait la queue pour passer à table, en compagnie des ancètres.




Il fallut visiter le tombeau, nouveau aussi. Là Lanto et Mamy n'étaient pas vraiment à l'aise, alors que le propriétaire nous invitait à entrer dans le bâtiment. Nos amis malgaches restèrent à l'extérieur. Il nous expliqua comment les linceuls allaient bientôt être remis en place, sur des étagères en bois, et aussi les « fadys » qui accompagnent cette cérémonie. Je crois avoir compris qu'il fallait faire 7 fois le tour du tombeau, dans un sens précis et aussi que si on amenait les linceuls par un chemin, il fallait revenir par un autre. Bon, c'est ce que je crois avoir compris.



Retour donc à la fête. On nous propose de nous alimenter aussi, nous déclinons l'invitation. Et puis, la musique est vraiment entêtante. J'en ai maintenant un peu assez. Je m'étonne aussi du nombre invraisemblable de musiciens de cette « banda » composée pratiquement uniquement de bois et de cuivres qui sonnent dans un timbre plutôt strident. Donc, laissons les ancêtres à leur repos vigilant. Maintenant, je sais qu'ils ne dorment que d'un œil, en attendant qu'on change leur linceul.



L’hôtel est posé au bord de la baie, à proximité d'une mangrove. C'est un petit hôtel d' une dizaine de bungalows. Le notre donnait à même la plage, par une terrasse ombragée. Juste un muret à descendre pour rejoindre un transat et un abri du soleil très couleur locale, en bois massif. Cette année j'avais décidé de ne pas emmener de livre. La privation de lecture était rapidement devenue intolérable. A l’hôtel, ils proposaient quelques livres français : j'ai pu en particulier relire « Que ma joie demeure » de Giono, ce livre qui, adolescent, m'avait tant troublé. Je dois à la vérité de dire que cette relecture m'a plutôt déçu. On prend le petit déjeuner ou les repas en plein air près de la piscine . La vue est incroyablement belle et lumineuse, comme partout à Madagascar.
 
à suivre?





7 commentaires:

Anonyme a dit…

"Que ma joie demeure" de jean Giono a "vieilli"... Depuis quelques années, afin de m'en assurer (tant j'avais de vénération pour Jean Giono et tant j'avais peur de lui être devenu infidèle)j'ai relu ce livre plusieurs fois. Il faut se rendre à l'évidence, ça a vieilli ! Mais n'est-ce pas nous qui avons broyé nos "âmes fortes" dans l'horrible machine des facilités et des futilités du progrès ? L'utopie de Giono est déjà devenue inconcevable pour des gens "d'un certain âge" comme nous, pensez donc pour des jeunes gens d'aujourd'hui. Ce qui m'a rassuré, en relisant "Que ma joie demeure" c'est que le retour à la terre ne correspond en rien à la manière dont les hippies d'autrefois et les bobos de nos jours l'ont rêvé et mis en pratique. Sans doute la hauteur des âmes gionesques était-elle inaccessible à ces rase-mottes.
C'est quand même incroyable cette tradition du retournement des morts à Madagascar ! Remarquez, chez nous en Occident, on dit tellement de conneries et on en fait tellement que nos morts se retournent souvent dans leurs tombes. Et aussi, n'a-t-on pas exhumé X fois ce pauvre Yves Montand ? Je me demande si, même mort, il ne lui arrive pas de sortir en douce pour signer des pétitions de Saint-Germain-des-Près. Il aimait tellement signer les pétitions ! Nul doute qu'aujourd'hui il ferait partie des grands signataires anti-taurins tels que Bardot, Delon, Belmondo et Rochefort.
Je vais parfois lire sur internet le journal de Cenicientos. Les pauvres aficionados a los toros sont confrontés à la connerie anti-taurine du maire PSOE. Il a déjà sucré la subvention pour les corridas de la feria. Ma copine Juani est scandalisée, révoltée (et je n'ai pas dit "indignée"...).
Si tu veux rire des facéties de la peña Olemares de Cenicientos, vas voir les photos de leur fiesta dans la finca "Puente Jabonera". Ca plaira à Flaco ! La placita est rose et la cuadra de picar est composée d'ânes avec de grandes lunettes roses et de grands noeuds rouges entre les oreilles ! Tu tapes El Diario Corucho puis tu cliques sur FOTOS, puis sur Archivo fotografico, puis sur l'album VARIOS (avec en dessous photo d'un paysage au coucher du soleil) et tu auras les fotos de la feria. C'est vrai qu'ils sont un peu déjantés à Cenicientos : je les aime beaucoup.
JLB

el Chulo a dit…

"Inconcevable" cette utopie, je ne pense pas JLB. Le "au dieu inconnu" de steinbeck manipule les mêmes concepts et en sort intact de mon point de vue.
c'est plutôt l'écriture, qui me plaisait tant et me semblait du plus beau lyrisme qui a vieilli de mon point de vue.
mais l'ambiance reste très puissante et le grand cerf est une idée géniale.

el Chulo a dit…

pas mal en effet, le tentadero rose!

pedrito a dit…

JLB: Il me déplairait que Montand se joigne aux 4 badernes: mais çà ne m'étonnerait pas!!! Bravo pour cette touche d'humour en tout cas
Plus sérieux, Chulo, merci pour tes textes. Mais pourquoi: à suivre?
A suivre! Tout simplement

Anonyme a dit…

Une belle page ce récit-photos.
C'est impossible de fréquenter un pays sans l'envie de s'imprégner de ses croyances.
Il ne manquait plus que l'évocation de ce beau roman de Giono...Du coup, je vais le relire et essayer de ne pas mourir sans me rendre un jour à Madagascar.
Merci pour le texte et les commentaires
Gina

Anonyme a dit…

Chulo, j'ai un peu la manie des cartes géographiques car je suis nulle en géographie.Serait-ce possible, qu'on se déplace avec vous, dans le prochain épisode?
Gina

Marc Delon a dit…

ouais, ouais, je confirme, elle est obsédée par les cartes et le territoire, mega-marotte, c'est pour ça que je vais dans le désert, y'a rien à lui montrer au retour, que des points GPS....