Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 30 septembre 2010

Rendez Las Ventas à la corrida

J'ai suivi avec l'intérêt que je lui porte toujours, les derniers commentaires d'Olivier. Pour une première bonne raison liée à mon goût admiratif pour sa belle écriture, mais aussi pour sa perception d'excellent aficionado.

En effet, s'il nous arrivait de nous « friter » sur des sujets littéraires, nous étions en harmonie totale sur le sujet de ce qu'il nomme la « tauromachie » et les « tauromaches ».
Harmonie, semble t'il rompue par mon commentaire sur la corrida dite « triomphale » de Dax.

J'ai toujours été, jusqu'alors dans une arène, avec le regard fixé sur le toro, cherchant à déterminer son comportement, sa bravoure éventuelle, sa caste éventuelle, mesurant aussi sa mansedumbre, sa force, épiant son galop, ses moindres fléchissements, sa conformation, ses pattes, son cou, évidemment sa tête, sa conformité zootechnique, sa corne préférentielle. Ceci demande une forte concentration, mais permet de mieux mesurer comment le matador s'y prend avec lui, et déceler de probables ou éventuelles tricheries.

Va donc pour le toro. Maintenant le matador. Son placement, le pico ou la bamba, sa façon de mettre la jambe, s'il est croisé ou non, sa façon de lidier, de remater les passes, de donner du temps au toro, ses toques, la position de son bras lorsqu'il cite le toro, ( devant, à la hanche), sa façon de l'entraîner, (centrifuge, centripète), et de « l'obliger ». Mais aussi, le travail des subalternes, évidemment le picador, mais pas seulement. Ceci demande aussi une très forte concentration.

Cette façon de regarder la corrida est extrêmement contraignante, et de plus j'ai souvent remarqué que soit je regardais le toro, soit je regardais le torero. Or la corrida, c'est évidemment une synthèse et une harmonie. Seules les grandes faenas, rarissimes, qui font curieusement l'unanimité, emportent l'adhésion du spectateur aficionado ou non, dans une vision beaucoup plus synthétique, c'est à dire que l'émotion, la puissance dégagée, la vibration liée au danger latent du toro et l'exposition du matador, peuvent faire passer certains détails de moindre niveau au second plan. A cet égard, d'ailleurs, le visionnage de ce concentré d'émotion, à postériori, à la télé par exemple, ou sur le PC, est souvent frustrant, car outre qu'il s'agit d'un plat réchauffé, le film accentue tous les défauts éventuels de la gestuelle, ou du placement qui nous avaient échappés. Donc, à l'évidence, les dispositions dans lesquelles on se trouve, râleur à priori critique ou réceptif, l'immédiateté des émotions du direct contribuent énormément à notre perception même et à notre appréciation. Je pense souvent, dans un domaine différent, au cas de Brel, par exemple, et l'incroyable puissance émotionnelle qu'il dégageait sur scène, et cette manière de frustration lorsqu'on l'écoutait sur disque ou CD.

J'étais devenu une machine à critiquer, me gâchais tout plaisir, pour arriver à la conclusion que ce que je voyais dans l'arène n'avait plus rien à voir avec l'idée que je me faisais de la corrida, ou de MA corrida. Donc, je désertai les arènes, regardant toutefois, honteusement, tout ce que je pouvais à la télé ou sur mon ordinateur.

Ceci dit, nous savons tous que la corrida est une quête et qu'à ce titre il faut admettre les échecs, les déceptions, et finalement, croire au miracle. Donc, bien sûr, admettre des spectacles médiocres ou lamentables ou se contenter du fait, tout aussi rare et exceptionnel, que le matador a fait ce qu'il fallait devant l'opposant qui lui était proposé. C'était être « regular » à las Ventas, c'est à dire servir la lidia qui convenait, sans cabotinerie excessive, ni tromperie et surtout avec dignité. Simplement, bien faire ce qu'il y avait à faire, sans plus, sans moins, non plus. Mais aussi, ne rien faire s'il n'y avait rien à faire.

Or la corrida moderne, dans son fonctionnement actuel, et surtout en Espagne, où les spectateurs populaires ont massivement déserté les arènes, s'accompagne d'une « obligation de résultat », ce qui est parfaitement antinomique avec l'esprit même de la corrida. Ce sont quatre ou cinq « figuras » qui contrôlent la taquilla, exigent des toros qui permettent cette fameuse « obligation de résultat », mais en contre partie, et au prix de cachets exorbitants, assurent le remplissage des gradins de curieux de passage, prêt à s'enflammer à priori, donc, assurent également la relative tranquillité, au moins à court terme des organisateurs. Et si le tauromache pouvait se satisfaire et même s'enthousiasmer pour une lidia âpre, de 20 passes, cette dimension a pratiquement disparu, exception faite de certaines plazas dites toristas. Ce spectacle là semble bien définitivement destiné à une poignée d'initiés, par ailleurs peu disposés à payer les places un prix exorbitant, mais ne correspond nullement au goût des nouveaux spectateurs, qui veulent que cela bouge et une centaine de passes.

Et je persiste, toutefois à dire que cette corrida de Dax, si elle ne fut certainement pas la corrida du siècle, ni de l'année probablement, compte tenu des ingrédients, toros, toreros, n'a été ni détestable ni grotesque et que les trois matadors ont fait leur maximum, alors que les toros n'étaient, dans leur catégorie, ni ridicules ni inintéressants pour certains. Le spectacle a rempli ses promesses, conformes à l'affiche, et a rendu les gens heureux. Ceci dit on savait pertinemment ce qu'on allait voir et on pouvait rester chez soi.

Je persiste également à dire, qu'à l'évidence on était dans une autre dimension, et que ce que j'ai vu ne m'est allé ni au cœur ni à la tête. Il y du bon théâtre de boulevard et des choses d'une prétention insupportable, de bon films populaires et de bien pesants navets dans certains cinémas d'art et d'essai, et c'est vrai pour tous les arts, et singulièrement en littérature et aussi en chant, pour ceux que je connais un peu.

Un tout autre problème est de regretter comme moi, les dérives actuelles de la corrida, voire les déplorer, toutefois, sans amnésie excessive.

On sait bien que dans les années 50 on toréait des toros de 3 ans et que le passage obligé au toro de 4 à 5 ans a eu raison de certaines figuras de l'époque. L'afeitado s'est toujours pratiqué. Les mêmes qui parlent, avec des trémolos larmoyants dans la voix, d'Antonete ou de Paula ou de Romero ne les ont souvent jamais vus, encore moins bien, au moins pour les deux derniers ou se foutaient d'eux, toujours les deux derniers, lors de leurs déroutes. Il y avait eu dans le même cas, sans que la liste soit exhaustive, Chicuelo, Cagancho, voire le divin chauve. Les revisteros étaient tout aussi vendus et même certainement beaucoup plus, ou d'une façon moins subtile.

Il vaudrait mieux s'interroger sur quelles étaient les différences, avant de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Il fut une époque où, y compris les figuras, toréaient tous les encastes, même si souvent, ils pouvaient faire entendre leurs préférences. Ordonez par exemple se colletait plutôt souvent avec des Miura, même s'il appréciait particulièrement les Atanasio. Je pense qu'il subsistait une notion de verguenza torera.

On pouvait encore distinguer clairement les morphologies des toros, dont les éleveurs recherchaient encore la bravoure et la caste. Les faenas étaient en général courtes et respectaient les trois tiers. On sait ce que dans la corrida moderne il en et advenu, en exigeant un toro noble, suave, capable d'encaisser 80 passes sans barguigner.

Mais surtout, me semble t'il, las Ventas en premier lieu, puis dans un registre traditionnellement plus « gitan » ou artiste, Séville, étaient des passages obligés pour tous le matadors.

Un matador devenait, au yeux des aficionados, réellement matador, lorsqu'il était passé par las Ventas et ses exigences, jugées souvent démesurées. C'était une manière de Doctorat, et être bien à las Ventas garantissait les engagements futurs. A l'évidence, avec la vulgarisation liée à la télévision, ce rôle s'est émoussé, et nous n'allons pas ici analyser les fautes des uns et des autres. Toutefois, il restait à las Ventas, un public plutôt compétent, très exigeant, qui en fait était détenteur de la loi et de la règle. On sait le rôle qu'on joués aussi bien le terrible tendido 7 de ce temps, je dis bien, et des revisteros tels que Vidal ou Navalon, dans la tentative de maintien de cette orthodoxie, aujourd'hui rangée dans de poussiéreux placards.

Tout torero savait que ses exigences et ses contrats de l'année allaient se finaliser après un passage réussi à las Ventas. Passage réussi ne signifiant pas forcément triomphe devant les animaux qu'on allait lui proposer, mais respect strict de la « lidia », et pertinence de sa prestation, en fonction, encore une fois du toro. Et il fallait renouveler chaque année l'opération.

Ce public, dans sa majorité savait parfaitement « voir » si un toro avait des passes, dans ce cas, il n'était pas pardonné de ne pas les donner, s'il n'en avait pas, dans ce cas, ce public admettait fort bien une lidia de « castigo » ou de mise en place efficace et rapide pour l'estocade. Mais jamais il ne tolérait les placements que l'on voit aujourd'hui, devant les toros d'aujourd'hui, l'abus de « pico », je dis bien l'abus, encore moins qu'on le prenne à témoin pour lui faire comprendre que le toro n'avait pas de passe alors qu'il était simplement un peu compliqué. Bref le matador devait être « regular », au minimum, ce qui pourrait se traduire par honnête. Il n'admettait pas non plus, ce public, qu'on allonge inutilement les « faenas » avec des passes inutiles elles mêmes.

Cette intransigeance génait beaucoup de monde alors que Canal proposait des ponts d'or pour diffiser des corridas, puis toutes les tvs nationales ou annexes.

Donc le lobby PPien falangisto-fascistoide des éleveurs a agi. Quelques allumés dont le Dede, ont expliqué qu'il y avait des ayatollahs, des irresponsables qui n'avaient rien compris à toute la difficulté de l'affaire, et qu'il fallait laisser faire ceux qui savent, dont lui, qui fut si brillant à Madrid.

Dont acte!

À suivre, peut être
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3 commentaires:

Bernard a dit…

Chulo ami,

Outre que je souscris entièrement à ton analyse, je crois que tu as écrit le mot juste - qui fait apparaître la situation encore plus insoluble: les gens qui vont aux arènes veulent être HEUREUX! (et ton précédent message relatant ce "Dax historique" le disait assez)... D'ailleurs, dans quel domaine les gens ne veulent-ils pas être heureux à présent?... Alors, le tendido 7, les faenas "de castigo", les encastes "encastés"...

Comme tu le sais, je n'ai ni regret ni nostalgie - d'abord parce que ça ne sert qu'à "se faire du mauvais sang" comme on dit dans ma Provence natale!... Je crois simplement que la "tauromachie" que nous aimons - y compris celle de nos imprévisibles gitans, se vivra désormais en petit comité de petites arènes - du moins tant que des éleveurs moitié fous courront après leurs "inaccessibles étoiles" (pour parler à la manière du "grand Jacques"): alors, quand la source zootechnique de ces étoiles sera tarie, fasse le ciel (tu remarqueras que je n'ai pas mis de majuscule) qu'il nous reste encore quelques mots et quelques bouteilles pour rêver un peu...

Je t'embrasse - Bernard "largo campo"

Marc Delon a dit…

Cet article est toristement particulièrement "regular" voire plus... même s'il n'a aucun rapport avec cette GRANDE photo de sous-bois malgache... ;-)

Xavier KLEIN a dit…

Un mot de plus serait un mot de trop!