Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

dimanche 19 septembre 2010

Une fin d'après midi odinaire

Mathilde a cours aujourd'hui jusqu'à 17h. Ensuite, elle va à un entrainement d'athlétisme. Une cousine plus âgée, qu'elle admire, fait de l'athlétisme et de la guitare. Alors Mathilde a décidé de faire de l'athlétisme le Vendredi et du solfège le Jeudi. Je suis content qu'elle se détourne de la télé et de l'Internet.
Je suis garé devant la boucherie à bonne distance de la sortie du Collège. Elle ne veut pas que je l'y attende, car dit t'elle, je suis grande maintenant. Déjà en 6ème elle ne voulait pas, alors, pensez maintenant en 5ème. Je m'imaginais qu'elle était gênée d'avoir un papa blet, mais semble t'il, c'est une tendance générale. Et c'est un parent d'élève d'age normal qui me l'a dit. Alors j'écoute les grosses têtes en attendant, c'est gras mais ça me fait marrer, parfois.
Mathilde prend son temps généralement. Les copains, les copines, les histoires de Collège. Elle nous raconte tout dans le détail et jusqu'à satiété. Je trouve ça plutôt bien. Bientôt, elle ne parlera plus. Au moins de ces choses.
P. sort de la boucherie. Je suis toujours heureux de le voir. C'est un spécialiste de la Palestine et de l'eau dans les pays méditerranéens. Il partage son temps entre sa famille à Dax, le Quai d'Orsay, diverses universités où il donne des cours, et des colloques partout autour de la méditerranée. Il est chaleureux avec cette simplicité confondante qu'ont, je l'ai souvent remarqué, les vraies pointures. Il est inquiet car son garçon de 10 ans a un problème à une hanche. Je n'ai pas retenu le nom de la maladie. Il me dit combien c'est étonnant de voir la faculté d'adaptation des enfants. Son gamin devra marcher avec des béquilles pendant un an. Parce que je lui en ai demandé des nouvelles, il me dit que sa femme a moins de temps, car maintenant elle est chef de service. « Jefe » il dit, alors, je dis. « Jefe!Jefe! Jefe!, comme Gil Robles» oui il me répond, et nous rions. Il revient de Crête. Il a eu une journée libre là alors, il a loué une voiture. Ça te plairait m'a t'il dit, la montagne qui tombe dans la mer. C'est un passionné d'Espagne il passe ses vacances en famille soit dans les trous au cœur des Monegros ou dans le haut des « embalses » de Jaca, ou des villages perdus d'Andalousie, enfouis dans la pierraille. Sa femme est une brune pétillante, avec des cheveux aussi abondants et drus que les siens sont, maintenant décimés par une calvitie un peu précoce, rares et blonds. Nous fréquentons elle moi, depuis que Mathilde est en age scolaire, la même Association de Parents d'élèves, pas la gouvernementale, l'autre, les mêmes conseils de classe ou d'écoles primaires. Elle a un beau regard qui rit, comme lui.
Mathilde est arrivée et s'est installée dans la voiture dont elle a allumé la radio, trop fort. Il me remercie pour le livre de Malefakis que je lui ai dégoté en Espagne sur la réforme agraire, car je ne voulais pas me séparer du mien. Il l'a lu et le juge sensationnel. Il va l'utiliser pour sa prochaine publication. Il me dit qu'en effet, cela module la seule appréciation ou la caricature des « latifundistas » en Espagne et que le problème était bien plus général. En regardant la carte de l'Espagne juste après la rébellion des militaires, on constate bien que ce sont les terres y compris de petite agriculture, de petits propriétaires pas spécialement aisés et ultra catholiques qui ont constitué le gros des supports franquistes. La propagande disait que la république allait voler leurs terres, ce qui était faux, tout en massacrant les curés, ce qui hélas fut assez vrai juste après le 18 juillet 1936. C'est toujours ainsi, me dit t'il lorsqu'on travaille un sujet, la complexité apparaît. Mathilde qui s'impatiente, monte la radio. Il me demande si je travaille toujours sur la Guerre d'Espagne, je lui dis que oui. Viens me voir, un jour, me dit t'il. Je dois y aller là!
Mathilde était de mauvais poil. Tu peux me dire que je tarde trop! Je lui dis de ne pas me parler ainsi. Tu parles toujours de la Guerre d'Espagne. Je fais ce que je veux ai je répondu sottement. Ben oui, a t'elle dit énigmatique. La demoiselle a mangé une pomme et une banane, ça change des gâteaux au chocolat. Elle s'est changée, et a dit: ces chaussures c'est fait pour frimer. Sa mère lui avait choisi de jolies chaussures de sport. On lui en avait fait la remarque. Tu aurais pu nous avertir plus tôt ai je dit. Bon on y va a t'elle dit.
Nous sommes toutefois arrivés en avance au stade. Je considérerais encore comme une honte d'être en retard. La jubilation d'une ponctualité exemplaire gomme chez moi le stress préalable. Tu me laisses. Je suis habitué. Elle a vu une « connaissance », tu vois je vais rester avec elle. Mouais, j'ai attendu que l'encadrement arrive.
L'hôpital surplombe quasiment le stade, si on regarde bien. Et j'ai bien regardé, peut être pour la première fois. Ocre et massif.
J'ai laissé Mathilde aux joies de la préparation à la compétition athlétique et mis le cap sur le vaisseau ocre.
Maman a été opérée Mercredi. J'étais là avec mon frère lorsqu'elle s'est réveillée. Je suis à la retraite? A t'elle demandé. Puis mon patron est mort? Puis nous regardant d'un regard il faut bien le dire un peu vide, vous êtes grands. Puis elle revenue au royaume des futurs morts vivants. Je lui ai dit, tu avais la tête en vrac. Qu'est ce que j'ai dit. Nous avons raconté. Elle s'est murée dans un silence outré.
Le lendemain, jeudi donc, le matin elle allait bien. Je lui ai amené deux Carver. Les vitamines et Tais toi, je t'en prie. En fin d'après midi, elle était fatiguée.
Je suis passé la voir ce matin. Tu te rends compte m'a t'elle dit, l'esthéticienne est venue. Je n'y suis jamais allée. C'est agréable. Elle était habillée, pimpante comme toujours.
Du stade à la chambre, 10 minutes. Tu es venu me dit t'elle. Oui tu vois, Mathilde est au stade. Je ne veux pas te déranger, Merde, tu ne me déranges pas Maman! Soi poli!
Tu as pu lire Carver? Oui, j'aime beaucoup me dit t'elle. C'est étrange ces phrases si courtes, ces il a dit, elle a dit. Oui j'ai répondu c'est spécial j'adore. Il écrit sur rien.
Maman est une lectrice acharnée. Elle a 88 ans. Et puis dit t'elle, on sent autre chose, derrière ces mots si simples. Des gens au bord de la rupture ou de la folie. Oui Maman, c'est pour cela que je l'aime.
Je partais, elle m'a demandé, ton ami Olivier il a écrit son troisième tome? Je crois oui, j'ai dit, il devrait sortir d'ici la fin de l'année. Je le lirai dit t'elle.
Quand je suis passé chercher Mathilde au stade, j'étais évidemment en avance. Des juniors s'entrainaient à la touche. Hop! Hop! Hop! faisaient t'ils en bougeant dans l'alignement pour tromper le contre. De mon temps c'était bien plus simple. Les codes sont très savants maintenant. Il y avait une odeur d'herbe coupée, d'embrocation et de jeunesse qui me fit frissonner.
Voyant enfin Mathilde revenir, je pensai à cet ami de Paris, qui lorsque je lui avais annoncé que j'allais adopter une petite fille, m'avait plaisamment dit: tu vas faire une orpheline.
Pourtant, si on vit suffisamment longtemps, on finit toujours par être orphelin.

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14 commentaires:

Bernard a dit…

Chulo ami,

Merci de nous parler si librement de deux de "tes" femmes, dont en sus il apparaît assez vite qu'elles ne manquent ni l'une ni l'autre de (buena) casta!... (et répondre "je fais ce que je veux" à quelqu'un "de mauvais poil", Chulo, voyons!... encastée, tu vas la chercher dans sa querencia!... étonne-toi après...).

A propos d'eau, je pense que les vendanges à Pomerol vont débuter la semaine prochaine.

Quant à cet "ami de Paris", peut-être bien que c'est lui qui est (déjà) orphelin - du moins dans sa tête!

Abrazo fuerte (et prends bien soin de "tes" femmes)

Bernard

PS: la photo en exergue, quelle merveille! (ne proviendrait-elle pas d'une grande île très au
Sud?...)

el Chulo a dit…

Merci Bernard,

c'est effectivement le prélude d'un coucher de soleil sur le Mozambique à Majunga.

pour le reste c'est un modeste, admiratif et respectueux hommage à l'immense Carver.

Abrazo amigo

Anonyme a dit…

Touchante petite Mathilde si affirmée dans son envie de "jouer à la grande". Qui ne veut pas que son père l'accompagne jusqu'à la porte du collège ("trop la honte", comme disent tous les collégiens). Classique recherche d'émancipation des pré-ados qui jouent le difficile passage de l'enfance à l'âge adulte.
Cher Chulo, que ces échanges de détails denses et fournis durent le plus possible : c'est une richesse gratifiante et merveilleuse qui nous fait apprécier notre état de parents. Et quand viendra le temps des silences pudiques, des secrets et de la distance générationnelle, ce temps de partage complice restera un cadeau inéffaçable.
Et puis l'autre amour, autre période de la vie, autre complicité avec ta maman que tu abreuves de lectures et qui se soucie des écrits en gestation de ton ami.
C'est curieux cette évocation des 10 minutes qui séparent le stade de la chambre d'hôpital, la jeunesse en devenir dans un effort physique triomphant et la maturité (j'ai horreur du mot vieillesse) qui, sereinement, continue d'enrichir son esprit en se souciant délicatement du bonheur des siens.
Mais qu'est-ce que 10 minutes dans une vie ?
Comme un fil tendu entre les 2 femmes que tu aimes. Un fil ténu et pourtant symboliquement si fort.
Muy bonito y entrañable, Chulo.
Maja Lola

Xavier KLEIN a dit…

Ma louloute à moi va sur ses 20 piges.
Elle en est à critiquer son «papounet» parce qu’il dépense en cigarettes et en toros l’argent du ménage!
La dernière fois qu’elle m’avait fait le coup de «T’as failli me faire attendre», j’ai pas levé le ton ni répondu, mais elle s’est cognée 5 kms à pattes pour rentrer à la casbah : ça calme et ça évite les discussions ultérieures et superfétatoires… Elle n’a pas apprécié le comique discret de la réponse, même quand je lui ai précisé ainsi qu’à sa mère qui est également ma femme (la solidarité indignée des foufounes joue beaucoup dans ces cas là !) que c’était la distance que je me tapais tous les jours matin et soir pour aller à l’école par tous les temps, tous les modes (de Gelos -64- à Jurançon –idem-) du CE au CM2. Aujourd’hui, il ne serait pas question qu’un bambin fasse 200 mètres à pied.
Feraient bien de faire des stages dans le 1/3 monde les gerces, histoire de goûter le statut enviable des rombières sur les ¾ de la planète.
Y’a des jours où il faut vraiment disposer de l’humour de Desproges ou de la sérénité du Dalaï Lama (mais n’ayant pas de fille, il peut pas savoir).
T’es pas sorti de l’auberge mon vieux!

el Chulo a dit…

Maja, merci pour ton délicieux commentaire, toujours tout en sensibilité et intelligence. Je ne sais pas si de tels textes qui fôlent l'impudeur sont bien de mise dans un blog. Mais, en fait je manque dramtiquement d'imagination.
Xavier, j'ai, dans une vie présente, élevé deux filles qui sont de part et d'autre de la quarantaine. 38 et 42. Je prétends donc être sans illusion sur ce qui m'attend, rassure toi.
Merci en tous cas à vous deux et à mon oenologue torista favori.

Ludovic Pautier a dit…

je rentre des vignes et là pouiiiit, sur l'ordi il y a encore de la poésie. du rab.
c'est bien j'adore tendre plusieurs fois mon assiette.
merci my chulo.

ludo

Anonyme a dit…

Beau, simple, émouvant, sincère, d'une lecture aisée. On sait ce qu'on lit et on ne peut oublier. C'est rare.

Gina

el Chulo a dit…

My dear ludo, je laisse la poésie aux poètes, tu le sais bien. merci en tous cas de ton amitié.
Gina merci aussi de votre éternelle bienveillance. Si j'étais un peu vachard, je vous dirais que Carver n'a rien à voir avec Beigbeder.
Mais, bien sûr, nous sommes dans le subjectif.

Anonyme a dit…

Chulo,
Où vois-tu que ce texte frôle l'impudeur ? Je n'y vois aucune trace.
L'imagination ne se déclenche pas sur commande. Alors une fin de journée ordinaire peut se transformer en "particulière", ou "singulière" et nous donner ce joli récit qui nous promène dans ton monde. Choses simples et vraies.
Que mas decir ?
Maja Lola

Anonyme a dit…

Agur Txulo,
Hola Chulo,
Quand à cet aprés-midi,trés, particulière,le "terreno" de Mathilde est, pile poil, au centre de l'axe "Plaza-Vaisseau Ocre",il t'a suffit d'avancer la jambe,de l'un vers l'autre et nous ..avec !
Merci ,pour le recorrido sacré,...sacré Chulo !
peio.

Anonyme a dit…

Oui c'est beau, on dirait du Marc Delon enfin calme... ;- ))

isa du moun

el Chulo a dit…

isa,

parlez vous de la photo, ou du texte?
merci en tous cas de votre visite, senora abeille!

Marc Delon a dit…

N'importe quoi l'Isa del Moun ! ;-)
J'ai souvent réfléchis à l'impudeur conférée par un blog quand on est incapable de ne pas écrire comme l'on est. Je me suis rendu compte un jour qu'à lire photosmotstoros, on y apprenait presque tout sur moi : qui je fréquentais, ce que j'avais fait le week-end dernier, où je passais mes vacances et même, même, le fond de ma pensée...
Certains pourtant, plus pros, arrivent à s'en protéger très bien : j'avais été très surpris et déçu de la réponse de Jacques Durand qui avait décliné ma proposition de rendre copie sur le thème qui m'était cher : "Pourquoi allez-vous voir les corridas"
Il m'avait répondu que c'était trop personnel pour qu'il puisse en faire part et que s'il le faisait, il n'écrirait que d'affligeantes banalités pour éviter cet écueil justement.
Or, je trouve que lorsqu'on écrit comme l'on est, on écrit en torero, no ?

Bernard a dit…

Marc - Chulo en viatique,

Peut-être qu'au fond, le dénommé Jacques DURAND n'a pas envie - du moins en public d'un blog - de rentrer dans son propre "terrain du toro" (?)...

Suerte - Bernard