C'est un peu long à expliquer cette photo, Maja, comme toujours chez moi et tu m'en excuseras.
L'hôtel où nous étions accueillait pour le weekend un séminaire de je ne sais quel organisme gouvernemental, là bas à Majunga. Fort studieux et gais par ailleurs, quoique discrets.
Je l'ai déjà écrit, je me levais fort tôt pour profiter des soleils naissants de début du monde. Eux venaient aussi par petits groupes et s'asseyaient simplement, sur la plage.
Il y avait de basses marées, et comme l'atoll est peu profond et assez étendu, le Mozambique se retirait assez loin. Alors, femmes et enfants remuaient le sable du talon pour dénicher des coquillages plutôt nombreux, et ce, dès le jour naissant.
Les enfants jouant, comme ils le font là bas avec ces rires qui te feraient oublier combien la vie est dure.
Ici tout se sait, et du village voisin, les femmes avaient afflué avec des bassines de coquillages pour profiter de l'aubaine des congressistes. Avec, je dois en convenir pas mal de succès. Moi, vois tu, cette heure matutinale, pour ingérer des coquillages venus d'on ne sait où, m'était inimaginable.
Alors des femmes se mettaient en rond autour du client, lui ouvrant les coques. Les vigiles de l'hôtel habituellement moins coulants laissaient faire et vaquaient à d'autres occupations, avec un air vaguement absent.
Cette femme se tenait à l'écart des femmes, avec ses deux enfants. Ceci m'étonna j'en fis une photo lointaine, à tout hasard. Car les malgaches sont plutôt liants et partageurs.
Elle avait quelque chose de douloureux et de figé, un peu comme un chien battu.
Je me suis approché, ému par la composition qu'elle faisait avec ses deux enfants. Elle ne me regardait pas, comme si elle n'osait pas.
Les femmes à coté me criaient « vazaha, vazaha, tu veux des coquillages? », j'ai décliné. Je les soupçonne d'avoir ajouté quelques commentaires dans leur langue, qui, probablement, ne chantaient pas mes louanges.
Je me suis approché de la femme, de plus en plus intrigué et lui ai demandé si elle me permettait de faire un portrait. Elle n'a pas répondu. Les autres femmes ont dit, oui, tu peux, mais il faut nous donner de l'argent . J'ai dit, à elle oui, pour ses enfants, mais pas à vous. Bien ont t'elles rigolé, fais le alors.
Je lui ai glissé un petit billet dans ses mains et l'ai photographiée. Merci lui ai je dit, ils sont beaux tes enfants. Elle n'a pas cillé.
Revenu à mon poste d'observation, j'ai vu qu'une femme s'est approchée d'elle et lui a pris son billet.
7 commentaires:
L'aurais-tu payé pour voler son âme dans ton appareil?
Personnellement, j'ai toujours refusé de payer pour tirer un portrait (et Dieu sait si j'aime faire des portraits!).
Il m'est arrivé que des gens veuillent tirer ma bobine (je suis semble t-il pittoresque quand je bricole dans mon jerdin avec mon béret: ma maison longe le chemin de Compostelle où passent une centaine de pélerins par jour en période de pointe).
C'est d'ailleurs une drôle de sensation, qu'il faut avoir vécue pour y soumettre quelqu'un .
Chulo, je suis en retard pour dire que les chroniques d'histoire seraient passionnantes si j'étais moins ignorante, mais j'apprécie que Maja Lola par sa compétence leur ajoute beaucoup de véracité. J'ai aimmé aussi les informations de Xavier Klein. Tout cela, mine de rien, rend les ignorants de mon genre plus curieux et réceptifs.
C'est de ce portrait attendrisant que je voulais parler, pas du beau visage de la mère, mais de cette petite bouche de bébé abandonné au sommeil, qui aspire toute la triste beauté du monde.
Et bravo aussi pour l'émouvante simplicité du compte-rendu.
Gina
en principe je demande toujours la permission de photographier, et il est extrêmement rare que je paie, je parle de Madagascar. mais dans le cas précis je l'ai fait.
merci gina, comme toujours vous êtes trop modeste.
Je ne suis pas étonnée, Chulo, que ton regard ait été accroché par la différence. Par cette femme à l'écart avec ses enfants. Par ce silence et ce retrait si particuliers devant l'agitation environnante. On cherche d'ailleurs à en deviner la raison.
Et je ne suis pas choquée de ton geste généreux car dans ces contrées démunies et devant tant de souffrance, il me semble que nous n'avons pas à nous interroger sur l'interprétation du don ou les conséquences possibles de ce geste. L'heure n'est pas à "l'analyse". Il faut simplement donner.
Mais quelle tristesse de constater le dépouillement par cette autre femme. Image cruelle de ce que l'homme est souvent pour son congénère : un loup. La misère n'excusant pas tout.
Après la lecture de ton texte, j'ai trouvé la photo encore plus belle, encore plus forte, encore plus émouvante.
Plus que triste: beau, et poignant, ton texte, Chulo. On en veut à cette femme qui a volé plus malheureuse qu'elle, parce que sans défense en plus de sa pauvreté. Putain de monde, difficile à comprendre, à aimer, pire: à supporter.
Abrazo
Merci à tous pour vos commentaires.
J'ai retrouvé cette photo en farfouillant dans mon stock pour le classer. Je prends de l'ordre de 2500 photos chaque année.
Je me suis souvenu en effet de cette femme et de ses deux enfants, comme un gisant au milieu de la plage. Elle est resté au moins une heure rigoureusement dan la même position, c'est ce qui a motivé mon intervention.
Pour le reste, c'est vrai que la dureté de la scène m'avait bouleversé.
C'est aussi ce qui fait la poignante beauté de ce pays, avec des paysages sublimes et cette misère incroyable.
Je ne regrette rien du petit billet que j'ai donné, pas plus, Xavier, que je ne pense avoir acheté une ame. Je pensais que tu me savais un peu plus pour ne pas me soupçonner de ce genre de chose.
samedi, cap vers Rome pour 4 jours.
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