Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 14 février 2011

Lui me dit (1/2)

Nous en discutons parfois.

Lui me dit que je ne devrais pas reprendre les écrits d'André Viard, et qu'après tout c'est lui faire trop d'honneur et lui donner une importance qu'il ne mérite certainement pas. De plus, ce faisant, on flatte son ego surdimensionné et mégalomaniaque. Lui, c'est un aficionado lumineux et profond, bien loin du schéma un peu navrant de « torista » et « torerista », car le toro brave et encasté, se suffit à lui même et ne demande qu'à croiser un torero inspiré, « romantique et guerrier» pour parfois libérer les larmes assourdies du « duende ». Rarement, extrêmement rarement, comme il se doit, en matière d'art.

Lui, il sait bien que cet art, ne peut exister que dans cette extrême et singulière rareté et la fondamentalement nécessaire vibration du danger, et l'offrande de sa vie, assumée par l'homme, contre celle du « toro encasté » et idéalement « brave » qui la défend chèrement, et que, sans ce pacte secret et improbable, entre le fauve et l'homme, unis alors dans une communion miraculeuse, qui n'a rien à voir avec une collaboration prévue, prévisible et policée, sans ce don de soi mortel de l'un à l'autre, à la source de tout art, la corrida elle même perd toute justification aussi bien symbolique, artistique, rituelle, que morale, et la rend légitimement vulnérable aux attaques les plus grossièrement réductrices, obsessionnelles et surtout, heureusement surtout peu informées des grotesques « antis ».

Lui, il sait bien que ce moment de grâce ne peut naître que de la conjonction d'une infinité d'aléas miraculeusement réunis et de la volonté imprévisible du « duende » incontrôlable, « picaro » et ricaneur, pourtant capable de pétrifier de bonheur l'élu innocent qu'il a touché du doigt, élu qui, du coup, parle aux anges éberlués, avec au cœur des larmes de diamant. Ce « picaro » dont seul Federico a démasqué la rouerie moqueuse, le goût pour les viscères et la merde, là où somnole l'animalité de l'homme, en même temps que les évidences d'une transcendance plus ou moins enfouie, mais chez tous présente, innocente et lumineuse, accessible à tous, miséreux ou riches, « saints ou maudits », analphabètes ou savants, et, pour le dire, des mots réinventés aux « sons noirs », peut être même, simplement inventés, dans un temps disloqué qui prend des airs d'éternité.

Lui, il sait bien que ce temps se disloquait aux poignets de cristal des gitans bénis des dieux, et qu'alors, ils pouvaient se pencher pensivement, les pieds collés au sol, avec leur terre qui les aspire et consume, sur ce front du toro, détourné de leurs cuisses par la douceur impérieuse de ce baiser dont il ne restera que le souvenir en forme de regret de la véronique et ses parfums prégnants de ciste et de romarin. Alors il était capable de traverser l'Espagne pour l'espoir de ce moment si improbable. Il en revenait sans regret véritable, conscient qu'il demandait l’impossible, ce qui, en matière d'art est le minimum. « Proxima vez »!

Lui il sait, ce toro qui sort tête haute, la queue fouaillant l'air, circonspect puis furieux d'une première attaque vaine. Et le trapio s'impose comme une évidence, une façon d'être, le pendant de la vraie toreria. Rien à voir ni avec les kilos ni un stéréotype quelconque. La présence, la caste qui fait frissonner furieusement la peau, une harmonie puissante, la certitude aussi que celui ci ne pardonnerait rien, certitude qui montait aussi aux gradins. Et lorsque ce toro s'était grandi au cheval, fixe, poussant de tous les muscles de ses reins, était revenu deux fois, du centre de la piste à l'appel, la pique levée du picador, que celui ci l'avait exceptionnellement respecté, et que tous avaient rendu hommage à sa bravoure, le torero l'avait entrepris dans un dialogue amoureux pour lui faire comprendre combien il était important, et que tous deux allaient marcher dans le ciel. Lidia, séduction, lente avancée dans le terrain de la confiance de l'autre, par le respect et la méfiance réciproque, la certitude qu'aucun des deux ne céderait, à la condition expresse que chacun respecte l'autre. Et puis 4 derechazos, 4 naturelles, tout simplement, et las Ventas comme ivres de bonheur, lâchent leur râle sourd , qui gonfle, sans musique..

Lui il sait bien aussi, qu'un toro se fabrique comme du chewing gum, un tube du hit parade, à force d'indicibles dosages, de tentaderos orientés, pour convenir à ces insatiables figuras, capitaines d'industrie responsables, qui ont la responsabilité d'emplir les arènes, et de nourrir la mégalomanie et les compte en banque de quelques « happy fews », ceux qui savent et distribuent les bons et les mauvais points, table à laquelle au nom de l'OCT qui ne peut que partager ses analyses le Dédé s'est invité, quitte à tuer quelques ex amis.

Lui, il sait bien, et il a raison, que tout ceci est foutu, mort, et ne nous concerne plus. Irréversiblement politisé, et que même le dire ne sert plus à rien, et il a raison. Il dit aussi que le Dédé, emporté par sa nouvelle transe politico mégalomaniaque se fout de la vérité, et y compris de la corrida pour se pavaner. Il dit qu'il est capable de tous les mensonges, de toutes les saloperies, et que les organisateurs indépendants, les malheureux, même de gauche, le craignent pour son seul pouvoir de nuisance, alors qu'il navigue, vent debout dans des eaux plus que troubles.

Alors, je retournerai vers mon Saints et Maudits, après avoir précisé une ou deux choses, puis me taire, au moins sur ce sujet, des grandes manœuvres de notre mégalomaniaque du Boucau.

15 commentaires:

Maja Lola a dit…

Comme il est beau à lire ce texte, Chulo. C'est presque une déclaration d'amour (Saint Valentin oblige ?) à cette fiesta brava que tu magnifies avec tant de lyrisme, romantisme et poésie. Tu as vraiment beaucoup de chance de connaître ce "Lui" et de partager son intimité. Et même si, comme je le lis souvent sur différents blogs tauromachiques, les manipulations honteuses et démagogiques, les égos combinards qui dénaturent la fiesta sont réels, tant qu'il se trouvera des hommes (ou femmes) pour décrire cette alchimie magique, ces instants de grâce aussi inattendus, fulgurants que fugaces, ces "escalofrios" intraduisibles en quelque langue que ce soit, tous les Dédés du monde, tous les détracteurs méthodiques n'arriveront pas à l'étouffer, lui, le "duende picaro e indomable".
Enhorabuena, Chulo !

Xavier KLEIN a dit…

Chulo, tu es un dieu!!!
Putain quel texte halluciné(ant)...
Va te falloir longtemps pour te remettre d'une telle dépense d'énergie.

el chulo a dit…

Maja, merci pour ton commentaire, toujours élégant et bienveillant.

Merci aussi Xavier, rassure toi, je n'ai pas perdu mon energie ni ai eu recours pour ce texte à des substances illicites.

Au fond, ne vous y trompez pas, il y a aussi une grande tristesse, que je partage avec "Lui", de constater ce que ces butors ont fait de notre rêve.

Mais c'est aussi l'image de la société que nous léguons à nos enfants, et là, nous sommes aussi tous coupables.

Anonyme a dit…

Incompétente pour apprécier le contenu, j'apprécie la forme insistante du texte.
Je suis particulièrement conquise par cette photo "d'Enfance", ces grands yeux qui prennent possession de la vie et se nuancent déjà d'inquiétude.

Gina

el Chulo a dit…

Oui Gina, je me suis un peu laissé emporter.
Mais j'essayais aussi de parler des exigences de l'Art, et non du snobisme ou des modes ou de la superficialité.
Face au regret de cet Art, nous sommes tous des enfants, tout au moins ceux qui l'éprouvent.
Ce visage d'une petite malgache, dans un "centre" ami, me le rappelle de façon insistante.

Bernard a dit…

Ah Chulo ami,

Quel texte!... Et quelle merveille de nous l'offrir à lire!... Inoubliable "ce temps (qui) se disloquait aux poignets de cristal des gitans bénis des dieux"!...

Tu veux que je te dise? Le dédé, y les mérite pas tes mots... D'ailleurs, tu le sais bien au fond que c'est pas pour lui - ni même contre lui - que tu les as écrits. C'est juste pour le plaisir d'aller les toréer dans le terrain de la poésie, et pas "à cornes passées"... Parce que celui (ou celle!) qui comprend pas qu'y a rien de plus dur et de plus limpide à la fois que le cristal - et même que des fois ça casse, alors il est bon pour les "toridiots"!...

Quant à Viardus mortiferus, un petit coup de CHATEAUBRIAND - autre béni des dieux au poignets de cristal des mots - pour l'achever: "Quelques histrions, qui font pleurer ou rire, ne valent pas la peine d'être regardés"

Je t'embrasse - Bernard "largo campo"

Anonyme a dit…

Ce texte est superbe, je regrette encore que André Viard soit démoli car celà gâche le talent évident et la beauté intemporelle qui sourd de vos lignes.
L'écriture artistique (c'est ainsi que je conçois ce texte) et romantique de celui-ci est entaché de règlements de compte.
Je me trouve proche de ce "lui" qui est encore une partie de ceux qui vont à la rencontre du toro.
Ciselé et touchant (dans le sens de pourvoyeur d'émotions) ce texte est une perle.
Ne mélangez pas tout, un texte à charge, un à décharge...
merci
Christian Frizzi

el Chulo a dit…

Monsieur,
je suis très sensible à votre intervention. et vous en remercie.
je pense que vous avez compris que je me reconnais peu dans cette corrida moderne, qui fut il n'y a pas si lontemps défendue par qui nous savons: bravoure dans la muleta, esthétisme de pacotille, glorification de pegapases, perte totale de substance.
je remarque de plus que la guerre aux ayatollahs faisait écho à la démolition du 7, certes excessif, mais on voit où conduit sa destruction.
je suis par ailleurs de ceux qui reconnaissent à andré viard un talent certain, lorsqu'il parle de toros et je regrette seulement qu'il ne se cantonne pas qu'à celà et qu'il n'utilise pas mieux sa compétence à sa seule défense.
pour faire simple, je vis comme une agression ces figuritas auto proclamées artistes, cette fuite éperdue vers les bic et l'unesco pour sauver un machin qui s'auto détruit par les taurinos eux mêmes et surtout, surtout cette indécente politisation encore aujourd'hui réaffirmée.
du temps "béni" de franco, pour certains, la corrida était peut être le seul endroit où "rojos" et "nacionales" pouvaient cohabiter et partager une émotion.
la politiser ne fera que radicaliser certaines positions et c'est vraiment un choix à court terme.
et de plus, à part le toro "velcro", voulez vous m'expliquer ce que va être une pique qui convienne aux antis. une ventouse?
la corrida est en train de mourir, simplement parce qu'elle perd sa signification et représente un enjeu financier et peut être politique importants.
je m'en expliquerai une dernière fois, car vraiment, je me sens à des années lumières de ces"putadas".

Bernard a dit…

Cher Monsieur Frizzi,

Croyez-vous vraiment que Chulo, dans ce texte - écrit "aux poignets de cristal" de son clavier, un texte où le "duende" l'a conduit "à frôler le bord des puits" des mots - comme l'eût dit le grand Federico, ait le moins du monde "toréé de salon"?... Doit-on rappeler l'envoi célèbre de Michel LEIRIS (in "De la littérature considérée comme une tauromachie") au sujet de "ce qu'est pour le torero la corne acérée du toro, qui seule - en raison de la menace matérielle qu'elle recèle - confère une réalité humaine à son art, l'empêche d'être autre chose que grâces vaines de ballerine"?...

Eh quoi, si "Dédé le derviche enfarineur", n'ayant de cesse de "décharger la suerte" de son aficion, a foulé sans vergogne (sin verguenza?) le terrain d'émotions d'un écrivain de caste, quoi de plus normal qu'il se voie gratifié d'une "charge de brave"?...

Bien à vous - Bernard GRANDCHAMP

christian Frizzi a dit…

cher Chulo, cher Bernard,
Non seulement je vous rejoins sur les rives du toro encasté et de celui, qui en face se joue la vie dans un relâchement total au point de tout en oublier.
je comprends le sens de votre propos cher Chulo quand aux marchands du temple....simplement, je ne trouve que nommé André Viard, dont je sens bien, à vous lire et vos interlocuteurs aussi qu'il est une cible permanente, mais alors est il le seul à briser vos rêves, quid des "figuras", des éleveurs, des organisateurs, des autre journalistes..qui dit la vérité sera exécuté chantait Béart...quand à monsieur Deschamps permettez moi de préciser qu'il n'y a rien de brave à se gratifier de tous les noms et que comme "lui" que je ne connais pas, mais que j'aimerais sans doute, je prétends, que le toro n'a pas vocation à être le vecteur de ces règlements de comptes qui n'en sont pas.
Je disais juste mon opinion, ce texte est vibrant, profond et me touche car j'aime par dessus tout le toro bravo, décrit ici, et l'homme qui se met en face, et c'est ce qui a attiré mon attention, la charge, aurait pu être dans un texte différent, Chulo a choisi, il l'a écrit comme celà, ça n'empêche ni ma perception, ni la sienne.
La terre d'ailleurs continue de tourner, gageons que nous trouverons encore ces moments rarissimes ou l'homme et le toro encasté nous rappelleront dans une émotion consommée que nous sommes tous mortels.
Taurinement vôtre
christian Frizzi

el Chulo a dit…

Cher Monsieur,

en recherchant dans les blogs, je m'aperçois qu'au moins déjà le 8/3/2009, vous vous erigiez en défenseur de Monsieur Viard dans un commentaire sur CyR.
c'est parfaitement votre droit, et finalement est affaire de goût.
en ce qui me concerne, je clorai le débat prochainement.
j'ai toutefois en mémoire la terrible lettre que lui avait adressée la vieile dame de "Toros" où elle le nommait "mon tout petit".
il peut parfaitement dire ce qu'il veut, à titre personnel, changer d'avis selon les vents porteurs, épouser des thèses neo franquistes, proner une pique qui "ne cristalliserait pas" les critiques de zantis, mentir au besoin, c'est son droit le plus absolu, bien qu'il puisse légitiment s'exposer à quelques critiques.
il est par contre bien plus grave de s'auto proclamer représentant de l'aficion française et de parler en son nom. nous sommes assez nombreux à nous considérer, au minimum, comme trahis, dans ce cas.
bien à vous.

christian Frizzi a dit…

cher Chulo,
je prendrais votre parti de la même manière....et comme je l'avais écrit en effet, je trouve que les blogs taurins de qualités sont pollués par ces attaques incessantes d'ou qu'elles proviennent....
je peux comprendre que chacun soit libre, je peux comprendre que les relations des uns et des autres ne soient pas toujours au beau fixe (c'est un euphémisme) Il est juste dommage qu'il y ait mélange des genres....même si je suis d'accord avec vous sur le tercio de piques, c'est aussi pour celà que je vous lis....monsieur Viard ne m'a rien fait et il m'arrive d'écrire lorsque je ne suis pas d'accord sur son blog également, comme tous ceux qui nous le permettent...
Que monsieur Viard ne soit pas représentant de l'aficion française est juste, que l'observatoire soit reconnu, l'est aussi...quand au reste, quand les choses sont écrites elles ont le mérite d'être visibles longtemps, que ce soit lui, vous ou moi même enfin si vous m'avez retrouvé c'est que je signe mes mails...c'est au moins l'assurance que l'on peut dialoguer
Donc j'espère pouvoir vous lire longtemps, surtout quand vos textes sont de telle qualité...sans le règlement de compte au milieu, faites un papier à part....ce serait plutôt bien.
Cordialement
Christian Frizzi

Anonyme a dit…

M. Frizzi écrit régulièrement sur le forum du phare alternatif; forum privé où la dythirambe (orthographe à vérifier) est de mise.
M Frizzi, que faites vous donc ici?
Vous vous égarez!

el Chulo a dit…

Cher ananyme,

en vérité je prise assez mal l'anonymat et aime publier les gens que je connais et me connaissent. Pourriez vous être plus précis sur ce point et surtout celui du "forum du phare alternatif", des liens par exemple.
merci par avance

christian Frizzi a dit…

Bonjour anonyme,
et oui, je confirme j'écris dans le blog de terres taurines
régulièrement comme dans beaucoup d'autres sur la toile, librement lorsque le possesseur du blog veut bien l'admettre, je vais dans de nombreuses arènes et essaie de participer à toutes les actions autour du toro, et vous savez pourquoi ??? parce que j'apprends, je ne m'égare pas quand je lis ici el chulo, des photos des mots...etc, ou la brega ou encore mexico aztecas y toros et tant d'autres...le sectarisme ne menant à rien, j'éssaie d'analyser les dires des uns ou des autres ou simplement de m'informer voire de lire tout bêtement des textes.....si je ne suis pas à ma place parce que l'un ou l'autre vous gêne c'est dommage pour vous...car vous n'y êtes pas non plus puisque pour me lire il vous faut y avoir été...relisez bien mes textes et vous verrez que le fond est le même que le texte du chulo, en moins bien écrit je vous l'accorde...quand à André Viard que je connais pour le croiser et parler avec lui de temps en temps cinq minutes autour d'une arène, celà ne m'empêche pas d'aller à Orthez, de frissonner et d'applaudir, le travail réalisé là bas...
je signe de mon nom de nouveau car je n'ai ni honte, ni retenue, de ce que je lis, écris, et encore moins de ceux que je fréquente et dont vous ne connaissez pas le tiers...de ceux-ci....vous seriez sans doute étonné.
Je donne mon opinion, ce n'est pas un diktat elle est contestable, critiquable et franche..ça change un peu. Enfin,j'ai mon libre arbitre, et sans souci je peux vous "livrer" les textes écrits sur terres taurines, vous seriez surpris du nombre de fois, ou ils ne collent pas avec l'édito du jour, voire y sont à l'opposé, d'ailleurs je m'apprête à écrire sur la journée passée à Arzacq, à propos du pimpi et du tercio de piques...chiche qu'on en reparle ???