Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

vendredi 19 août 2011

Marxisme et communisme en Espagne de 1936

Les arguments développés jusque dans les années 1960 bien avancées par le régime franquiste pour justifier l'insurrection des généraux débutée le 17 juillet 1936 étaient au nombre de trois. Nous citons ici in extenso Herbert r. Southworth dans « Le Mythe de la Croisade de Franco », édition française du Ruedo Iberico de 1964, l'édition espagnole du même ouvrage par le même éditeur datant de 1963.

« 

    • les élections de 1936 étaient entachées de fraude et le Gouvernement qu'elles avaient amené au pouvoir était illégal ,
    • la terreur rouge dont le point culminant était le meurtre de Calvo Sotelo, provoqua les généraux ainsi que le peuple et précipita la guerre civile,
    • Franco ne fit que se soulever en temps voulu pour prévenir l'exécution d'un plan communiste soigneusement élaboré pour se saisir du Gouvernement. »



L'immense historien reprenait ici les écrits de l'historien pro franquiste Lunn, en vue d'une analyse critique. En fait ces trois points assez essentiels, doivent être intégrés dans une réflexion plus globale et complexe, si on se donne la peine de vouloir quitter les sentiers battus et rebattus du manichéisme autour du « marxisme » et du « communisme » en Espagne.



De ce point de vue, il est intéressant de constater comment l'Histoire a évolué sur ces trois sujets.



Aujourd'hui la thèse de l'illégalité du gouvernement de front populaire de 1936 est totalement abandonnée, par tous les historiens, avec le paradoxe toutefois, que les seules irrégularités graves et incontestables constatées l'étaient à Orense, fief précisément de Calvo Sotelo, lequel avec un cynisme déconcertant ne s'en était pas caché. Il était totalement opposé à tout parlementarisme. Toutefois cette élection fut validée par les Cortes du Front Populaire. En tous cas cette illégalité ne fait absolument plus débat. Ce qui par contre est vrai, est que le système électoral favorisait les grandes coalitions et les différences en nombre de sièges avaient peu à voir avec les avantages en nombre de voix. Mais ce même système avait favorisé les Conservateurs face aux Républicains lors de leur victoire en 1933, favorisée précisément par la division des Républicains et du PSOE, et de l'ensemble des forces dites de « izquierdas ». Mais cette division des « izquierdas » sera un problème récurrent, qui sapera les bases fragiles de la Deuxième République espagnole.



Bien que ce thème ait perduré au delà des années 60, il est historiquement insoutenable, donc, exit !



Le second point est bien plus intéressant. « La terreur rouge ». Imaginons, et quelles qu'en soient les raisons, qu'en 1936, que le peuple espagnol eut une formidable ré-espérance. Imaginons que la très nouvelle République (1931), immédiatement attaquée par les possédants, l’Église et les militaires, n'avait pas les moyens de sa politique, ruinée par la crise de 1929 et les prodigalités de la dictature « sans cruauté », il faut le signaler, de Primo de Rivera, qui avait ramené des milliers d'ouvriers sans travail dans les grandes villes, et surtout à Madrid. Et cela, la jeune République le paya terriblement, du coté des impatients, qui la harcelèrent, et du coté des possédants Église y compris qui organisaient depuis 1931 la fuite des capitaux, et des syndicalistes traditionnels qui voulaient se préserver et semblaient ne pouvoir raisonner qu'en termes quantitatifs. Elle avait déjà subi ces attaques en 1931/1932; elle avait déjoué la ridicule « Sanjurjada », Azana fumant sa cigarette au balcon. Bref, on rigolait un peu.



De plus, la République, durant le premier « biennio », de 1931 à 1933, avait subi les assauts dévastateurs des « syndicats » principalement anarchistes, représentant les « impatiences » du peuple. Ainsi ces émeutes comme celle de « Casas Viejas » , ont bien plus ébranlé la République que la « Sanjurjada », jugée du coup, cette République, par les uns comme incapable d'assurer l'ordre, et par les autres coupable de violences envers le peuple et ses légitimes revendications. En fait, la République avait lancé une très (trop?) importante série de réformes structurelles, après l'élaboration pénible d'une Constitution, « vertueuse » et certainement « imparfaite »,mais n'avait pas les moyens de ses ambitions principalement pour l'éducation, l'amélioration du sort des ouvriers et pour la réforme agraire. Il s'en suivit cette impatience et des vagues de revendications de plus en plus violentes. Enfin, la séparation de l’Église et de l’État, voulue par Azana et illustrée par l'expression fameuse, « l'Espagne n'est plus catholique », extraite d'un discours fleuve d'une très haute tenue et surexploitée a fini d'inquiéter les catholiques y compris modérés, surtout d'ailleurs les petits propriétaires terriens, qui n'avaient rien d'opulent, mais traditionnellement étaient aussi catholiques. Ils se sentaient doublement menacés par la propagande anti réforme agraire, alors qu'ils n'étaient nullement menacés, et, qui plus est, blessés dans leur pratique religieuse.

De plus, des fissures importantes commençaient à se manifester au niveau du PSOE, liées aux différends entre l'exécutif du Parti favorable à Prieto, partisan d'une alliance avec les Républicains d'Azana, dont finalement il était très proche politiquement mais aussi psychologiquement, Républicains qu'on pourrait assimiler à un centre gauche, et les dirigeants du puissant syndicat UGT tenu par le vétéran Largo Caballero. qui lui était en « compétition » avec la tout aussi puissante CNT d'aspiration anarchiste, lancée dans une stratégie de « gymnastique révolutionnaire ». Ce qui devait conduire Largo Caballero qui pourtant était résolument réformiste et l'avait prouvé en collaborant avec la dictature de Primo de Rivera à épouser, au moins au niveau des discours, une posture « révolutionnaire », afin de ne pas être débordé sur sa gauche par les anarchistes. S'éloignant des Républicains il contribua puissamment à la défaite des « izquierdas », au profit des conservateurs, plus particulièrement des « radicaux » de Lerroux et de la CEDA de Gil Robles. Cette évolution a brillamment été étudiée récemment par Helen Graham, prélude à la destruction ultérieure pure et simple du PSOE, qu'elle analyse également. Par un subterfuge on avait réussi à écarter la CEDA du pouvoir , mais en fait ce fut ni plus ni moins qu'une alliance entre Lerroux et Gil Robles, qui conduisit au « démaillotage » des avancées sociales du « biennio ». Pour Largo Caballero l'introduction de ministres de la CEDA au gouvernement était tout simplement un « casus belli ».



La déception d'une part des incessants blocages des « Cortes » durant le « biennio », d'autre part, la perte du pouvoir au profit des conservateurs, fit qu'on dériva peu à peu dans une surenchère verbale, et des provocations des deux cotés qui conduisirent à la « grève révolutionnaire » de 1934, dans laquelle le PSOE eut sa part de responsabilité. Ceci dit, on peut penser qu'au delà des mots, Largo Caballero, le futur « Lénin » espagnol, était tout sauf un révolutionnaire, et en matière de révolution, on en était resté à une vision plutôt romantique ou abstraite, sur le modèle des convulsions du XIXème siècle, de « pronunciamento » en « pronunciamento ». Cette grève échoua totalement et surtout à Madrid, fief de Largo Caballero mais également à Barcelone. Seules les Asturies tinrent bon, avec ses mineurs experts en explosifs et mieux organisés. Ce fut Franco qui la mata avec ses troupes marocaines, « regulares » et « Tercio », aidé par le, par la suite, tristement célèbre Dorval. On estime à près de 2000 les morts chez les mineurs et de 15 000 à 20 000 incarcérations pour Tomas, 40 000 pour Tunon de Larra, sans qu'on comprenne bien si dans un cas il s'agit d'uniquement le Nord de l'Espagne, dans le second de la totalité. Incarcérations, souvent accompagnées de tortures.

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Prieto, compromis dans une histoire fumeuse de fourniture d'armes aux mineurs, alla prendre l'air à Paris, Azana qui était totalement étranger à la chose fut embastillé dans le navire prison de Barcelone et Largo Caballero, lors de son procès dira qu'il n'avait participé en rien à l'affaire. En fait, un peu de la même façon que sa collaboration avec la dictature de Primo de Rivera lui avait permis de « sauver » la UGT de la mise hors la loi, il chercha à tout prix à la préserver de la vindicte des conservateurs. On pense que c'est au cours de son emprisonnement qu'il découvrit Marx et Lénine.



Largo Caballero, ancien ouvrier stucateur reste une énigme. Il existe peu de biographies approfondies mais il reste présent partout. Né en 1869, il avait en 1931 donc 62 ans et était un vétéran du PSOE qu'il rejoignit en 1894 et surtout du syndicalisme via la UGT. C'était semble t'il un syndicaliste habile, un homme d'appareil rompu aux manœuvres à l'intérieur du syndicat, mais un politique assez limité voire désastreux, en tous cas bien loin des habiletés de Prieto, lui même autodidacte mais brillantissime journaliste et politique, encore plus éloigné de l'intellectuel Azana, voire de Besteiro, ou encore Barrio ou Negrin eux aussi, brillants intellectuels et souvent politiques, et tant d'autres. Son seul soucis était l'hégémonie syndicale de la UGT, menacée sur sa gauche et au niveau « révolutionnaire » par la remuante CNT. Il est tout à fait certain qu'il fut très influencé par Araquistain, qui nourrit mes lectures matinales, sous les grands filaos du Mozambique. J'en reparlerai à propos précisément du « marxisme » espagnol.

à suivre

9 commentaires:

pedrito a dit…

Un bol d'infos inédites pour moi, le vieux rouge qui ne sait pas tout
mais qui se régale de certaines lectures.

Merci Chulo, très grand merci! Ou plutôt: muchisimas gracias. Pour rester dans la note de nos blogs

Ludovic Pautier a dit…

en cette année d'anniversaire "rond" de la commune , il me semble qu'il y a une filiation , terrible, avec la révolution des asturies. que les libéraux dits démocrates et les républicains frileux ordonnassent la répression me fait penser que nous avons affaire à des versaillais deuxième génération.c'est très complexe mais fort intéressant. d'ailleurs les "soulevés" furent réhabilités seulement des années plus tard, pas si longtemps que ça d'ailleurs.
et je suis toujours perplexe sur la CEDA. c'était quoi exactement ? un repaire de fachos ou un groupe de cathos apeurés mais juste conservateurs. ou un méalnge d'un panel allant de l'un à l'autre...
bon retour.
abrazo.

ludo

el Chulo a dit…

merci mon "vieux" pedrito!

ludo, je pense que je préciserai un peu plus loin les choses, mais cette phase est très intéressante. le rep^roche qui est fait aux "républicains" d'avoir organisé la répression me paraît très risqué et d'abord de quels "républicains" parle t'on? radicaux?CEDA? certainement pas ceux de Azana ni du PSOE.

Xavier KLEIN a dit…

Toujours aussi passionnant Chulo, sur une période trop méconnue, mais aussi très complexe.
On en vient à croire que l'Espagne a une culture solide du panier de crabes et des situations insolubles, surtout au vu des évènements actuels.

Maja Lola a dit…

"L'Espagne a une culture solide du panier de crabes et des situations insolubles"
Vaste généralité qui (je le suppose) s'applique aux aspects politiques et économiques ?
Vous faites une analyse bien rapide : n'oublions pas qu'il s'agit d'un pays qui a le particularisme de ses autonomies difficiles à fédérer de manière aussi naturelle et simple que la France régalienne, qui se cherche toujours dans sa jeune démocratie, dans un contexte économique catastrophique.
Il est évident que la culture du panier de crabes n'existe pas dans notre solide démocratie gauloise (plus de deux siècles tout de même), ni au sein de nos partis politiques (toutes tendances confondues) qui donnent une image de parfaite entente et harmonie entre bons camarades ...
Et ne parlons pas des "affaires" au niveau le plus haut de l'Etat.

el Chulo a dit…

Hola Maja,

je pense qu'effectivement c'est bien ce dont tu parles qui m'intéresse (l'universalité des problèmes et aussi les problèmes de "jeunes" démocraties).tu sais bien que je tiens compte aussi du problème des "autonomies" de l'Espagne qui peut être raté l'Etat fédérateur" lors de la première république

pedrito a dit…

Effectivement, en matière de paniers aux crabes, je pense que nous n'avons rien à envier, ni aux soviets, ni aux espagnols, ni à personne.
Chez nous, à tous les niveaux, du plus modeste pouvoir autoproclamé jusqu'aux cercles de décision les plus élevés, les paniers sont bien garnis. Par exemple dans un tout petit club taurin véreux de village, là où une part du fric de la subvention des contribuables disparait sans que le maire et son équipe ne mouftent, ni d'ailleurs les autres clubs taurins "fédérés" qui savent mais se taisent... Pourquoi? Que cache ce silence, si ce n'est d'autres méfaits que nul ne doit apprendre?
Ne parlons pas des hautes sphères politiques: il suffit d'ouvrir chaque semaine un hebdo bien informé, pour juger du degré de pourrissement d'organismes ou de personnes censés protéger l'intérêt général, alors qu'ils ne servent que des intérêts privés et occultes, comme pour les laboratoires SERVIER. Ou des commissions sur les ventes d'armes, ou du cumul des mandats, et tant d'autres saloperies, qu'un recueil de milliers de pages n'y suffirait pas.
Pas étonnant que le camp des abstentionnistes soit appelé à grossir dangereusement.

Xavier KLEIN a dit…

Chère Maja,
Je ne prendrai sûrement pas notre pays en exemple, et ce n'est pas une critique de l'Espagne que je considère comme une seconde patrie.
Seulement de ses élites et de leur incapacité manifeste à résoudre un certain nombre de problèmes.
Ce n'est d'ailleurs pas moi qui le dit, mes les milliers d'indignados (dont une délégation marche en ce moment à travers les Landes) et la plupart de mes amis espagnols (de classes modestes) qui m'ont appris le mot "golfos" dont ils qualifient leurs politiques.
La situation à San Sebastian est exemplaire, avec un maire issu d'une minorité autonomiste qui prétend interdire la corrida!!!
Et la spécialité de Sanse, c'est le txanguro: crabe farci.
Cordialement.

Maja Lola a dit…

Merci de votre précision X. Klein.
Loin de moi l'idée d'ignorer les paniers de crabes espagnols, ni les scandales, les "tous pourris", l'état catastrophique actuel du pays (lié aussi à bien d'autres raisons qu'aux agissements de ses élites).
Mais j'ai réagi à ce qui m'a paru une affirmation péremptoire, comme s'il s'agissait d'une "marque de fabrique" de ce pays alors que, comme le souligne d'ailleurs Pedrito, tout ceci dépasse largement les frontières ibériques dans le mode opératoire et ses conséquences.
Je n'ai pas eu le plaisir de goûter le txangurro mais suis certaine que ce crabe farci doit être délicieux ... d'autant que notre "panier de crabes" se traduit plutôt en espagnol par "nido de viboras".

Donc, haro sur le "cangrejo" ! A déguster sans modération.