Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 25 août 2011

Mon pays, mon pauvre pays (1)





Il y à Madagascar je crois, 18 ethnies "officielles", réparties sur le territoire. Il est clair que cet aspect revêt ici une importance toute particulière. La misère, l'analphabétisme et surtout l'absence de moyens de communication font que ces « poches » ethniques vivent en vase clos et souvent dans la détestation des autres. Si on ajoute à cela le culte des ancêtres et le caractère sacré de la terre, (qui est celle des ancêtres), on a repliement sur soi, une perméabilité à une religiosité sectaire particulièrement active, et la culture des « fady » c'est à dire des interdits.



Je peux vous assurer qu'à Madagascar, au moins dans les coins que  nous avons fréquentés, c'est à dire le plus souvent sur une route, parfois, sur une piste « facile », je précise bien, car c'est loin d'être le cas partout, avec en plus les aléas climatiques, vous pouvez vous arrêter dans n'importe quel coin supposé  désert, par exemple pour faire une photo ou satisfaire un légitime besoin naturel, et vous verrez en moins de 2 minutes surgir des enfants rieurs et des adultes pas toujours aimables, selon les régions, sans avoir perçu la moindre trace de hutte ou de village. Comme jaillis des termitières, des fourrés maigres ou des troncs de baobab, toujours selon les régions évidemment.



Mamy explique que le seul coin qui ne soit pas « fady » c'est le bord de la route, car ailleurs, on peut tomber sur des arbres sacrés, ceints de tissus, des pierres debout des tombeaux insoupçonnables et bien d'autres choses imprévisibles qu'un « vazaha » non averti comme moi, ou même s'il est averti mais ne possédant pas toutes les variantes subtiles de « fady » , selon les ethnies, pourrait bien profaner.



Attention où on marche, même parfois comment on marche, car il est des lieux où il faut marcher à reculons, ne jamais montrer quelque chose et à fortiori un tombeau, planté en rase campagne, encore moins une autre personne, d'un index tendu, et bien d'autres choses encore. Il faut le replier, l'index en question.



Donc pour, éviter des emmerdements inutiles, si on peut dire, prière d'uriner entre deux portières, pour les dames, ou contre une roue, pour les messieurs, au bord de la route. Je censure volontairement et pudiquement, le cas particulièrement douloureux et humiliant de la « turista », inévitable si on fréquente les redoutables « hotely », sans prendre les précautions élémentaires d'éviter l'eau ordinaire et de s'en tenir à du « poulet gasy », typiquement malgache, haut sur pattes, maigre comme une hampe de pique et savoureux, se nourrissant par ses propres moyens, au bord des routes de préférence lui aussi, rôti façon immolation par le feu, avec un plat de riz cuit et recuit. Tout autre variante culinaire est à proscrire pour cause d'insuffisance d'anticorps adaptés ou de sucs digestifs suffisamment corrosifs et longuement conditionnés par la pratique et ses attaques, pour affronter avec succès ces dures épreuves. Simple recommandation pour les vaillants randonneurs qui souhaiteraient goûter à toutes les spécialités locales, au hasard des « gargotes », autre nom des « hotely », perdues dans la nature.



Et il y en a, de ces spécialités, et vraiment à des prix défiant toute concurrence ! Ne pas lésiner sur la pharmacie, jusqu'à l'antibiotique large spectre, en plus de l'anti palu incontournable et des inévitables répulsifs pour moustiques, dont Mamy, qui se foutait de nous, raffole maintenant, pour usage professionnel !



En tous cas, des spectateurs attentifs peuvent très probablement être là. Si ces contingences sont satisfaites au bord de la route, ça ne froisse, normalement, nullement les ancêtres, et ça amuse plutôt les autres. Les malgaches sont eux mêmes de formidables pisseurs, en tous lieux, pourvu que ce soit au bord d'une route, ou contre un mur, ou à l'air libre, aussi bien à la ville qu'à la campagne. C'est Mamy qui nous l'a fait remarquer. Ça le fait rire, mais plus tristement qu'on pourrait le penser.





Les routes restent rares et convergent sur Tana. On relia d'abord Tamatave, à l'Est, nous verrons plus tard pourquoi. Puis Tulear , au sud ouest, et Manakar au Sud Est peu ou prou en empruntant la même route jusqu'à Fianarantsoa, par une route splendide pour Tulear,sublime pour Fianar Manakar, puis Majunga au Nord Ouest, puis Diego au Nord, peut être bientôt Fort Dauphin au Sud, par la cote Est et sans bacs.



Ces axes importantissimes sont larges comme des « petites » départementales françaises, empruntés par les voitures éventuellement, plutôt rares, des camions surchargés essoufflés et dégueulant souvent l'huile brûlée dans les montées, et surtout, surtout, les taxis brousse, surchargés de passagers et de fret surréaliste. Ces doux messieurs sont les rois de l'asphalte, roulent à fond, et dans le mépris le plus total d'un code de la route hérité, il est vrai, des français.



Le trafic est plutôt faible, mais le revêtement de ces routes nouvelles se défonce en ornières traîtresses, parfois sur des kilomètres, parfois aussi, s'éboulent. Sans être un expert en confection de route, il me semble qu'on a économisé au maximum sur les matières, aussi bien en remblaiement, qu'en empierrement et qualité d'asphalte. Les ponts rares, lorsqu'ils existent, sont souvent percés, et les lames métalliques rugissent sous les pneus. Pas rassurant parfois !



Mamy refuse comme beaucoup de chauffeurs de rouler la nuit, car les attaques sont assez fréquentes. Les cibles privilégiées sont les voitures de « vazaha » non résidents, dans ce cas les voleurs peuvent être de mèche avec les chauffeurs eux mêmes, toujours d'après Mamy, les camions isolés pour leurs cargaison, mais surtout les taxis brousse. C'est une des raisons pour lesquelles les chauffeurs vont à tombeau ouvert et se donnent aussi du courage au rhum malgache. Très rock and roll les chauffeurs.



La route est jonchée de ces véhicules en souffrance, mais on se débrouille toujours pour réparer les essieux, les freins, les embrayages, les moteurs ou les transmissions. Les passagers attendent stoïquement au bord de la route. Les taxi brousse qui acceptent de rouler la nuit se regroupent en sortie de la ville de départ et forment un convoi qui roulera à fond, pour « évidemment » éviter les mauvaises rencontres, qui, en général commencent par une grosse pierre ou un tronc d'arbre en travers de la route déserte. Donc, première règle, éviter de se trouver en rase campagne, la nuit tombée, et encore moins sur les pistes. Normalement les chauffeurs connaissent des « étapes » sures. Pendant ces deux dernières années, car Madagascar se trouve pratiquement sans gouvernement digne de ce nom, ce type d'insécurité qui a toujours existé, a fortement augmenté, et ne fait plus, comme avant, rigoler.



Ces malheureux camions et taxis brousse sont les victimes d'un autre racket en forte expansion : les contrôles de police. Les voitures individuelles, ou les rutilants 4X4 semblent moins exposés, à ce danger là, car on peut tomber sur des dignitaires du régime. En ce moment c'est tout à fait systématique. Mamy raconte qu'entre Tana et Tulear, il y a 23 contrôles de police, et tout le monde sait pratiquement à coup sûr où ils se trouvent. Alors les chauffeurs partent avec 23 feuilles de journaux pliées sur un billet . L'importance du billet, assez modeste toutefois, dépend du niveau d'infraction, car tous sont en infraction, que ce soit pour les contrôles techniques , l'état du véhicule, la surcharge, le fret ou le défaut d'assurance. Mamy appelle cela la « politesse » ! Les policiers ou militaires mettent ainsi du beurre dans les feuilles de manioc. De Tana à Majunga nous en avons subi une dizaine qui furent de simples formalités, juste marquer l'arrêt, annoncer qu'il y a à bord des « vazaha » qui travaillent ici, accompagnés de malgaches et circulez ! Par contre, camions et taxi brousse passaient tous à la casserole.



Sur la courte route entre Majunga et l’hôtel, après un dîner, donc assez tard, car un délai de 2 heures pour être servis est plutôt raisonnable dans un restaurant malgache autre qu'un « hotely », nous avons été arrêtés par un militaire hilare, armé d'une mitraillette en bandoulière, et qui, visiblement n'avait plus soif. Il a demandé la « politesse » et Mamy, sans se démonter lui a dit que ce n'était pas bien de faire ça, car nous étions des « vazaha » très importants. « Ah bon » il a dit, toujours hilare, « passez alors » !



« Mon pays, mon pauvre pays ! » a dit Mamy. Je crois bien qu'il avait les larmes aux yeux..



à suivre


4 commentaires:

pedrito a dit…

Mais qui est "Mamy", cher Chulo?
Vivement la suite de tes passionnantes "aventures" dans Son pays si attachant et moyennageux. Le Lauragais, près de TOULOUSE, était traversé par la "Voie Royale", au moyen âge, qui était infestée de brigands qui détroussaient les voyageurs avant de se replier dans les forêts de St RÔME, RENNEVILLE....
Aujourd'hui RN 113....
Rien de bien nouveau, si ce n'est que cette misère injuste, insupportable, voisine, en ce 21 ° siècle de connaissances et de communications, avec des privilèges, des richesses insolentes, révoltantes.
Effectivement : Pauvre pays!

Marc Delon a dit…

Après les fadas et fadolis provençaux, les fady malgaches... ça donne moyen envie d'y aller... mais le récit est superbe.

Moi, les richesses insolentes ça me rassure, heureusement qu'il y en a. Les salauds des pays riches et privilégiés en ont envoyé des milliards de tonnes sous forme d'aide alimentaire à Djibouti où elle croupit dans les entrepôts du port sans jamais être distribuée aux morts de faim (ici ce n'est pas une "expression"...)car on ne veut pas de cette aide contaminée à tous les virus ennemis : occidentale, catholique, etc.
Alors on regarde mourir ses propres enfants sans broncher, les télés occidentales viennent filmer les juvéniles squelettes ambulants, ça génère des dons révoltants de privilégiés naïfs qui pensent que leurs chèques seront transformés en bouillie-viatique pour sauver in-extremis des enfants mourants. Mais les capitaines de guérilla aussi sensibles que leurs armes, veillent à ce que rien ne sorte sauf si orchestré par leur trafic vénal pendant qu'à quelques kilomètres de là on crève en silence. ça, oui, c'est révoltant.

el Chulo a dit…

Cher Pedrito,

je parlerai plus avant de Mamy.

Marc,

celà ne m'empêchera pas d'y retournerl'an prochain, car nous avons encore des tas de choses à découvrir.

pour le reste, je suppose que c'est la même chose dans la plupart des pays dits "pauvres", il y a des codes à connaître et respecter, des fautes de goût à éviter, et des précautions élémentaires à prendre. Il me semble également indispensable d'avoir un "chauffeur-guide" compétent et honnête. Moyennant ces élémentaires précautions, je peux te jurer que ça vaut le détour et le coup d'oeil.

tu aurais aussi bien pu parler de haiti qui suscita un énorme mouvement de "solidarité".

Anonyme a dit…

Encore un bonheur de lire Chulo. Et à relire plus attentivement dès qu'on peut.
Gina