Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

vendredi 5 août 2011

Un dimanche matin sur la colline du Père Pedro (1)

Nous étions arrivés un vendredi, après une nuit dans l'avion. Nous avions tenté Air Austral, départ le jeudi de Bordeaux via Toulouse et la Réunion pour arriver le vendredi vers midi à Tana. Nous avons été sensibles aux attentions du personnel de bord et à un voyage bien plus confortable qu'avec Air France, une présence constante des hôtesses et stewards, des repas nombreux et corrects, et nullement la sensation d'être transportés comme du bétail, le tout à un tarif plus qu'avantageux par rapport à notre ex-fleuron national qui abuse vraiment de sa situation de monopole.



Passage au contrôle de police, un charmant jeune homme « uniformisé » nous demande un « billet ». Vlan 5000 arriary, soit à peu près 2 euros. Il était content. J'en reparlerai.



Mamy et L nous attendent. Le même rire, la même joie réciproque, plus contenue chez l'austère L, pourtant au bord des larmes. Mamy a changé de 4X4, c'est maintenant un gros Hyundai. En tous cas, celui là marche et n'a que 200 000 kilomètres. Une affaire en or qu'il nous explique en détails. Je n'y comprends rien. La logique malgache et plus singulièrement encore celle de Mamy fait d'infinis méandres, se perd, a des résurgences inattendues. Bref, il se comprend, et me semble t'il, l'aurait pratiquement troqué contre deux épaves, mais sous toutes réserves, je ne suis pas certain d'avoir tout saisi.



Le dimanche, nous nous sommes levés tôt, en direction, vers 7h30, de la colline du Père Pedro, pour l'Office. Une promesse que nous nous étions faite. La route est raide et pavée pour atteindre le haut du village. Ils cheminent en groupes, de ce pas lent et compté des malgaches, pauvres parmi les pauvres, ici , comme sans but ou plus exactement une manière d'indifférence qui émeut. Ils montent vers le stade, fantômes sans rire, certains endimanchés. Nous ne serons pas en retard, mais ici, encore, c'est un mot qui n'a pas grand sens. Le gros 4X4 avale doucement et facilement la pente. Mamy économise toujours sa mécanique.



Ici le Pere Pedro accueille les plus pauvres des pauvres, il les sort des poubelles, de la rue ou d'on ne sait où, tant ce pourrait être inimaginable pour nous, les accueille avec leur violence, souvent leur alcoolisme, des misérables, des vieilles, des femmes seules chargées d'enfants, des hommes en rupture de société, des veuves, des orphelins. Il règne ainsi à Madagascar sur près de 70 000 personnes, auxquelles il essaie de redonner un but, qu'il loge, en particulier, ici à Tana, dans les jolies maisons de cette ville nette et policée. Il leur donne un travail, leur donne à manger, scolarise les enfants et n'est pas peu fier des bons résultats au bac et de ces universitaires avocats, gestionnaires, professeurs, instituteurs, médecins, dentistes issus aussi du village, qui sont revenus ici, comme pour s'acquitter d'une dette et aider au pilotage de ce lourd navire, qui doit soigner, nourrir, éduquer, produire, vendre, gérer et surtout trouver des fonds, pour accueillir à la porte le maximum de miséreux et au moins réconforter ceux qu'on ne peut pas accueillir. Nous avions déjà constaté le respect peut être aussi, la crainte qu'inspirait à ses sujets cet homme de granit au regard d'enfant. Les politiques le redoutent aussi pour la « puissance » électorale qu'il pourrait représenter et les mots terribles de ses jugements sans appel. On imagine aussi la rigueur qu'il faut imposer lorsque l'alcoolisme, le vol, la violence, le viol, l'absence absolue de repères sont toujours présents ou menaçants, pour redonner à ces miséreux parmi les plus miséreux, une dignité d'être humain.




L'office se tient dans un grand gymnase attenant au terrain de football. Mamy a garé le 4X4 sur le parking « visiteurs » les autres viennent à pieds et peuvent parcourir des kilomètres. Aussitôt un jeune homme plutôt distingué est venu noter notre nombre, notre pays d'origine. Donc, un malgache, deux « vazahas français » pure laine, et leur fille une malgacho-  « vazaha », comme l'appelle L, de bientôt 13 ans. C'est noté.




Dans le gymnase qui se remplit peu à peu, un autel sur une estrade. Les gens prennent place au sol sur des nattes, des enfants et des femmes, vêtus de vêtements de différentes couleurs et dans un assortiment précis. Dans les gradins, on s'installe sans hâte. Aucune cohue ni cri, juste une tranquille pulsation de la foule, comme un cœur qui bat. Des « assistants » sévères, silencieux, précis et fermes sillonnent les rangs du bas pour installer les enfants dans un ordre mystérieux et rigoureux. Ça ne bronche pas. Aucune hâte, mais un ballet bien réglé et silencieux, un peu froid pour qui connaît la propension à la légèreté rieuse, c'est un euphémisme, ou plutôt, bordélique, des malgaches.




Je déambule, appareil en mains. Pas du tout l’impression d'un hall de gare. Quelque chose de contenu. Sur un coin de la grande estrade, l'homme de granit confesse des jeunes filles. D'ailleurs le mâle est plutôt rare ici. Mamy me dira qu'il est occupé à des œuvres beaucoup plus prosaïques, comme se saouler. Elles s'agenouillent, il leur pose la main sur la tête puis les écoute. Ce n'est pas long, je me souviens alors qu'enfant lors de la préparation à la première communion, je devais inventer des vols de sucre ou des détournements de la pièce destinée à la quête pour quelques sucreries dans l'épicerie voisine de l'église et ouverte à cette heure. Le confesseur sentait horriblement mauvais de la bouche, ça oui je m'en souviens. C'était m'a t'on dit un ancien aumônier militaire, peut être bien de la Légion, mais je n'en suis pas sûr, pas commode, mais cela ne justifiait pas son haleine de fennec. Il me filait un paquet de dix Ave je crois, ou autres choses. Il m'est arrivé de bâcler les prières rédemptrices, mais après tout, je n'étais pas certain d'être coupable, au moins de ce dont je ne me sentais pas coupable. Où il est, le Père Pedro, lui, ne peut pas sentir leur bouche, ni elles d'ailleurs, la sienne. Il reçoit leur parole, lui simplement assis sur une chaise, elles agenouillées une à une à coté, il les écoute, puis leur parle. Elles se relèvent tête basse, puis une autre arrive, toujours tête basse. Je me souviens alors que Mamy m'avait dit, déjà en 2007 que Mathilde était une européenne parce qu'elle se tenait droite et faisait face. Un peu plus tard, le Père me dira de ne pas gêner l'Office avec mes photos et en restant dans les allées. Il m'avait repéré. Je me suis senti honteux comme un enfant.



Je suis étonné de cette confession en plein stade, qui se remplit toujours. Je vais sur les tendidos ouest, derrière l'autel. Le jour levant met une tache d'or au fond du stade.





(à suivre)

7 commentaires:

pedrito a dit…

Chulo, je te bois comme du petit lait. Mais la relation des choses simples et émouvantes favorise la curiosité du lecteur et l'envie de savoir plus. D'ailleurs,et çà devient une habitude, me cago, moi, l'athée agnostique- je ne sais plus si je suis l'in ou l'autre- je viens de lire d'un seul trait un livre d'un curé ami, sur son chemin de St Jacques, en 1961 ! Passionnant, même si je ne partageais pas tout.
Mais qu'il y a des gens admirables, pour prendre en charge et partager toutes ces misères qui ne sont pas prêtes de s'adoucir.

Maja Lola a dit…

Récit très intéressant. Merci de ne voir dans mon commentaire aucune volonté de prosélytisme. Restons en toute simplicité sur un constat : faut-il que le degré de corruption, d'impuissance des politiques, d'abandon d'un peuple soient tels qu'il faille compter, pour apporter aide, réconfort, travail, soins et éducation ..... sur le courage et la volonté d'un seul homme ?

Paradoxe dans une société civile qui se défile de ses responsabilités : c'est un homme de foi chrétienne qui soutien, aide, galvanise les énergies pour tirer les plus pauvres de cette misère.

Tu parles de silence, d'ordre, de respect ... tout cela sans matraques pour mettre à genoux, sans vociférations intimidantes, sans menaces et réprimandes ... chacun tirera ses conclusions et s'en fera son propre enseignement.

Tant d'autres Père Pedro abondent sur le continent africain et font un travail formidable au péril de leur vie (qui leur est parfois prise de manière atroce). Moins médiatisés (cela ne fait pas "vendre" de l'info, n'est pas toujours politiquement correct vis à vis de la corruption patente des gouvernants -avec notre complicité occidentale-) ils continuent inlassablement leur travail.

Pour les souvenirs confessionnels, je te rassure : nous sommes nombreux à avoir "subi" cet instant si mal expliqué à notre génération et qui laissait des sentiments plus tournés vers la culpabilité et la menace que vers le vrai sens de l'acte.

Mais j'arrête là. Pas de "préchi-précha" hermano !

Anonyme a dit…

Quel beau texte Chulo car tout y est vrai. A déplorer comme Maja Lola, que seuls quelques hommes Y croient, se bougent dans leur solitude au mépris des politiques cupides, pour « élever » et relever l’humanité, même si les hommes partis se saouler ne se sentent guère concernés. J’aime bien la confession et les remarques nous rappelant le temps où il fallait se trouver des mensonges pas forcément dits, des excès de gourmandise, - deux bonbons pris dans la boîte au lieu d’un – pour avoir l’air sincère et coupable dans l’ombre du confessionnal où on attrapait des douleurs aux genoux.
Et ces ombres furtives sur les photos !
Gina

el chulo a dit…

Je dirai seulement une chose: quel bonheur de voir réunis ici dans leurs commentaires des gens aussi divers et qu'on voudrait opposer, comme Pedrito "el rojo" et Maja et Gina.
Maja je ne te soupçonne pas de prosélytisme, et Gina oui j'aime beaucoup les deux photos très imparfaites de la montée vers le gymnase.
Ma fille journaliste me dit que je devrais utiliser Photoshop ou gimp pour recadrer, mettre du contraste, de la lumière car le passage sur blog fait perdre pas mal de qualités à la photo.
Toutes ces photos ont été volées souvent au téléobjectif, comme dans l'urgence car j'avais l'impression de vivre un moment rare.
Je les aime dans leur imperfection surtout lorsqu'elles disent quelque chose que j'ai ressenti.

Marc Delon a dit…

Putainnnnn la mega Zhooooonte... doubler les pauvres et misérables au pas lent et les pulvériser de terre battue au passage d'un gros 4x4 impérialiste et pollueur.

Père Chulo, souffrez cette confession : plus je me tiens éloigné des curés de tout bord, plus j'aurais tendance à croire non pas en Dieu, cette "invention- tentative" pour que les hommes ne se déchaînent pas trop, mais à petizézu, peut-être...

Marc Delon a dit…

Sinon ta fille a raison évidemment... un jour tu m'envoies une photo que tu veux publier et même si je ne suis pas un génie de la retouche je te l'a renvoie interprêteée et tu vois... (message perso)

el chulo a dit…

Marcos,

j'adore tes commentaires distanciés.

Quant au gros 4X4 comme tu dis, je pense qu'il l'a totalement reconstruit de ses mains, et pour aller de tana a fort dauphin ou de majunga à morondava il vaut mieux être équipé. 5 à 6 jours de piste, de flotte, de sable et j'en passe. Il y a toujours des vazaha en quête d'émotions fortes et là il vaut mieux son machin que les range rover dernier cri, je parle d'enlisement et de franchissement.
et puis c'est son boulot et il n'a pas de joli véhicule citadin d'appoint.
rien à voir donc avec un quelconque frimeur, et surtout très respectueux des autres, y compris des pauvres, et il ne lui viendrait sûrement pas à l'idée de faire ce que tu dis, et si par inadvertance celà se produisait, et le connaissant, je te jure que c'est fort improbable, il s'arréterait pour s'excuser.

il ne fait pas paris dakar ou un quelconque raid, il fait de la piste 200 jours par an, car c'est son métier.

pour le reste rassure toi je ne suis pas converti, mais ai toujours respecté ceux qui croient lorsqu'ils ne me font pas la leçon ou le sermon.

pour le reste c'est un souvenir fort, qui a remué beaucoup de choses en moi, sûrement encore ma sensiblerie.