On a bien sûr lu beaucoup de choses après la mort de Chenel Antonete. Mais pour moi, les deux plus belles sont le sublime texte d'Olivier Deck sur son blog, et une petite merveille de ma chère Carmen, Condesa de Estraza. Je lui ai demandé si elle voulait bien que « j'essaie » de traduire son texte, car, même s'il est d'une inhabituelle sobriété, la langue « rayana » de ma gitane préférée comporte de redoutables pièges qui laissent mes dicos sans réponse. J'ai donc essayé, et demandé à Maja Lola de procéder à une lecture éventuellement corrective. Ce qu'elle a fait avec ses élégance et diligence habituelles.
Hasard du net, ou miracle, j'ai connu ces deux espagnoles dans le fatras d'Internet. Carmen grâce à Ludo, et Maja grâce à Marc. Deux espagnoles, même si Lola est aussi, oh combien française, que bien des choses pourraient séparer mais, chacune à sa façon, représentative de la femme espagnole de la « movida », rescapée de la femme « ventre » de Pilar Primo de Rivera, servante attentive du « macho », qui devait céder à tous ses caprices, sans répugnance y compris lorsque le viril époux manquait aux devoirs élémentaires d'hygiène corporelle. Voilà donc ces femmes libres, cultivées, avec cet appétit d'ogre de vivre et d'exister, ces femmes espagnoles de l'après franquisme.
Même si j'entretiens des relations épistolaires assez étroites avec Lola, je ne l’ai jamais encore rencontrée. Carmen, oui, l'an dernier à Madrid, ainsi que mon cher Angel, mon hermanito de las Ventas. J'en avais parlé dans un post http://adioschulo.blogspot.com/2010/11/ce-duende-quon-assassine.html à mon retour de Madrid. Carmen avait fixé le rendez vous à la Venencia, et ce fut comme si nous nous connaissions depuis toujours, elle, Angel, votre serviteur, son épouse et leur fille. Carmen parle avec un enthousiasme et un humour dévastateurs, Angel est plus réservé et c'est un plaisir unique de parcourir avec eux le vieux Madrid taurin ou ce qu'il en reste.
A chaque pas, devant chaque façade, Carmen peut, ainsi que ce vieux « callejero » d'Angel, associer une anecdote. Tiens ici une parfumerie qui a appartenu à une sœur de la Lupe, ici, des caves où on torturait, ici l'appartement de Simon Casas et non loin une porte qu'a décrite Perez Galdos, sa passion littéraire. Et las Ventas, leur jardin, à eux deux, Angel et Carmen. Ces Ventas d'antan, que Carmen essaie de défendre férocement contre le nouveau lobby en place. Nous étions allés à cette dernière « novillada » de la saison, dans des Ventas quasiment vides et avions immortalisé l'instant avec l'aide de l'inévitable japonais, sous l'oeil de « Dominguito » Dominguin, depuis son « andanada ». Un ami ou une connaissance de Carmen toréait. « Ay hijo » disait t'elle lorsque le « novillo » le serrait. Angel et moi riions assez sottement, avec un gin tonic à portée de la main. La buvette était proche et plutôt facile d'accès;.
Ma gitane a l'amitié robuste, inoxydable, à toute épreuve . Tiens Casas, elle l'a connu « maletilla », et il reste malgré tout son ami, même si on peut deviner que leurs conceptions de la corrida sont très distinctes. Donc, elle refuse d'en parler.
Un jour peut être, si elle me le permet je raconterai son histoire, ou mieux, lui demanderai de le faire dans mon blog. Journaliste, écrivain talentueux, elle a écrit un livre splendide sur Manolete.
Donc, voici comment elle a parlé dans son blog de la mort de Chenel Antonete dans un texte intitulé « de luto », ou « en deuil ».
La seule fois que votre servante, fumeuse invétérée, s'est retrouvée sans tabac, ce fut, miraculeusement chez Antoñete. J'exerçais alors le métier de photographe et Carlos Ilian me demanda un matin de l'accompagner au domicile du torero, un appartement impersonnel dans un gratte-ciel de la zone nord de Madrid. Antoñete, avec lequel Carlos avait convenu d'une interview pour Marca, revenait tout juste du Vénézuela en ce début des années quatre vingts. Or, c’est sûrement ce jour là, selon moi, que je fis la meilleure photo de toutes celles que j'ai réalisées pendant ma période de reportage photographique et autres activités « paparazziesques ».
Bref, lorsque j'eus fini de mitrailler, appareil en bandoulière, je m'assis à une table, face au torero et en silence car Carlitos prenait des notes comme un forcené, et … zou, je me vis obligée de sacrifier la dernière cigarette tout en écrasant le paquet vide avec ostentation pour alerter Chenel (qui eut la réputation, en d'autres temps, d'être le type qui fumait plus que tout Madrid à égalité avec Santiago Carrillo).
C'était un timide appel au secours lui indiquant que mon combustible s'épuisait, que rapidement j'aurai besoin d'un « capotazo » de nicotine et qu'il lui reviendrait de réaliser le « quite » salvateur, car Ilian ne fume pas.
Le maestro des maestros et de la vie s'avisa rapidement et, interrompant l'interview, il me demanda d'aller vers le réfrigérateur, de l'ouvrir sans façon et de disposer à ma convenance du matériel emmagasiné.
Quel réfrigérateur que celui d'Antoñete en ce début des années quatre vingts ! Comme j'aurais aimé l’immortaliser ! Quelle « putada » de ne pas m'être enhardie et de ne pas l'avoir « shooté » ! Tout petit, de ceux qui t'arrivent à peine à la ceinture, il avait trois étagères. Propre, peu utilisé, comme en ornement parmi un si insipide mobilier. Je l'ouvre, et je vois sur l'étagère supérieure, entreposés dans un ordre parfait, un arsenal accumulé de cartouches de tabac blond américain. Je suis incapable de préciser s’il s’agissait de Winston ou de Marlboro, je me souviens seulement qu’ils étaient rouges. Mais il y avait là assez de tabac pour subvenir aux besoins d'un régiment.
La seconde étagère du réfrigérateur était complètement vide et, dans celle du bas, gisait une assiette en faïence ordinaire, comme celles des cafeterias, contenant une petite poire sur le point de se gâter, solitaire, une de ces poires très juteuses et fragiles.
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Je ne sais pas si vous vous avez remarqué le fait que tant de précieux termes de notre si martyrisé idiome sont comme mal vus en société et tombent rapidement en désuétude. Parmi eux, on trouve le verbe mourir et toute sa conjugaison associée. A présent, nous ne mourons plus … nous nous en allons. Et où allons- nous ?
Et bien, le plus sûr est que nous partons en quête de tabac. Je le dis histoire de dire quelque chose. Un classique, le coup de s'en aller chercher du tabac quand on décide de fuguer, car Antonio Chenel Albaladejo n'est pas mort. Il aura été chercher du tabac et il est fort possible que nous ne le revoyions jamais, bien que nous espérions éternellement son retour.
Dans son blog, dans un commentaire, je la paraphrase, elle s'est souvenue qu'Antonete avait dit « el tabaco es un gran companero », ajoutant que personne n'avait aussi bien parlé de la solitude. Ce texte court, parle de l'Antonete au creux de la vague, probablement inpécunieux,et délaissé, avec un tact et une finesse incroyables.
« Va por ti Carmen ! »
P.S. Carmen est Carmen Esteban, et son livre s'intitule: "Lupe, el Sino de Manolete".
P.S. Carmen est Carmen Esteban, et son livre s'intitule: "Lupe, el Sino de Manolete".
10 commentaires:
Gracias, Chulo de Dax, aunque me cuesta mucho leerlo, incluso con la mierda del invento del traductor ni medio me cosco, voy a esperar a que me caiga algún gabacho a mano para que me lo retraduzca.
Sólo espero que a tus lectores les guste la pincelada o al menos que pasen un buen rato leyendo un texto que escribí en la chatarrería de mi blog para Antoñete.
Bs.
La condesa de Estraza
gracias querida condesa. ya sabes perfectamente que aqui estas en tu casa. besos
Condesa,
Claro que nos ha gustado su texto bien traducido por el maestro Chulo, y que pasemos un buen rato.
Cher Chulo, étais tu à AIRE? Moi qui espère toujours te rencontrer... Otra vez serà! Pour Georges, c'était juste un coup de coeur, j'adore observer ces indispensables et merveilleux amis de l'humain
Abrazo
Je suis parvenu jusqu'à la Condesa de Estraza en lisant votre blog. J'ai été conquis et je vais la lire très régulièrement. Son style et sa langue m'enchantent bien que je m'épuise parfois à tourner les pages des dicos pour traduire les tournures rayanas.
Je connaissais Carmen Esteban avant la Condesa car j'avais lu son Manolete y Lupe avant "De pezon a rabo".
Vous avez Georges, moi j'ai Martin, un martin-pêcheur qui m'accompagne chaque matin le long des étangs. Cet automne, il a ramené une compagne, Martine : je serai peut être parrain au printemps.
JLB
si, senor JLB es una gran y buena persona, y ademas una tia, y ademas una amiga mia.
et de plus, je suis heureux qu'un expert comme vous, ceci dit ici sans acrimonie parlant de la connaissance de la langue du divin manchot, rencontre les mêmes difficultés que moi, avec certaines "libertés" linguistiques de mon amie carmen esteban. Georges avait semble t'il une georgette l'an dernier, et paraît t'il ce sont des oiseaux d'un seul amour. j'attends donc qu'il veyuille bien me la présenter, je vous raconterai.
eh ben voilàààà... c'est-y pas mignon tout ça les cuicui qui font crac-crac et JLB et Chulo enfin ami-ami. Eh les gars, faites chier, c'est que j'en ai la larme à l'oeil, moi...
'tout cas saludo à Chulo que je connais enfin physiquement avec ses chaussettes noires et quoi ? son seau à glace ? à la place n° 3 c'est ça ?
quant à la condesa parait que quand elle écrit, ça rigole pas ! Sûrement que son "acerbitude" me plairait...
Chulo ami,
Très beau texte que celui de Carmen, et je parle de la beauté de son "rendu" en français (car je ne parle ni ne comprends l'espagnol)!... Et, dès après en avoir terminé la lecture, j'ai immédiatement pensé à la chanson de Gainsbourg "Dieu est un fumeur de gitanes"... Alors là, sûr, Antoñete est au Paradis (peut-être aura-t-il réussi à trouver des blondes auprès de Gainsbourg!)...
Merci encore à Carmen,
Abrazo fuerte - Bernard "Largo campo"
mon cher "largocampo", c'est effectivement un texte que j'aime beaucoup.
beaucoup moins léger qu'il n'y paraît, comme toute bonne littérature.
j'ai essayé de ne pas le dénaturer. par respect pour la chere carmen qui m'a si généreusement permis de le traduire.
le bon à imprimer, et les retouches de maja lola ont aussi été précieuses, dans la fluidité.
abrazo amigo
je voudrais dire aussi, Bernard "largocampo" que par rapport aux imbécilités hypocrites qu'on a pu lire, c'est le seul texte qu'elle ait écrit sur la mort du maestro, et elle parle fort bien de lui.
mais "carmen es una tia"!
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