Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

dimanche 3 février 2013

L'Histoire vue par un non Historien.


Je suis en immersion, depuis des années dans des bouquins traitant de la Guerre d’Espagne. Cet exercice incite à la modestie, dans la mesure où nul ne peut prétendre faire le tour de la question, et encore moins avoir lu les plus de 15 000 livres, et ce n’est pas fini, qui lui sont consacrés. J’alimente pratiquement sans cesse ma bibliothèque, toujours à la recherche d’une rareté. Parfois ma patience est récompensée et permet de belles découvertes, parfois, la déception est au rendez-vous. En tous cas les sites de livres usagés espagnols me connaissent bien, et réciproquement. Je me freine tout de même, car cela finit par être assez onéreux.

Même à l’heure actuelle, cette Guerre peut encore apparaître comme la mère des conflits modernes, tant tous les thèmes y sont présents : l’Eglise, l’Armée, une démocratie immature qui ne sait pas se défendre, les relations de l’extrême droite avec le fascisme et le nazisme, des convulsions révolutionnaires suicidaires, une classe possédante, Eglise incluse, farouchement hégémonique et hostile à toute évolution, une gauche désorganisée, dont les diverses composantes ont pu être en opposition y compris armée , et réduite à l’impuissance et à son autodestruction, l’hypocrisie du non interventionnisme, la lâcheté de certains pays, un communisme, insignifiant  en Espagne jusqu’en 1934, encore pratiquement négligeable quantitativement en 1936 mais très manœuvrier, qui sut s’imposer lorsqu’il fallut transformer les milices ouvrières révolutionnaires en armée fin 1936 et qui dès 1937 commença à importer les purges staliniennes, en particulier, anti trotskistes.

Or, paradoxalement, de vrais trotskistes, il  n’y en avait pratiquement pas en Espagne. Nin qui fut assassiné par la police secrète stalinienne avait été proche de Trotski, mais s’était brouillé avec lui. Cela n’empêcha pas les staliniens, le français André Marty en tête, de considérer le POUM de Nin, qui on le répète, entretenait de mauvaises relations avec Trotski, comme à la fois « fasciste » et « trotskiste », ce qui est tout de même, assez surprenant.

La rébellion du 17 Juillet 1936, commencée au Maroc, avait fini par drainer dans ses rangs le très cauteleux Franco, déjà prince de cette habileté prudente, qui lui assurerait pratiquement 40 ans de règne. Sa participation était essentielle pour la réussite de l’entreprise, car il y avait au Maroc des troupes indigènes, « los regulares », et cette force armée, bâtie par Mylan Astray et le jeune Franco, sur le modèle de la Légion Etrangère française, le fameux « Tercio ». Cela représentait de l’ordre de 30 000 hommes extrêmement aguerris, extrêmement disciplinés, bien armés et que la longue campagne du Maroc avait forgés dans la cruauté, et qui de plus, n’auraient aucun scrupule à tuer des espagnols.  Au Nord, dans la Navarre, Mola pouvait compter sur les « Requetes » carlistes, immédiatement pratiquement aussi nombreux, bien entrainés en milices armées par les italiens, qui devraient se distinguer comme des troupes d’élite, au même titre que les troupes du Maroc.

La droite dans son ensemble n’était pas si unie. Son ciment était certainement le nationalisme et le catholicisme, la détestation de la République en tous cas sous sa forme démocratique et parlementaire, mais aussi, en dehors des grands propriétaires terriens, les petits propriétaires, très souvent catholiques et se sentant menacés par les confiscations de terres. Mais on pouvait compter dans ses rangs les radicaux, les Cedistes de Gil Robles, les monarchistes de Calvo Sotelo, les carlistes de Fal Conde, les falangistes de Primo de Rivera qui allaient, tout comme les communistes croître exponentiellement au long de la guerre puis ensuite, malgré la perte de leur chef  fusillé.

Mais à la différence des forces de gauche, cette droite dominée par les militaires savait parfaitement que la victoire pourtant si problématique ne serait possible que via une union et surtout un commandement unique. Chose qui se réalisa fin Septembre 1936, en deux phases se suivant à une semaine de distance : Franco chef de toutes les armées et Franco Caudillo de l’Espagne et donc chef du gouvernement insurgé. Ceci ne fut pas réalisé dans l’enthousiasme, en particulier du côté de Queipo de Llano et de Cabanellas, le monarchiste Kindelain, pensant lui, qu’il s’agirait d’une phase très transitoire avant de rendre l’Espagne au Roi. Queipo résumait assez bien la situation en disant que ce ne pouvait pas être Mola, car les rebelles auraient  perdu la guerre, ni lui-même considéré comme un « républicain », ni Cabanellas, notoirement franc maçon. Franco lui, dès Juillet 1936 avait reçu la garantie de recevoir des armes de Hitler, à condition expresse qu’il en soit lui seul le bénéficiaire, ce qui valait un adoubement, et Mussolini allait suivre dans la foulée.

Ainsi les troupes du Maroc purent être rapatriées sur le sol espagnol et se charger de la féroce marche sur Madrid qui fut stoppée par la miraculeuse résistance de la capitale.

Jusque-là, ces troupes du Sud, pendant que Mola et ses « requetes » était bloqué au Nord de Madrid mais avait pris Irun et s’apprêtait à terminer la conquête du Nord, ne rencontraient que milices désarmées, ou mal armées, sans encadrement, et souvent terrorisées à la seule vue des « Maures ».

Les anarchistes s’étaient lancés au lendemain même de l’insurrection dans une révolution véritable, qui, je ne sais pour quelle raison a toujours été minimisée. Ils avaient sauvé Barcelone de Goded et ses troupes, mais aussi, en grande partie Madrid. Ils partirent donc à l’assaut de l’Aragon, depuis Barcelone, pour reconquérir Zaragoza et implanter des « colonies » sur les terres reconquises.

D‘emblée ils furent en opposition frontale avec les communistes qui eux, selon les vœux de Komintern étaient favorables à une stratégie d’accord avec les partis bourgeois, et pensaient avant tout à gagner la Guerre avant d’implanter un régime qui leur serait favorable, probablement.

Cette furie révolutionnaire, associée à un véritable massacre de religieux et destruction d’édifices religieux eut plusieurs conséquences néfastes : la première d’effrayer les puissances européennes et américaine qui voyaient en particulier les anglais, leurs intérêts investis en péril, la seconde, fut de mobiliser la majorité des catholiques du monde entier contre les républicains espagnols, à quelques notables exceptions en France telles que Maritain, Mauriac et bien sûr Bernanos.

La complexité de la situation, la spécificité espagnole du conflit, la destruction volontaire de nombre d’archives, la chape de plomb qui pesait sur les historiens pendant toute la période du règne de Franco, entre autres raisons ont fait qu’il fallut attendre la toute fin du XXème siècle et le tout début du XXIème, pour voir enfin émerger une Histoire plus équilibrée et surtout mieux documentée.

Ceci pour dire aussi que je suis en permanence saisi par la responsabilité des Historiens, véritables ou charlatans, par exemple pour un lecteur plein de bonne volonté qui se ferait une idée de cette terrible guerre soit au travers d’un ouvrage de Pio Moa ou de De la Cierva, soit d’un de Preston ou de Reig Tapia.

Sans parler de l’énorme production « romanesque ».

L’abondance des sources secondaires constituée par les innombrables études générales ou monographiques, biographies, autobiographies, entraînent fatalement le lecteur intéressé à se plonger de plus en plus dans le sujet, ce qui, par conséquent l’écarte de certains lieux communs véhiculés d’ailleurs par les tenants des deux camps.

Il  incombe aux Historiens de reconstituer l’histoire, scientifiquement. Or je suis surpris de constater souvent un abus des citations, finalement en nombre restreint qui suffiraient à tout expliquer. Sorties de leurs contextes, et ignorant une époque où des deux côtés la violence verbale était la règle, elles permettraient d’accréditer à elles seules une thèse. De même on voit apparaître en fin de livre des bibliographies monstrueuses, alors que paradoxalement, les apports originaux sont extrêmement rares et souvent les auteurs s’en tiennent à des événements mille fois ressassés.

De ce point de vue, le passage au XXIème siècle a vu l’émergence de nouveaux historiens profitant de l’ouverture de certaines archives, surtout russes, qui  permettent de mieux comprendre les rôles des uns et des autres, mais aussi de construire la Mémoire de cette guerre, Mémoire qui fut si maltraitée et surtout systématiquement falsifiée  par les quarante ans de franquisme.

11 commentaires:

Xavier KLEIN a dit…

Entièrement d'accord avec ta conclusion, notamment sur la nécessité de "reconstituer l'histoire scientifiquement".

pedrito a dit…

Amigo CHULO, peux -tu me communiquer ton adresse mail? Je voudrais te passer un texte sur la guerre d'Espagne, qu'un ami américain vient de me transmettre

Anonyme a dit…

Quel courage de s'attaquer à la guerre d'Espagne, c'est tellement compliqué !
Où trouver l'exemple d'une Histoire "scientifiquement reconstituée" , c'est à dire honnêtement racontée ? Si l'Histoire est souvent écrite par les vainqueurs, elle est non moins souvent trafiquée par les vaincus (au vingtième siècle plus que jamais peut être). Et quand je vois ce qui se concocte aujourd'hui, il ne remportera jamais le "Master Chef", ce Marx qui a écrit "l'Histoire ne repasse pas les plats".
Mais je vois que Pedrito est prêt à tout pour vous donner un coup de main : Hemingway était à Marciac ce week-end !
JLB

Maja Lola a dit…

Passionnant, Chulo "non historien" ... mais reste prudent sur les vérités (?) soudainement révélées.
Je te préfère avec tes honnêtetés et tes doutes de chercheur inlassable sur cette guerre qui te passionne tant.

el Chulo a dit…

JLB, honnêtement " racontée est en effet pour moi un prérequis. De ce point de vue j'aime encore le Hugh Thomas, qui reste dans sa dernière réédition un ouvrage chronologique de référence, soupçonné d'ailleurs dans sa première version d'être plutôt pro franquiste, et rééditions après rééditions, mais aussi évolution des sources primaires est aujourd'hui très équilibré, et un plus récent que j'apprécie, le livre collectif dirigé par Malefakis sur la guerre d'espagne.
Maja, peut être penses tu qu'il s'agit seulement des archives russes, ouvertes aujourd'hui seulement partiellement, mais il en est quelques unes espagnoles, allemandes surtout, françaises aussi.
Ensuite c'est seulement un constat que je fais, sachant que pendant les 40 ans de Franco, seule la thèses officielle était permise et le travail des historiens étrangers, quoique très actif, était pour le moins difficile.
Par exemple le livre récent de Beevor alimenté par les archives russes et allemandes est très intéressant.
Une évolution est très intéressantre chez les historiens espagnols,( l'excellent casanovas, par exemple) qui sont toujours critiques vis à vis de la République, en tous cas de ses divisions, tout en condamnant l'insurrection et le "système" franco.
Je pense enfin, que cette histoire espagnole, si douloureuse et "affective" n'a pas encore livré tous ses secrets, et peut être ne les livrera jamais.
Enfin, tout comme Mauriac, finalement, il ne faut pas oublier qu'il s'est agi d'un coup de main ou d'état mené par des militaires contre un gouvernement démocratiquement élu. C'est ce qui lui paraissait définitivement et tout simplement insupportable.

Marc Delon a dit…

Seul le titre est mauvais... parce qu'à force tu vas justifier de la qualif. En plus, pour "Historien" c'est comme pour "expert", y'a pas de diplôme...
Maintenant, passe à l'étape suivante, installe-toi à l'université de Salamanque et autres... et cherche in situ... on viendra te rejoindre pour boire une copita et voir des toros...

el Chulo a dit…

Marc, je pense que tu ne leur feras pas plaisir.Les historiens ont le plus souvent fait des études très supérieures en histoire, sont souvent professeurs dans des universités brillantes ou chargés d'études.
ensuite il y a toute une méthodologie de gestion et recherche des sources et également une connaissance approfondie des époques.

Maja Lola a dit…

Il n'est pas certain que Chulo prenne plaisir à tomar una copita en Salamanca .... dans le contexte de son immersion dans la guerre civile la "cruzada franquista" a dû laisser quelques relents ...

el Chulo a dit…

J'ai bu des copitas à salamanca, nombreuses d'ailleurs et nocturnes. la vieille ville vest très belle.
mais tu as raison je n'ignore pas qu'en septembre 1936 franco a été adoubé par ses pairs chez l'eleveur perez tabernero.
j'ai eu l'occasion d'y fréquenter quelques exemplaires humains, richi
ssimes par ailleurs qui traînaient derrière eux en effet quelques relents ou fragances très phalangistes pour faire simple.
mais bon, alors je ne devrais pas aller à malaga, grenade,sevilla, et surtout pas pamplona, la navarraise carliste, ni pratiquement nulle part en espagne.

Maja Lola a dit…

C'etait une gentille boutade Chulo ... pour te faire tirer le fil de l'histoire et développer ..... c'est chose faite ;-)

velonero a dit…

Le vrai savoir incite à la tolérance.
Chulo,merci pour tes "leçons" sur la guerre d'Espagne.